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Le volontarisme des classes populaires.

Une vision misérabiliste des élèves issus des classes populaires consiste à les définir par rapport aux manques provenant de leur milieu familial. Ils sont alors perçus comme étant en situation de handicap socio-culturel.

L’engagement dans la tâche

Les études effectuées par les psychologues sur la réussite scolaire dégagent l’importance de la capacité d’engagement dans la tâche du sujet apprenant. L’engagement dans la tâche se traduit dans le langage courant par l’enthousiasme, la détermination, la persévérance…Cela constitue un des facteurs déterminant pour développer ce que les psychologues appellent un talent. Cette notion désigne une performance de haut niveau atteinte dans un domaine particulier par un exercice systématique.

Il est fréquent d’imputer aux familles des milieux populaires des attitudes qui seraient un obstacle à la réussite scolaire. Pourtant la capacité d’engagement dans la tâche n’est pas moins présente dans les milieux populaires, en particulier immigrés. Pour ma part, je n’ai jamais perçu ma capacité de travail dans mes productions universitaires* que comme la transposition de mon habitus familial. Ainsi, comme beaucoup d’enfants d’immigrés de la communauté portugaise, j’ai vu mes parents enchaîner plusieurs emplois mal payés dans une même journée pour tenter d’accéder à la propriété. Les jeunes issus de l’immigration portugaise, qui font souvent peu d’études longues – surtout les garçons –, ne manifestent pas moins d’engagement dans la tâche dans leurs emplois d’ouvrier que leurs parents.

Les jeunes issus des milieux populaires ne manquent pas plus que ceux des autres classes sociales de capacité d’engagement dans la tâche lorsque l’on constate la persévérance qu’ils peuvent déployer dans des activités sportives ou artistiques. Les médias sont d’ailleurs prompt à mettre en scène des images de sportifs ou de « pop star », issus des milieux populaires, qui doivent leur réussite à un travail acharné. Néanmoins, force est de constater que les modèles de réussite qui sont proposés aux adolescents des milieux populaires ne sont pas ceux de l’émancipation par le savoir. Or, les mouvements noirs ou homosexuels aux Etats-Unis ont mis en relief l’importance de modèles positifs d’identification dans une construction émancipatrice de soi.

Les obstacles sociaux et institutionnels

Certes, il existe des différences de capital culturel entre les familles des classes populaires et des classes moyennes supérieures. Celles-ci tiennent en particulier dans la maîtrise du langage. Mais l’exemple de la capacité d’enfants primo-arrivants à maîtriser les structures de la langue du pays d’accueil montre qu’il existe chez les enfants une puissance d’apprendre susceptible de compenser en partie les inégalités sociales. Il faut donc sans doute plutôt que de centrer les difficultés du côté des familles ou de l’élève lui-même, se demander quels sont les obstacles produits par la société et l’institution scolaire qui contribue à l’échec de ces enfants dans leur maîtrise des savoirs intellectuels.

Ainsi l’un des corollaires de l’absence de modèle identification positif tient sans doute à la réduction dans la société française de l’acquisition des savoirs scolaires à l’ascension sociale. Or le cas de la réussite scolaire des filles montre que les deux ne sont pas nécesairement liés. Néanmoins, il faut bien avouer que lorsque l’on est une femme on a socialement intégré la dissociation des deux. Cependant, pour un garçon, au vu du statut social de la masculinité, il s’agit sans doute d’une situation plus difficile à admettre. Cette réduction de la valeur du savoir scolaire à la lutte des places sociales conduit à leur dévalorisation pour ceux qui savent que l’accès au diplôme ne leur confère pas l’accès à l’ascension sociale. A quoi bon alors faire des études si on sait que le rendement social de son diplôme sera faible ? Pourquoi faire des études, si l’on va être discriminé à l’embauche ? On peut ainsi pointer la responsabilité sociale d’une société néo-libérale qui a réduit la question de l’émancipation intellectuelle à celle de l’employabilité. Mais à vrai dire, l’on comprend bien pourquoi ; cette société n’a guère intérêt à se retrouver comme au Maghreb avec des cohortes de jeunes très diplômés sans travail. On sait en effet – les révolutions du Printemps arabe en constitue un exemple – qu’il s’agit d’une population peu encline à admettre ce décalage entre son niveau d’études et sa situation sociale.

* Une étude de la psychologue américaine Anne Roe, The Making of a Scientist (1953), réalisé à partir d’une soixantaine de scientifiques américains reconnus par leurs pairs, avait montré que ceux-ci ne se distinguaient du reste de la population pas par des aptitudes intellectuelles supérieures, mais par leur capacité à s’investir dans leur objet d’étude.

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