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Manipuler et préparer les esprits à accepter le pire…

Bonne vieille stratégie de manipulation que celle de violenter les individus à l’extrême, pour leur faire accepter, voire trouver bon, ce qui, en temps normal, aurait semblé inacceptable /inenvisageable.

Fameux pactes

La campagne contre les Pactes enseignants a été massive en 2023 pour en dénoncer les dangers : les pactes accentuent les inégalités salariales entre les femmes et les hommes et entre les catégories de personnels ; ils contribuent au dénigrement et à la dévalorisation de nos métiers en faisant croire que l’on peut être remplacé·e au pied levé, par des collègues d’autres disciplines ; ils suggèrent que le temps de travail hebdomadaire peut être augmenté sans conséquence ni pour la qualité du travail ni pour la santé ; les Pactes constituent en outre des augmentations de salaire individuelles, pour une partie des personnels seulement, qui se font au détriment des augmentations pour tou·tes.

Comment comprendre que, malgré ces arguments majeurs, les pactes fonctionnent dans certains établissements et chez certain·es collègues ?

A force d’appauvrir les personnels de l’éducation depuis 20 ans en faisant stagner le point d’indice, en n’augmentant pas les salaires, contre une inflation qui explose, les gouvernant·es ont préparé les esprits à se précipiter vers tout ce qui constitue une augmentation de la somme versée en fin de mois, même si ça contribue à casser les statuts (1) : missions supplémentaires, formations rémunérées pendant les vacances, heures supplémentaires, remplacements. C’est ainsi que, aujourd’hui, certain·es collègues du 2nd degré font jusqu’à 8h supplémentaires par semaine et, inévitablement, sont épuisé·es et disent manquer de temps pour se concentrer sur l’accompagnement des élèves, comme pour se reposer et faire autre chose que travailler.

À cet appauvrissement généralisé s’ajoute une stratégie de culpabilisation bien ancrée, concernant le fameux absentéisme des enseignant·es et ses conséquences pour les élèves. Des milliers d’heures perdues, des heures dues aux élèves, une irresponsabilité des profs qui s’obstinent à demander des formations sur leur temps de travail, un niveau qui baisse à cause de cet absentéisme : telles sont les attaques outrancières et répétées que les personnels de l’éducation subissent depuis une trentaine d’années. L’absentéisme, un épouvantail agité par les hiérarchies, des chef·fes d’établissement aux différent·es ministres, et par certaines familles demandant des comptes aux enseignant·es, et cela malgré les enquêtes et les débunkages effectués, expliquant que les personnels de l’éducation ne sont pas plus absent·es que les salarié·es du privé (2). Le sentiment de culpabilité s’accroît ainsi et conduit les profs à accepter de remplacer leurs collègues absent·es, parfois même à enseigner une discipline qui n’est pas la leur et cela, pour le bien des élèves, se persuadent-elles/ils.

L’autre face de la culpabilisation concerne le temps libre dont disposeraient les enseignant·es : trop de vacances ; un temps de service de 18h ! contre les 35h et plus du privé. Accusations pareillement démenties par les enquêtes (3), mais qui conduisent les enseignant·es à multiplier les justifications en comptant leurs heures de travail hebdomadaires, quand cela ne les conduit pas au surtravail : prendre des missions supplémentaires, multiplier les heures de projet sans être payé·es, montrer concrètement son dévouement aux élèves sans compter ses heures, comme si le cœur du travail quotidien, enseigner, ne suffisait plus pour être perçu·es comme professionnel·les et respectables.

Groupes de niveaux

Quant aux groupes de niveaux, les recherches (4) démontrent que cela ne fonctionne pas, ou à des conditions qui ne sont pas réunies par le projet gouvernemental (5).

Les groupes de niveaux nourrissent et entérinent les inégalités sociales. Ils impactent la confiance en soi des plus fragilisé·es et l’image qu’elles et ils ont de leurs capacités.

Pour les élèves de l’élite, cela accentue l’esprit de compétition, anxiogène pour tou·tes.

Le groupe classe est lui-même impacté par les groupes de niveau : moqueries et dénigrements, difficultés à travailler ensemble, esprit d’entre-soi.

Et pour les adultes, on peut craindre une spécialisation des enseignant·es (celles et ceux qui auront les groupes les plus fragiles, celles et ceux qui seront placé·es sur les groupes des élites) mais aussi une division et des tensions pour se répartir ces groupes.

Mais alors, comment comprendre que, parmi les personnels comme parmi les élèves et les familles, certain·es se réjouissent de la création de ces groupes de niveaux ?

C’est une stratégie similaire de casse du service public d’éducation qui a été créée et organisée par les différents gouvernements, générant le désarroi parmi les personnels et dans les familles, prêt·es à se satisfaire de solutions de fortune comme les groupes de niveaux.

Pour ne choisir que quatre ressorts de cette stratégie :

1/ Augmenter les effectifs et empêcher par là les personnels (d’avoir le sentiment) de faire un travail de qualité, les empêcher d’accompagner les élèves selon leurs besoins. D’année en année, nous avons vu les classes passer à 25, 27, 30, puis 36 élèves. Inévitablement, le travail collectif et individuel en souffre : le bruit, le manque d’espace, le temps de correction plus conséquent, le temps de la participation orale plus faible, le manque de temps consacré à chacun·e, les interactions, les conflits.

2/ En parallèle, on assiste à une incessante campagne politique et médiatique pour alerter d’une prétendue baisse du niveau, expliquée tantôt par la « mauvaise qualité » du travail des personnels de l’éducation, tantôt par le collège unique, cheval de bataille des réactionnaires cherchant à revenir à une école de la sélection et de l’élitisme.

Cette campagne sur la baisse du niveau génère inévitablement, chez les familles, un sentiment de désarroi et de peur pour l’avenir de leurs enfants, en particulier dans un contexte social où le chômage est important et brandi par les politiques comme une responsabilité individuelle.

3/ L’image des jeunes véhiculée par les politiques, les médias, mais aussi une partie des personnels de l’éducation contribue également à la volonté de trier les élèves. Il y aurait les faibles, forcément assimilé·es aux pauvres, aux agité·es, voire aux racailles, et il y aurait les bon·nes, montrant forcément plus de sérieux et de calme, alors que, nous le savons, la réalité est bien moins caricaturale.

La stratégie est de diviser les élèves en catégories afin de mieux les opposer, de faire croire que les un·es empêchent les autres de travailler et d’infuser dans les esprits l’idée qu’une séparation des élèves les préserverait.

4/ Plus inquiétante encore la volonté du gouvernement de ségréguer les élèves allophones et les élèves handicapé·es dans les groupes de niveau les plus faibles, comme si elles et ils ne pouvaient être compétent·es, comme s’il ne fallait pas se mélanger aux autres élèves.

Là encore, le désarroi des personnels et des familles a été organisé par une institution proclamant l’école inclusive mais sans en donner les moyens, sans former, sans recruter les personnels nécessaires et créant par là des situations explosives dans les classes surchargées, où le bouc-émissaire tout désigné est l’élève handicapé·e, parfois même l’élève d’origine étrangère.

Réalité difficile des classes surchargées, mise en avant des violences et de la baisse du niveau : on peut comprendre que face à ce tableau anxiogène, certain·es soient tenté·es par le choix du « sauve-qui-peut » individuel pour leurs enfants.

On peut comprendre, mais ne pas adhérer à une démarche qui nourrit l’individualisme et la division sociale, qui s’oppose à la coopération et à la solidarité qui se doivent pourtant se construire dès l’école et pour lesquelles toutes et tous, nous devrions nous battre.

De fait, Jérôme Fourquet, pour la Fondation Jean Jaurès, analyse ce qu’il appelle « la récession des riches » et alerte sur la disparition de la mixité sociale dans certains établissements, conduisant à « une autonomisation d’une partie des catégories les plus favorisées, qui se sentent de moins en moins liées par un destin commun. » (6)

Les groupes de niveaux pourraient ainsi entériner l’entre-soi des gens favorisés mais être aussi défendus par des familles de la classe moyenne ou défavorisée cherchant à pénétrer la classe sociale supérieure, à acquérir ses codes, notamment par l’école.

Dans ces stratégies de contournement, il faut bien le reconnaître, les personnels de l’éducation, qui connaissent bien les rouages de l’institution, peuvent avoir cette contradiction de mettre leurs enfants dans des classes de niveaux, tout comme ils et elles peuvent faire le choix de l’enseignement privé.

Service national universel (SNU) et uniforme

Instauré en 2019 avec la vocation d’être généralisé et rendu obligatoire, le SNU ne convainc ni les jeunes ni les organisations syndicales. Contre l’émancipation par l’éducation, le gouvernement entend dresser et soumettre la jeunesse. Contre l’investissement dans l’enseignement et dans les établissements scolaires, avec des personnels formés, le gouvernement veut dépenser des milliards dans un encadrement militaire, où se sont déjà multipliés les accidents et les violences (7).

L’uniforme, en expérimentation dès la rentrée 2024, a vocation, dit le gouvernement, à lutter contre les inégalités et à lutter contre le harcèlement scolaire et ceci, alors que les priorités mises en avant par les personnels sont la lutte contre la pauvreté et contre le chômage, les classes surchargées et le manque de personnels pour garantir un climat scolaire apaisé.

Et pourtant, il est des familles, des collègues même, qui sont convaincu·es du bien fondé de l’uniforme pour mettre tout le monde à égalité. D’autres pensent que le SNU est une bonne chose : « ça va leur apprendre ! », « ils vont voir ce que c’est », « c’est bien pour les jeunes qui manquent de repère », « ça va les dresser ! »

Car il s’agit bien de cela : des années de travail politique, avec la complicité de médias droitisants, pour présenter les jeunes comme des sauvages sans éducation, délaissé·es par leurs parents démissionnaires, obnubilés par des jeux vidéos violents, au mieux incapables de respecter l’autorité et les adultes, au pire volant, insultant, agressant autrui. Une jeunesse qu’il faudrait enfermer et dresser, qu’il faudrait domestiquer et soumettre, pour la sécurité de tou·tes.

Ce discours alarmiste et sécuritaire, installé d’année en année, peut trouver de l’écho dans les foyers et les salles des personnels.

De même, les attaques répétées contre les tenues vestimentaires des jeunes, et en particulier des filles, alimentent le mythe de l’uniforme comme solution pour apaiser les relations dans les établissements scolaires. Contre les jupes ou trop longues ou trop courtes, contre les pantalons ou trop larges ou trop serrés, contre les tuniques ou trop fermées ou trop décolletées, contre les couleurs ou trop ternes ou trop voyantes, l’uniforme est perçu, par certain·es, comme une manière de dissimuler les différences, de lisser les identités, d’anonymiser les individus afin de mieux les faire entrer, pense-t-on, dans les apprentissages.

Alors, face à cette volonté politique qui, de tous les côtés, nous attaque, nous opprime et nous divise, cette volonté qui, incessamment, allume de nouveaux feux, quels choix avons-nous, quel choix faisons-nous ?

Accepter la société telle qu’elle est et se construit, inégalitaire et injuste ?

Nous engager, collectivement, pour résister et construire des alternatives ?

Au milieu de ces attaques, trouverons-nous la force de rester debout, pour et avec les générations d’élèves qui arrivent et pour nous-mêmes ?

Jacqueline Triguel, Collectif Questions de classe(s), Cuse et SUD éducation 78

(1) Rappelons que les Pactes et autres primes ne sont pas du salaire. À la différence d’une réelle augmentation de salaire, les pactes et les primes dépendent de la bonne volonté hiérarchique à nous les accorder.

(2) Le rapport 2023 de la Direction générale de l’administration et de la fonction publique, cité par https://www.francetvinfo.fr/societe/education/vrai-ou-faux-les-enseignants-sont-ils-plus-ou-moins-absents-que-les-autres-fonctionnaires-et-que-les-salaries-du-prive_6308934.html

(3) Enquête de la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) sur le temps de travail des enseignant·es dans le 2nd degré public:

https://www.education.gouv.fr/media/20825/download

(4) Groupes de niveau : qu’en dit la recherche internationale ? (cafepedagogique.net)

Classes homogènes versus classes hétérogènes : les apports de la recherche à l’analyse de la problématique – Persée (persee.fr)

Groupes de niveau au collège : le nouveau choc – L’École des Lettres – Revue pédagogique, littéraire et culturelle (ecoledeslettres.fr)

Grande pauvreté et réussite scolaire : le choix de la solidarité pour la réussite de tous | Ministère de l’Education Nationale et de la Jeunesse

(5) Les conditions pour que les groupes de niveaux fonctionnent : développement préalable des compétences psychosociales des élèves, temps de concertation conséquent pour les adultes chargées de constituer les groupes, par exemple, d’après Romuald Normand, professeur des Universités à Strasbourg, interrogé par le Café pédagogique Groupes de niveau : qu’en dit la recherche internationale ?

(6) Jérôme Fourquet, Fondation Jean Jaurès:

https://www.jean-jaures.org/publication/1985-2017-quand-les-classes-favorisees-ont-fait-secession/

(7) Voir les accidents listés par SUD éducation : https://www.sudeducation.org/tracts/snu-non-merci/

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