Cette année, dans ma classe de 5e, j’accueille Joshua, un élève qui a des troubles autistiques. Rozalia est la collègue AESH qui l’accompagne plusieurs heures par semaine en français. Elle accomplit un travail de reformulation, d’explication et de stimulation essentiel – et conséquent ! – pour permettre à Joshua de profiter pleinement des inclusions.
La coopération entre Rozalia et moi a mis quelques semaines à s’installer, chacune tâtonnant avec précaution vers l’autre. Mais depuis, les échanges sont nombreux et constructifs, bien que nous manquions cruellement de temps accordé par l’institution pour construire, avec Joshua, un cheminement scolaire à la fois individuel et inclusif.
Ce lundi-là, il y a évaluation ! Joshua va devoir travailler sur une compréhension de texte. Et, il faut bien le dire, depuis le début de l’année, les différentes tentatives que nous avons faites avec Rozalia ont échoué. Texte trop long, images mentales inaccessibles, mémoire de travail réduite, trouble de l’attention, fatigabilité, etc. De tentative en tentative, je voyais Rozalia perdre confiance, tant elle avait à cœur de voir Joshua gravir cette marche. De son côté, Joshua ne trouvait pas autant de plaisir en lecture que lors des activités de recherches ou d’écriture, dans lesquelles il est plus à l’aise. De plus, malgré nos sollicitations, il lui était difficile d’expliquer de quoi il aurait eu besoin pour y arriver mieux.
Pour cette évaluation, nous travaillons de nouveau de concert avec Rozalia, en nous appuyant cette fois sur différentes recherches sur la compréhension de texte chez les élèves à troubles autistiques : raccourcir le texte, le lire par étapes en posant les questions en amont, prévoir un système de repérage par couleur des personnages, des actions, des lieux, etc. À cela j’ajoute la nécessité ne pas éliminer les inférences et l’interprétation personnelles, pour ne pas réduire le travail sur le texte à une simple recherche d’informations. Il semblait important de garder cette porte ouverte, tout en ayant conscience qu’elle constituait une difficulté supplémentaire pour Joshua qui a du mal à formuler un avis personnel, à exprimer un ressenti sur son quotidien, et encore moins à partir d’une lecture.
Lundi arrive.
À 8h, nous sommes en salle des personnels avec Rozalia. Nous revoyons le sujet, discutons de la démarche à adopter durant l’heure. Je sens le stress chez elle comme chez moi. Sans doute mettons-nous trop d’enjeu sur ce travail…
11h30, les 5e entrent en classe. Je distribue le sujet aux élèves, Joshua ayant le sien. Le temps d’expliquer les consignes, de répondre aux questions, je jette un œil à Rozalia, qui a commencé le travail avec Joshua. Pendant toute l’heure, je circule, vais voir les un·es et les autres, sollicite celles ou ceux qui bloquent devant une difficulté. C’est calme du côté de Joshua. Il note ses réponses au fur et à mesure. Pas de tension. Pas d’incessantes reformulations de la part de Rozalia. Je m’approche, entends Joshua prendre le temps de réfléchir en répétant plusieurs fois la question – conséquence de son trouble – puis formuler une réponse tout à fait correcte. Je croise le regard de Rozalia et j’y vois de la satisfaction, miroir de la mienne.
L’heure se déroule. Petit à petit, je sens une tension du côté de Joshua. Mais une tension de joie et d’enthousiasme, car tout se passe bien, même la question demandant de faire des inférences à partir du texte. À la fin, il me remet sa copie tranquillement et nous échangeons sur son ressenti, simplement formulé : « oui, ça va. J’ai compris. J’ai réussi à bien répondre. ». Rozalia, transportée par cette réussite, le félicite, tout comme moi.
Et derrière son masque, nous voyons le sourire de Joshua, si rare !, un sourire qui illumine son regard.
Jacqueline Triguel
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Illustration : Library of Congress