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L’orthographe au quotidien ne se limite pas à la dictée

Pour remédier à la baisse du niveau en français des élèves, le gouvernement reprend les vieilles mesures… notamment celles de Jean-Michel Blanquer.  Parmi elles : le retour de la dictée quotidienne, car elle devrait permettre de « comprendre et de bien respecter les règles de grammaire et d’orthographe » apprises par les élèves.

Voici ce que j’avais écrit du temps de Blanquer. Si ça peut donner des idées pour enseigner autrement !

Lorsque le ministre évoque la dictée quotidienne comme un remède indispensable, il sait que pour une très grande partie de la population, cet exercice est auréolé de vertus comme l’est une potion pour bien grandir, même si elle est désagréable au goût – comme l’était l’huile de foie de morue.

En effet, pour beaucoup d’entre eux, la dictée était source de peine, de souffrance, voire de honte. Le zéro était bien partagé, cinq fautes suffisaient ! Le stylo rouge du maître ou de la maîtresse d’école n’était pas indulgent, il rayait sans pitié et écrivait le zéro d’un geste rageur. Des lignes des mots mal orthographiés s’en suivaient. 

La dictée parle donc à tout le monde !

Mais les élèves aux dictées à zéro ou à une faute étaient-ils meilleurs en orthographe ?

Guère plus que les autres, car dans leurs écrits personnels,  ils n’appliquaient guère les règles grammaticales et oubliaient les mots appris par cœur. La vigilance lors de l’exercice de la dictée ne se reproduisait pas dans les rédactions. Et pourquoi aujourd’hui en serait-il autrement ?

La dictée est dans l’esprit  du ministre comme dans la mémoire collective un texte lu par un professeur qui sera ensuite dicté plus ou moins rapidement avec une insistance sur la ponctuation et sur certaines syllabes notamment celles qui sont muettes en fin des mots pour les plus jeunes. Répétée tous les jours, elle devrait entraîner des automatismes (accords et application des règles). Le constat qu’elle n’améliore pas l’orthographe dans les situations d’écriture personnelle n’est guère évoqué.

La dictée réduit l’orthographe à un exercice, au lieu de la présenter aux élèves comme un moyen de produire un écrit lisible et respectueux des mots et des règles. D’ailleurs, c’est tout l’écrit qui est présenté comme un exercice : copie, rédaction… sont aussi ordonnées, exécutées puis notées.

Le désir, le plaisir, la nécessité, l’imagination, le jeu… sont laissés de côté et en dehors de la classe.

La dictée traditionnelle prônée par le ministre est peu efficace, mais il y a d’autres situations d’apprentissage, en voici deux :

1. La dictée coopérative

Pour ce travail, un texte choisi par la classe ou par l’enseignant est dicté à tous. La consigne pour les élèves est d’interrompre la dictée à chaque blocage ou même à chaque doute en levant la main. Ceux qui savent répondre à la question posée lèvent à leur tour la main ; ils interviennent, soit en faisant référence à une analogie « c’est comme… » ou à l’une des règles déjà étudiées, soit en épelant tout simplement le mot demandé ou en recherchant dans le dictionnaire…

Le but est évidemment que chacun parvienne à écrire sans erreur, mais surtout de revenir sur ce qui est théoriquement déjà connu dans la classe. L’argumentation est alors très importante et les outils, tels que les dictionnaires, les listes de mots, le classeur, le porte-vues ou le cahier de français (notions étudiées, règles) sont indispensables pour valider les propositions. Pour de nombreux élèves, l’estimation de ce qu’ils savent ou ne savent pas est difficile et il reste encore des erreurs dans leur dictée. La pratique régulière améliore la conscience de ses savoirs et autorise les essais sans craindre les erreurs.

Pendant la dictée, l’enseignant note les points qui posent problème, les difficultés rencontrées, les erreurs fréquentes. Le texte est ensuite transcrit au tableau par quelques élèves, ce qui donne l’occasion de revenir encore sur quelques difficultés.

Dans un second temps si besoin, une ou deux difficultés soulevées par la dictée peuvent donner lieu à un travail écrit. Par exemple, on prend une phrase du texte avec en filigrane la question des accords ou des terminaisons, et l’on réfléchit à ce qui se passe si l’on change le genre ou le nombre d’un déterminant, un pronom de conjugaison ou le temps…

Les points notés par l’enseignant pendant la dictée donnent lieu également à des entraînements. Les élèves reçoivent alors une fiche qui est travaillée pendant les temps de travail personnel. La correction est collective ou individuelle selon les besoins du moment de la classe.

Ce travail peut porter sur plusieurs domaines, par exemple :

– la grammaire : le texte de la dictée, dans lequel il faut repérer verbes, sujets, noms, déterminants, adjectifs… ;

– l’orthographe : mémorisation de certains mots, exercices d’accord avec des phrases ou des expressions du texte ;

– la conjugaison : travail sur les sujets et les verbes du texte (transformation de temps, de personne ou de sujets).

Lorsque la dictée coopérative met en évidence un problème qui se pose à tous et correspond justement à une notion du programme, une séance collective est lancée.

2. La liste de mots

C’est une technique qui répond à cinq idées très simples :

– la personnalisation ;

– un patrimoine de mots communs ;

– l’imprégnation d’un code qui n’est qu’une convention ;

– des séances courtes, mais fréquentes ;

– l’utilisation de la mémoire.

Chaque élève dispose d’une grille sur laquelle sont reportés les mots, expressions ou fragments de phrases qu’il devra apprendre par cœur. Il va les copier, et s’adonner à une petite accumulation personnelle sur un problème souvent rencontré dans ses écrits. Des mots isolés, mais aussi des unités plus complexes qui pourront induire une imprégnation, une automatisation d’accords et la mémorisation d’expressions couramment utilisées.

C’est un rituel quotidien. Les élèves prennent leur grille et leur cahier. Tout le monde alors lit plusieurs fois les mots ou expressions et les copie cinq fois ou plus (le nombre de mots ou d’expression dépend de l’âge et du  niveau des élèves). Ils peuvent disposer d’un cache pour leur permettre de dissimuler au fur et à mesure ce qu’ils copient et ainsi faire fonctionner leur mémoire.

Après trois séances, les élèves se mettent par deux et se dictent mutuellement les mots appris. Chaque mot bien orthographié est coché. Un mot sort de la liste à apprendre s’il a été correctement écrit trois fois ; il est alors barré et considéré comme « acquis ». Mais ce serait se leurrer de croire que cet acquis est solide et définitif ! Le mot peut alors être réinscrit un peu plus tard dans la liste. 

Mais bien sûr les dictées même coopératives ou mutuelles ne suffisent pas. L’écriture régulière de textes personnels est indispensable non seulement pour utiliser ce qu’on apprend, mais surtout pour nourrir ce qu’on apprend et lui donner sens.

Au contraire de la rédaction, l’écriture d’un texte personnel n’est pas un exercice, l’écrit peut sortir du cahier, du classeur pour être publié (article du journal, du blog, lettre, recueil…). Il confère à l’élève un statut d’auteur et la prise de conscience d’un certain pouvoir. L’écriture d’un texte personnel repose sur un certain nombre de libertés réelles : choix de la taille du texte, choix du thème, absence de pression sur les erreurs orthographiques et les incorrections syntaxiques. Cet écrit peut émerger d’un atelier d’écriture ou plus librement pendant un temps de travail personnel en classe ou à la maison. Ce qui est important, c’est que des enfants, des adolescents arrivent à avoir un rapport d’intimité et de plaisir avec l’écriture.

Le texte personnel n’est pas isolé des autres situations d’écrits de la classe (écrits sociaux motivés par les projets individuels ou collectifs, écrits scientifiques, écrits documentaires, comptes-rendus).

Lorsque la production de textes est bien lancée dans la classe, que les élèves écrivent souvent, il devient possible d’y relier un travail d’étude de la langue, car il ne faut surtout pas risquer de paralyser l’expression.  

Voici quelques situations pédagogiques en travail personnel de correction et d’imprégnation d’un élève sur son écrit,  puis en travail collectif et coopératif autour d’un texte. 

 1. En travail personnel  

Il s’agit de situations qui vont permettre à l’élève de mener seul son travail de relecture, de correction, d’imprégnation, d’apprentissage de mots, d’entraînement et de consolidation.

La grille de relecture

Il est difficile pour un élève de se concentrer à la fois sur son expression et sur une rigueur orthographique. Lorsqu’il se retrouve en situation réelle d’écriture, il ne réinvestit que très mal ses connaissances – même si elles sont excellentes – des multiples règles de grammaire ou de conjugaison. C’est bien ce qui fait la faillite de la conception de l’apprentissage de l’orthographe séparée de la production d’écrit, privilégiant l’automatisme et la centration sur l’exercice à la réflexion sur la langue. 

Chaque élève dispose d’une grille de relecture dans son cahier d’écriture ou dans un protège-document. C’est une liste de vigilances, elle est mise en route dès le premier texte de l’année. Il n’y figure alors qu’une seule vigilance, par exemple « passer des lignes ». Cette liste sera augmentée progressivement tout au long de l’année en intégrant les différents apprentissages de la classe.

Après avoir terminé sa production, l’élève relit son texte avec la grille et rectifie ses erreurs avant de le mettre à corriger. S’il a respecté les différents critères de la grille en cours, l’enseignant validera (un point vert ou autre code) sinon il relira ! Lorsque la relecture est validée, l’enseignant corrige seul et/ou avec l’élève tout ce qu’il ne peut faire seul. C’est aussi à ce moment-là que la liste de mots se complète et  que les indications d’entraînement s’inscrivent.

La mise au propre

Ce travail est très important autant pour la mise en valeur du texte que pour l’imprégnation qu’il provoque. En effet, l’exigence de l’enseignant est essentielle, que ce soit à la main ou par l’intermédiaire de l’ordinateur, le texte doit être recopié sans aucune erreur. Les illustrations (dessins ou photographies) pourront librement jalonner le cahier ou le classeur au gré des productions. 

Le travail avec des fichiers ou autres outils

L’enseignant porte des indications d’entraînement suite aux différentes erreurs produites (en marge du texte corrigé par exemple), elles demandent à l’élève de se reporter à une fiche qu’il va devoir travailler pendant les temps de travail personnel. Cet entraînement va lui permettre l’imprégnation des mots ou expressions appris par cœur dans les listes, des règles rencontrées et ainsi amorcer les premiers pas d’une généralisation. 

2. En travail collectif et coopératif  

La mise au point d’un texte

Cette mise au point est organisée à partir d’un texte d’élève choisi par la classe lors des présentations de textes que ce soit pour le journal, pour le blog, pour des correspondants…. Ce travail est conçu comme une sorte d’ « arrêt sur image » qui contrairement au travail personnel fondé le plus souvent sur l’imprégnation et l’automatisme, permet de prendre le temps de la réflexion sur les mécanismes de la langue, en se détachant de la production immédiate, mais sans pour autant se trouver complètement décroché. Ce travail permet la mutualisation de savoirs individuels, la possibilité d’essayer et d’évaluer sans risque ses propres connaissances et de donner un sens aux référentiels du programme tout en prenant conscience d’augmenter ses propres capacités pour une expression future.

L’enrichissement de la langue est très présent dans ce travail : recherche de synonymes, de mots plus précis, d’expansions plus riches… 

Pour conclure

Comment les nouvelles connaissances vont-elles se fixer ?

Pour toute la classe, avec un ou plusieurs exercices surtout basés sur des transformations, en insistant sur les références issues des derniers travaux collectifs et en rappelant régulièrement les concepts et lois trouvés.

Individuellement, selon les erreurs commises, en faisant porter le travail personnel sur des fichiers ou exercices ciblés.

Et la question de l’évaluation ?

L’orthographe demeure le domaine qui résiste le plus à toute tentative rationnelle de faire le point sur les acquis. La seule voie possible est alors l’observation attentive des premiers jets d’écriture de textes pour noter les progrès accomplis.

Les concepts et lois trouvés ne s’apprennent pas par cœur, les rappeler souvent, les faire fonctionner dans des exercices créés au plus près des besoins sont bien plus profitables. En revanche, les conjugaisons feront l’objet d’un apprentissage systématique au fil des travaux collectifs, sans oublier la liste personnelle de mots. Des évaluations sont alors réalisables pour confirmer ses progrès à l’élève, mais aussi informer les familles.

Le travail sur l’orthographe est complexe et ne s’arrête pas aux seuls moments d’étude de la langue, il rejaillit dans toutes les disciplines. La préparation d’un exposé, la lettre à un correspondant, le résumé d’histoire ou de géographie, le travail sur un site ou un blog… sont autant de situations de mise au point orthographique.

L’orthographe n’est pas une fin en soi, mais c’est un atout personnel qui se construit par l’expression et la lecture quotidienne tout au long de sa vie, si tout au début des apprentissages pour chaque individu, on a su garder précieusement le désir d’écrire et de lire.

2 Comments

  1. Cécile

    Texte très intéressant que je vais diffuser à mes collègues PE ! J’aimerais rajouter cette idée qui a changé mon rapport à l’enseignement de l’orthographe (idée entendue au sein du GFEN ?) :
    être un bon “orthographieur”, c’est être un bon lecteur !
    Quand je lis le mot “conte, comte, compte”, si je suis fort en orthographe, je suis tout de suite sur la bonne voie de sens… Je peux aussi utiliser la notion de famille de mot : tel radical est dans ce mot que je ne connais pas mais. (ex : comptabilité)…
    Je passe beaucoup de temps à travailler l’orthographe en situation de compréhension d’un texte lu du coup, et bien sûr mes élèves écrivent beaucoup…

  2. Françoise Clerc

    La dictée traditionnelle telle que défendue par ces messieurs les ministres macroniens relève d’une confusion assez courante dans les courants dominants de la pédagogie, entre situation d’apprentissage et situation d’évaluation. La dictée d’un texte lu à haute voix par le professeur ne peut servir qu’à évaluer des acquis. Même la correction qui suit n’est pas suffisante pour favoriser l’apprentissage car si un élève a fait une faute, il y a certainement des raisons à cette erreur qui ne seront pas déconstruites facilement par la correction. Le rappel de la règle n’a une chance d’être efficace qu’en cas d’étourderie. Une situation d’apprentissage sert à construire un savoir. Il y faut du temps, de la recherche, de la coopération et une capacité d’autoévaluation. La multiplication des situations d’évaluation ne produit pas de la connaissance mais sert à effectuer un tri entre ceux qui savent déjà, et ceux qui ne connaissent ni les codes ni les règles, dans les deux cas en raison d’une distance plus ou moins grande avec la culture scolaire. En d’autres termes, la multiplication des évaluations favorise les détenteurs d’un fort capital culturel.

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