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Le SNU : cache-misère d’une école inégalitaire

Brassage social, mixité sociale, vivre ensemble : les éléments de langage mis en avant de façon récurrente pour justifier la mise en place du SNU (service national universel) – et souvent partagés par une large partie de l’opinion publique toujours sensible au mythe égalitariste de la conscription – se heurtent pourtant à la réalité des choses, notamment celles d’un système scolaire profondément inégalitaire qui ne met jamais les élèves en situation d’échapper au déterminisme social. La constatation n’est certes pas nouvelle : l’école de la 3e république, fondée sur une séparation stricte d’un cursus primaire pour les enfants du peuple alors que les études secondaires (payantes jusqu’en 1930) étaient réservées aux milieux favorisés, est contemporaine des gros bataillons de conscrits censés symboliser un principe d’égalité qu’une république d’essence bourgeoise n’a dans les faits jamais cherché à mettre en œuvre. Quelques années de discipline militaire abrutissante ne pouvaient donner le change qu’à condition de confondre égalité et uniformité.

Une confusion qui, de fait, vaut toujours pour le SNU, organisé autour de deux semaines d’encasernement en uniforme qui dispensent le système éducatif – et la société qui s’en accommode – d’avoir à se remettre en cause. De fait, comme l’écrit Jean-Paul Delahaye dans un article au titre évocateur, « la France reste l’un des pays où l’origine sociale pèse le plus sur les destins scolaires. Notre élitisme est tout sauf républicain, il est essentiellement un élitisme social qui ne veut pas dire son nom.» Une situation observée par exemple pour les élèves décrocheurs parmi lesquels 5 % sont des enfants de cadres et 45 % des enfants d’ouvriers. Ou encore dans le fait que si « 90 % des enfants d’enseignants et de cadres supérieurs qui entrent en 6e obtiennent un baccalauréat sept ans après, cde n’est le cas que pour 40 % des enfants d’ouvriers ». Encore ne s’agit-il pas du même bac pour tous : général pour les premiers, professionnel ou technologique pour les seconds.

Mais cette situation se dessine très amont du bac (et de la classe de 2nde dont le gouvernement prétend faire le support du SNU…) : en France, en dépit des déclarations officielles, « on ne scolarise pas ensemble ». La ségrégation des établissements n’est qu’un des éléments d’une « ghettoïsation » du territoire que les pouvoirs publics ont laissé se développer pendant des décennies : « 12 % des élèves – rappelle Jean-Paul Delahaye – fréquentent un établissement qui accueille deux tiers d’élèves issus de milieux socialement très défavorisés (ouvriers, chômeurs et inactifs) ». Une ségrégation qui s’observe également à l’intérieur d’un même établissement, notamment en collège, par le jeu des options, une pratique que le précédent gouvernement avait timidement tenté de freiner avant que Blanquer ne revienne en arrière. Aidé, il est vrai, par la complaisance d’une bonne partie du corps enseignant et des parents.

En outre, il est indéniable que les choix budgétaires officialisent et confortent la discrimination sociale, comme l’atteste le montant des dépenses alloué par la collectivité aux différents degrés de scolarité : 6000 euros par élève et par an à l’école élémentaire, 8500 euros en collège, plus de 11 000 euros en lycée…plus de 14 000 euros en CPGE. Autrement dit, alors que l’école élémentaire scolarise indistinctement tous les enfants, la collectivité lui attribue deux fois moins qu’à un élève de lycée qui a déjà fait l’objet d’un tri sélectif, nettement moins encore qu’à un élève de classe préparatoire pratiquement toujours issu d’un milieu favorisé. Donc, des choix budgétaires contraires à ce qu’on attendrait d’une politique de justice sociale. Et ce ne sont pas les 3 milliards d’euros qu’il est prévu de prélever chaque année sur les budgets éducatifs pour financer le SNU qui contribueront à améliorer la situation.

Enfin, puisque 15 jours de vie commune dans le cadre du SNU sont considérés par les promoteurs du projet comme indispensables au brassage social, on ne peut s’empêcher de mettre cet argument en regard… des 18 jours de classe supprimés chaque année aux écoliers par le passage à la semaine de 4 jours, l’équivalent d’une demi-année d’école amputée de la scolarité élémentaire.

Vu sous cet angle, le SNU apparaît d’abord comme un élément de communication, le cache-misère d’une Education nationale qui n’a jamais été en mesure de donner corps à un véritable projet de mixité sociale.

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