Tribune du collectif Lettres vives
À l’heure où le sexisme structurel ne se cache résolument plus comme en atteste le hashtag #14septembre (a), trente-deux linguistes progressistes ont choisi leur combat dans Marianne : s’insurger contre la malfaisante écriture inclusive, mère de tous les maux linguistiques contemporains !
Cette tribune, nous l’avons lue à Lettres Vives. À vingt hommes et douze femmes, tou·tes représentant de hautes instances académiques, nous nous attendions à ce que l’enthousiasme soit mesuré, nous n’avons pas été déçu·es.Cette tribune nous a posé quelques problèmes, à nous, qui refusons de considérer la langue comme une momie embaumée. […]
l’écriture inclusive, quelque peu diabolisée, est plurielle et en mouvement perpétuel. Ses usages très variés – dont le point médian n’est qu’un seul aspect – sont réels. Il existe par ailleurs plusieurs usages concurrents du point médian, en particulier lorsqu’on ajoute un simple ·e au radical masculin dans un mot pluriel et non pas deux points qui encadrent (militant·es), la barre oblique (orateurs/trices) … De fait, l’écriture inclusive, qui refuse le primat du masculin sur le féminin, est forte de nombreuses propositions afin de (re)donner à la langue une tournure plus égalitaire. Propositions rendues complètement fantomatiques par la tribune qui semble préférer disqualifier ad personam ses adversaires par ce néologisme à charge « les inclusivistes », que de prendre en considération leurs propositions, trouvailles, travaux de recherches sur le sujet, pourtant denses et abondants. Dès lors, on ne peut que s’étonner du recours au mot propagande quand l’écriture inclusive est davantage un champ expérimental et en débat qu’une pratique normée, figée et prescriptive. […]
Un argument nous touche directement, nous autres pédagogues, celui d’éventuelles difficultés des élèves « dys » face à ce mode d’écriture. Parlons-en.
On ne peut s’empêcher de noter tout d’abord que les signataires n’ont a priori jamais fait preuve de zèle, à notre connaissance, sur la question du handicap et des difficultés d’apprentissage. Comment ne pas voir dans ces propos, ensuite, l’application de la stratégie éculée de mise en concurrence des minorités (ici les personnes en situation de handicap contre les féministes), pour mieux garder la main, mieux conserver un système sociolinguistique dominateur, masculin et validiste. Nous, qui défendons l’intersectionnalité, nous voyons régulièrement affirmer qu’une forme de discrimination devrait importer davantage qu’une autre (voire que toutes les autres). Dans cette tribune, on voudrait ainsi nous faire croire que le souci du handicap devrait primer sur l’antisexisme, comme si les deux luttes – car ce sont véritablement des combats de chaque jour, on le voit encore avec cette tribune – ne pouvaient pas être compatibles, comme si l’une devait forcément écraser l’autre… N’est-ce pas là une vision bien étriquée des pratiques de lutte intersectionnelle et de l’ouverture d’esprit des premier·es concerné·es ?
Mais, admettons un réelle préoccupation des rédactrices et rédacteurs de la tribune pour le handicap et les difficultés d’apprentissage. Retournons donc sur le terrain de l’école et de la pédagogie, en rappelant toutefois que ces préoccupations ne se limitent pas aux troubles dys-, mais qu’il y a aussi les troubles du comportement, les traits autistiques, les trisomies, parmi tant d’autres, et pour lesquels la langue, orale, écrite, est également centrale.
L’écriture inclusive serait donc excluante pour les élèves dys- ? Quelle méconnaissance de l’école inclusive ! L’inclusion scolaire demande aux enseignant·es d’adapter leurs cours, leurs supports, en fonction des besoins éducatifs particuliers des élèves. Elle implique également une réflexion approfondie sur les démarches d’apprentissages, sur les travaux de groupes et les pratiques coopératives, sur la construction d’un parcours individuel de réussite. Permettre d’accéder à la langue et à la compréhension ne garantit pas la réussite. L’école inclusive est bien plus complexe que ce qu’on voudrait nous faire croire. […]
Pour lire l’article complet : http://www.lettresvives.org/2020/09/28/non-lecriture-inclusive-nest-pas-propagandiste/