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Marianne Cohn, la résistante juive

L’écrivain Philippe Nessman et l’illustratrice Christel Espié racontent dans Te souviens-tu Marianne ? l’ histoire de la résistante juive Marianne Cohn. La jeune femme fut en effet impliquée dans le mouvement de la jeunesse sioniste qui organisa des sauvetage d’enfants juifs vers la Suisse pendant la seconde guerre mondiale, avant d’être assassinée par les nazis en 1944. Le texte prend la forme d’une lettre à Marianne Cohn car en effet, il s’agit d’un femmage, d’un acte de mémoire : « Te souviens-tu, Marianne ? ». « Tu vois, Marianne, ton sacrifice n’a pas été vain : en donnant ta vie, tu leur as offert de vivre la leur ». L’auteur rend à son héroïne les conséquences de ses actes qu’elle n’a pas pu voir, il lui donne des nouvelles des vivant.es : notamment Renée Koenig, une enfant qu’elle a sauvé. Les élégantes illustrations de Christel Espié, sublimée par le grand format de l’album, participent à rendre son courage et sa dignité à Marianne Cohn : plusieurs portraits de la jeune femme, toujours droite, le visage claire, lui donne un air de sainte. Il y a une évidente dimension hagiographique dans le livre : « L’autre rayon de lumière dans ces ténèbres, c’était toi, Marianne ».

Une des forces de l’ouvrage est de nous faire découvrir un personnage de la résistance juive.

Couverture de l'album. On voit Mariane Cohn marcher avec des enfants, le lac d'Annecy en fond.
Te souviens-tu Marianne ? de Philippe Nessmann et Christel Espié

Si cette dimension morale pourrait finir par rebuter le lecteur que je suis, cela n’arrive pas car elle entre en échos avec la réalité historique, culturelle et spirituelle du personnage de Marianne Cohn. En effet, une des forces de l’ouvrage est de nous faire découvrir un personnage de la résistance juive. Marianne Cohn milite aux Éclaireurs israélites de France puis au mouvement de la jeunesse sioniste. Mais si le livre tranche avec la plupart des productions jeunesse sur le sujet, c’est que Marianne Cohn n’est pas juive qu’abstraitement. Elle incarne cette identité juive dans une culture, une foi et des institutions. En effet, souvent la littérature jeunesse fait penser au « démocrate » décrit par Sartre dans Réflexions sur la question juive : « il souhaite séparer le Juif de sa religion, de sa famille, de sa communauté ethnique, pour l’enfourner dans le creuset démocratique, d’où il ressortira seul et nu, particule individuelle et solitaire, semblable à toutes les autres particules ». La plupart des écrits de littérature jeunesse mettant en scène des Juifs et des Juives pendant la seconde guerre mondiale n’explore pas la judéité de leur personnage

Deux petites filles regardent leur voisin juif en train de prier.

Rendre femmage à cette résistante un peu trop mystique, un peu trop juive par rapport à la norme des enfants juifs de livres pour enfant.

Dans l’album, Marianne Cohn n’est pas seulement courageuse – elle découvre puis pratique « cette mystérieuse religion qui t’avait obligée à fuir ton pays ». D’ailleurs, elle pense « son destin comme lié à celui du peuple juif », lit la Torah, pratique le shabbat, rêve de la Palestine. Marianne Cohn n’est « ni seule ni déracinée ». La force de l’album est donc de retranscrire ce contexte culturel et spirituel dans laquelle la résistante juive semble puiser sa force et son courage. Il n’a pas les défauts d’une histoire trop scolaire, trop laïque, qui gommerait dans une morale universelle les particularismes de son héroïne. Finalement, c’est là où j’ai pris du plaisir : à rendre femmage à cette résistante un peu trop mystique, un peu trop juive par rapport à la norme des enfants juifs de livres pour enfant. Mais, Philippe Nessman nous montre bien que cette « identité » est dynamique : Marianne semble prendre conscience de sa judéité d’abord en subissant l’antisémitisme, puis ensuite en découvrant la religion de son voisin de palier.

Il y a quelque chose d’un peu trop élégant, trop grand, trop lumineux, trop sérieux dans l’ouvrage qui en fait justement sa saveur. Il n’est clairement pas « à hauteur d’enfant » : on admire mais on ne s’identifie pas. Et pourquoi pas ?

Portrait photographique de Marianne Cohn
Portrait de Marianne Cohn.

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