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“N’autre école” est-elle condamnée à une seule posture de  résistance ?

[*«N’AUTRE ÉCOLE», ARGUMENTS POUR UNE NOUVELLE AMBITION*] par Raymond Millot

N’autre Ecole, avec sa revue et [son site] Q2C, s’efforce de fédérer celles et ceux qui, comme Paulo Freire, «assignent à la pédagogie l’objectif de développer la conscientisation des apprenants pour qu’ils transforment la société vers plus de justice sociale ». Ce grand pédagogue ajouterait aujourd’hui sans aucun doute et « vers plus de respect des équilibres écologiques » !

Q2C a réussi son projet « faire circuler les idées », trop bien peut-être. Trop d’information tue l’information… Les contributions reçoivent peu ou pas de commentaires puis disparaissent.

La revue, en revanche, permet d’aller plus en profondeur avec des articles courts et précis qui alimentent très utilement la pensée militante.
Malheureusement, la situation offre plus de sujets de contestation que d’adhésion.
Les « pédagogies alternatives » se font rares (n°7). Celles à la mode sont plus ou moins réactionnaires (Alvarez, Montessori, Colibri, Espérance banlieue). La pédagogie Freinet est mise en œuvre par un assez grand nombre de militants. Qui n’a pas connu un parent dont l’enfant, grâce à elle, a été heureux à l’école pendant un an ou deux de sa scolarité ? Elle est donc assez populaire, et pourtant l’ICEM ne dénombre (en 2016) que 23 écoles pouvant afficher leur appartenance…sur 45 877 ! Le GFEN n’en n’a plus depuis longtemps. Il n’y a plus d’Institut de la Recherche (INRP) et plus d‘écoles expérimentales « ouvertes » comme celles de la Villeneuve de Grenoble.
Le n°8 est presqu’entièrement une dénonciation de « l’école en marché ».

Question : N’autre école est-elle condamnée à une seule posture de  résistance ?

Les arguments pour cette «nouvelle ambition » résultent d’une prise de conscience résultant des écrits, des travaux, des alertes concernant l’anthropocène. Et du refus du confort que permet la « dissonance cognitive », ou la « procrastination ».

Je propose donc, dans ce qui suit, tout d’abord une page qui situe historiquement cette ambition, puis un appel datant d’octobre 2017 qui garde toute son actualité et qui constitue(rait) une première contribution pour la définir et en faire un projet offensif.


 
Le texte portant le titre, Avant qu’il soit trop tard…, diffusé en mars 2017, a été bien accueilli : les esprits étaient mobilisés par la campagne présidentielle et la COP 21 n’était pas encore oubliée. Une crainte y était exprimée :
« … que ces affirmations d’urgence, de priorité, disparaissent si les électeurs placent ailleurs leurs préoccupations quotidiennes (emploi, sécurité…). La dissonance cognitive risque de durer et de retarder l’indispensable prise de conscience populaire ».

Cette crainte se confirme, malgré les mauvaises nouvelles qui s’accumulent, malgré l’appel des 15 000 scientifiques.
Les mouvements faisant pourtant de la transition écologique « un enjeu central » sont prioritairement absorbés par le fonctionnement politique du système, de « l’actualité », des medias qui n’en parlent que sporadiquement. Il en est de même pour celles et ceux qui militent pour une éducation émancipatrice à qui ce texte s’adresse.
Quelques faits historiques éclaireront la proposition qu’il comporte :
– dans la revue « N’Autre Ecole », Gregory Chambat nous rappelle que « L’éducation (était) au cœur des réflexion des premiers socialistes » que Fourrier envisageait « l’enseignement intégral, qui prend en compte le corps, l’esprit et la vie sociale » , que « Proudhon s’en réclamait aussi et imaginait l’école atelier » , que « Edouard Vaillant a tenté de mettre en œuvre(ces idées) sous la Commune » mais que « pour ces hommes et ces femmes (Louise Michel) aucune éducation émancipatrice n’est possible sous le capitalisme ». L’ensemble de ces réflexions et les différentes expériences (Francisco Ferrer, Paul Robin, Sébastien Faure, Célestin Freinet…) s’inscrivaient donc dans la perspective d’un changement de paradigme qu’on estimait alors inscrit dans le sens de l’Histoire : la société socialiste.

– A la sortie de la Grande Guerre, des rescapés dont Freinet faisait partie, clamaient « plus jamais ça », et fondaient l’existence d’une société pacifique sur le projet « international » d’une « Éducation Nouvelle » (L.I.E.N.).

– Vingt-ans plus tard, le Conseil National de la Résistance, dans le même esprit entendait mettre en œuvre le plan Langevin-Wallon, dont Gustave Monod a réalisé trop brièvement une première étape avec les 180 « classes nouvelles ».

Ainsi, aux XIXème et XXème siècles, des militant-e-s politiques et des pédagogues se sont efforcés de prévoir ou expérimenter un système éducatif pour la nouvelle société que la situation historique semblait promettre.

Au XXIème siècle, il ne s’agit plus d’espoirs mais de certitude : l’entrée dans l’anthropocène est une réalité irréversible dont les conséquences imposent un changement radical de paradigme. Il s’agirait donc, aujourd’hui et à notre tour, de définir les grandes lignes d’un projet éducatif approprié à ce changement.
Sa rédaction ferait évidemment appel à l’expérience accumulée. Il constituerait un horizon politique et sortirait les luttes quotidiennes de leur attitude défensive et démoralisante.

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Première contribution (sous sa forme initiale) :

LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE DOIT MOBILISER LE SYSTÈME ÉDUCATIF

CET APPEL S’ADRESSE aux associations, aux ONG, aux organisations politiques et syndicales qui militent pour une réelle « transition écologique » et qui envisagent les multiples ruptures qu’elle implique avec l’ordre existant.

Dans le domaine éducatif, deux faits incontestables y invitent :

1/ la persistance du mode de production capitaliste basée sur le profit, la révolution informatique, la mondialisation, et plus visiblement le réchauffement climatique, préparent un avenir difficile et peut-être dramatique  pour nos enfants et petits-enfants.

2/ les informations alarmantes qui leur parviennent, du fait qu’elles ne sont pas traitées, sont de nature à les perturber. Elles s’inscrivent dans leur inconscient. Elles amplifient leur tendance à se réfugier dans des activités coupées de la vie ou dans des pratiques dangereuses pour leur équilibre.

L’exemple japonais révèle les contradictions du système éducatif :

Les enfants apprennent très normalement à faire face aux secousses sismiques. Ils en étudient les données géologiques, géographiques, urbanistiques et se forment au secourisme. Ils acquièrent ainsi une résilience indispensable.
En revanche, ils ne peuvent étudier de la même manière, les données scientifiques, économiques, médicales, écologiques de la catastrophe de Fukushima car la mise en question des choix politiques et des falsifications criminelles serait inévitable.

Nos enfants et nos petits enfants vivent déjà dans une nouvelle ère que des scientifiques nomment anthropocène. Ils en subissent déjà certains effets, d’autres vont se manifester et vont bouleverser leur existence. En opposition avec l’exemple de Fukushima :

La transition écologique devrait porter le projet d’un système éducatif
– qui n’occulte pas les problèmes,
– qui prépare les futurs citoyens à y faire face d’une manière lucide et active.
– qui oriente leur dynamisme vers les réalisations et les recherches d’alternatives
– qui reste indépendant du gouvernement et de ses alternances politiques.            

Cette préoccupation se heurte à une tradition de programmes, de progressions, d’examens, à une formation des enseignants qui, quand elle existe, les enferme dans leur spécialité. Les difficultés que rencontre le modeste projet de travail interdisciplinaire en témoignent. Cette étude des phénomènes qui menacent l’humanité exigeraient au contraire son renforcement, sa généralisation. Et un statut de l’éducation qui cesse d’en faire un instrument de reproduction sociale.

Les adultes de demain ont en effet besoin d’une pensée qui aborde tout problème comme un ensemble d’éléments en relations mutuelles, d’une pensée « systémique » qui peut et doit s’exercer dès l’école maternelle.

A cet effet l’école doit s’ouvrir sur les réalités du monde

Déjà, dans la vie familiale, les évènements dont sont témoins les enfants sont discutés, ne serait-ce que pour apaiser leur esprit. L’école se doit, systématiquement, de les accueillir, de les étudier, de les relier, d’examiner les réponses que la société ou une partie d’entre elle, tente de leur apporter (cf. le film « Demain ») et si possible d’y participer.
Qui plus est, cette ouverture permet aux enfants des milieux populaires de trouver un sens aux activités scolaires.

Les évènements qui parviennent aux enfants sont très différents, qu’ils habitent, à la campagne ou à la ville, dans un quartier  bourgeois ou en HLM, en montagne ou en bord de mer, près d’une centrale atomique ou près d’un barrage, dans une région agricole imprégnée de round up ou à proximité de serres  biologiques…

De ce fait, ce qui sera commun aux écoliers et aux collégiens ne sera pas les programmes mais le développement de cette pensée systémique, ce ne sera pas l’examen traditionnel, mais la production d’un « chef d’œuvre pédagogique » ou d’un « mémoire » qui devra témoigner des connaissances acquises et des compétences de tous ordres qui permettent de les présenter.

C’est d’ailleurs ce qui est demandé dans les études supérieures. Si les lycéens avaient connu la pratique du mémoire, du chef d’œuvre pédagogique, ils seraient moins nombreux en difficulté à l’université.

La Finlande, dont les résultats au PISA sont remarquables, projette de supprimer dès 2020 toutes les matières scolaires … « pour créer un système qui soit adapté au XXI ème siècle ».

La transition écologique y invite également car l’éducation est un facteur majeur de sa réussite.

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APPEL lancé par un groupe de « pédagogues » et d’élus locaux, pour qui l’éducation est l’affaire de tous, et pas seulement de l’institution scolaire. Les propositions qu’il développe sont issues d’une longue expérience en opposition avec la fonction sélective de l’institution : écoles et collège « ouverts » sur l’environnement physique et social à l’échelle d’un quartier, actions en faveur des « décrocheurs », éducation populaire à l’échelle d’une ville…

Raymond Millot, le 30 octobre 2017

CORRESPONDANCE : rr.millot[@]wanadoo.fr

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