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Les fautes de Pap Ndiaye

Voici quelques années je pouvais écrire en incipit d’un ouvrage intitulé “Restez assis les enfants ! : chroniques pour une pédagogie libertaire” ceci : Il est dans toute société des tâches inéluctables que nul ne choisirait d’accomplir… s’il avait le choix. Comment alors sont désignés celles et ceux qui auront, leur vie durant à assumer ces besognes prosaïques, fort souvent mortifères ? 

Telle est, au fond, la question à laquelle doit répondre tout projet éducatif soucieux de justice sociale. […]. Cette question est sans cesse posée depuis des millénaires et sans cesse chassée d’un revers de main. 

Geste que Pap Ndiaye, à son tour vient de commettre. Voyons de plus près (Le Monde, 22/12/22). 

Première faute : “ Les enfants du peuple sont entrés au collège, puis au lycée”.  

Faux ! Les enfants du peuple sont entrés dans certains collèges et certains lycées car chacun le sait, un collège ZEP/REP de la banlieue parisienne n’a que peu à voir avec un collège du cinquième arrondissement comme un lycée pro de la même banlieue n’a rien à voir avec un lycée de ce même arrondissement.  

Deuxième faute : “A l’heure où pourtant le système scolaire conduit 8O% des élèves au bac…  

Faux ! La faute ici est tout entière dans l’utilisation abusive du mot “bac” qui évoque encore dans bien des esprits le “Bachot” d’antan, premier titre universitaire, alors que le bac général préparé dans les plus ou moins prestigieux lycées du centre-ville n’a rien à voir avec le “bac pro” qui concrètement ne permet même pas l’accès à l’université. Le mensonge, on le sait, ne date pas d’aujourd’hui mais du mandat de ce socialiste de gauche que fut J.P. Chevènement. 

Faute suivante (j’en passe quelques-unes) :  “le niveau d’ensemble baisse”.  

Mantra psalmodié depuis Platon et qui nécessiterait pour le moins que soit explicitée la notion de “niveau”, plus encore celle de “niveau d’ensemble”. Les lignes suivantes de l’exposé ministériel nous révèlent qu’il s’agit essentiellement d’orthographe et de mathématiques dont le niveau est observé par les “évaluations nationales et internationales” sans que l’on s’interroge le moins du monde sur le sens, les objectifs et la pertinence de ces évaluations.  

Suggérons simplement à cet égard que depuis le temps, depuis que l’on entend le mantra sur tous les tons on ne peut que se demander comment ce pays fonctionne encore, comment des femmes et des hommes écrivent de superbes histoires, comment des commerçants commercent malgré leurs lacunes, comment des mathématiciens et des physiciens poursuivent leurs recherches, comment le moindre gamin ou gamine sait “surfer sur le net ”en virtuose.  

Le ministre aurait-il oublié que l’orthographe et les mathématiques ont toujours été, dans l’école de la République, les marqueurs et les instruments de la ségrégation sociale ? Aurait-il oublié qu’il est des enfants qui dès leur naissance baignent dans la parole bien dite et bien écrite, dans l’art et dans les sciences quand d’autres ne connaissent que “le prosaïque” (E. Morin) des besognes et servitudes assumées par leurs parents ?   

Alors que faire ? Des choses simples dit le ministre : travailler régulièrement l’orthographe, la conjugaison et la grammaire, consolider encore ou approfondir le français et les mathématiques en 6e. 

Mais que fait-on depuis Jules Ferry sinon ces choses simples-là ? Seulement ce n’est pas si simple justement, il existe au moins deux manières d’aborder l’orthographe et la grammaire. Celle que je dirai “impositive” qui se donne pour objectif d’inculquer des règles à tout prix (inculquer signifie étymologiquement enfoncer en tassant avec le talon) et celle que je dirai volontiers d’appropriation active, pédagogie active, donc, toujours pratiquée par-ci, par-là mais ignorée de l’institution alors qu’elle a largement fait ses preuves d’Ovide Decroly à Célestin Freinet entre autres militants de l’éducation nouvelle.  

Faute suivante (je saute encore) :  L’égalité des chances. 

Tout a été dit depuis des années sur cet artifice idéologique qui associant deux termes pour le moins “oxymoriques” se révèle comme une imposture, la rigueur absolue de l’égalité s’opposant aux hasardeuses “chances” quelles que soient les acceptions de ces dernières. Imposture nécessairement associée à cet autre artifice, ce fameux mérite auquel pourtant Spinoza régla son compte à la fin de son Éthique après avoir réglé celui du libre-arbitre (plus récemment on peut voir sur ce point, entre bien d’autres “La tyrannie du mérite” de Sandel, 2021 et “le mérite contre la justice” de Marie Duru-Bellat, 2009). 

Mais il suffit pour les fautes car nous ne pouvons qu’être d’accord avec la volonté exprimée par le ministre de “favoriser” la mixité. Comment cependant ne pas faire preuve de quelque scepticisme quand on se souvient des bonnes intentions du ministère Savary en 1981-82 lors de la création des ZEP, zones d’éducation prioritaire qui se sont très vite muées en zones de relégation et de pacification sociale. 

Comment, enfin, ne pas être (presque) d’accord avec Pap Ndiaye quand il conclut : 

 “ l’école est un espace physique, où le bien-être est une condition de la réussite. Là aussi, la promesse émancipatrice doit prendre en compte les inégalités entre les élèves si l’on veut leur permettre un accès égal à la connaissance”. 

Je dirais pour ma part que l’école est un lieu de vie dans lequel des enfants apprennent de toutes les façons possibles de manière à découvrir “ce qu’il leur plaît de faire”, leur talent propre dit-on aussi, et à le réaliser aidés par les adultes qui les accompagnent. N’est-ce pas cela l’émancipation voulue par l’école républicaine selon les mots du ministre lui-même ? 

N. Romero

L’article de nestor Romero sur le club Mediapart : https://blogs.mediapart.fr/nestor-romero/blog/231222/les-fautes-de-pap-ndiaye

1 Comment

  1. Ping :Écoles d’art en danger !

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