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La personne inconnue des enfants du désir

« On devrait laisser croître dans les enfants, ce pour quoi ils sont faits, quelle que soit la direction prise par leur désir : l’espoir du futur, pour chacun d’entre eux, c’est leur « personne inconnue ». » Korczak

Janusz Korczak , était un pédagogue qui développait ses projets éducatifs innovants, au cours d’une période particulièrement troublée.

Le contexte dans lequel il créait et gérait des structures innovantes pour les enfants en situation de rue, les enfants pauvres et précaires, victimes des violences sociales et politiques de leur temps, avait ceci de commun avec le nôtre, qu’il était clair que demain allait être plus difficile qu’aujourd’hui; que les moyens des acteurs sociaux et éducatifs, leur condition de vie , même allait se dégrader comme leurs possibilités apparentes de travail et de projet.

Cet à venir menaçant qui pèse hier et aujourd’hui sur toute entreprise éducative, ne se limite pas aux éventuels fléaux et catastrophes qu’on ne peut jamais vraiment comparer d’une époque à l’autre. Non ce qui est commun au delà de proportions et réalités différentes , c’ets l’effet qu’un tel avenir produit sur le climat éducatif que dès lors on subit, et ses effets. Cet effet est destructeur: inhibitions de projets et d’initiatives, dévalorisation de ceux qui existent

L’effet sur les pratiques éducatives et sociales, inhibiteur et limitatif s’impose partout: recherche d’effets mesurables, à court terme. Il faut mettre chacun dans des cases.

La Pédagogie sociale, dans le même contexte difficile, développe une toute autre logique; sur la voie de Korczak, elle insiste sur l’insignifiance des objectifs à court terme , des projets utilitaires, et volontaristes. Gaspillage et temps perdu, aurait considéré Korczak qui était particulièrement sceptique vis à vis des objectifs vertueux, et des possibilités de changement des personnes et des situations.

A l’inverse , il préconisait une pédagogie qui visait non pas l’enfant présent ici et maintenant mais la personne inconnue qui’ll allait lui même découvrir en lui, au cours de sa propre vie.

Nous assistons aujourd’hui au grand retour du révélationnisme. On nous invite à dépister et repérer de plus en plus tôt les signes de tous les maux de notre époque: hyperactivité, radicalité, délinquance , illettrisme… Même; les acteurs sociaux et éducatifs se retrouvent ainsi petit à petit pris par une triste pensée du « déjà là « .

Les gens seraient déjà programmés depuis l’enfance et ce qui compterait, ce serait de repérer leurs problèmes initiaux, au plus tôt. C’est une croyance dans une vision de la vie au cours de laquelle, ce qui serait virtuel, trouverait toujours à s’actualiser. C’est aussi une absence de foi totale ou de confiance suffisante dans la réalité et la qualité de nos actions, de notre éducation et de tout travail social et éducatif possible. A quoi bon en effet si, au final, tout était écrit?

Korczak opérait par un renversement total. Nul ne connaît quiconque par avance et ne se connaît soi même , tant qu’il ne connait pas la fin de son histoire. Loin d’un idéalisme ou d’un romantisme porté sur l’enfant, il considérait au contraire que l’enfant était et allait être comme nous tous, la somme de ce que nous faisons, agissons et vivons, à partir d’aujourd’hui. Et donc nous avons tous, société et institutions, mais aussi acteurs éducatifs en tête, un rôle essentiel à jouer.

Il écrivait ainsi que le destinataire de notre éducation ne pouvait être que « la personne inconnue des enfants du désir ». Plutôt que de se préoccuper que de l’observation et de l’examen de leurs failles et potentiels, ce dont on devrait assurer la croissance chez eux, ce serait davantage leur capacité à se construire et connaître eux mêmes.

Plus que jamais les institutions d’aujourd’hui broient les désirs et les espoirs des enfants; elles le font avec d’autant plus d’application et d’importance qu’elles le réalisent au nom de leur bien, et en s’appuyant sur l’absences de perspectives de notre époque . « Tu voulais faire de la cuisine? Tu iras en coiffure. Tu voulais faire du social, tu iras en service à la personne. Tu as des compétences de niveau professionnel déjà là en toi, que nous pouvons tous voir? On te bloquera sur des disciplines scolaires qui n’auront rien à voir ».

Freinet avait observé il y a si longtemps cette capacité des enfants à développer des capacités étonnantes et à s’adapter à des changements qui ne sont même pas arrivés, si on leur laissait seulement les rennes de leur propre éducation.

En Pédagogie sociale, dans le travail de rue, en dehors de tout programme et de toute assurance, nous voyons peu l’effet de notre travail mais nous en ressentons l’impact par notre proximité avec les enfants eux mêmes. Celui à qui on s’adresse à travers eux , collectivement et individuellement, est justement cette personne inconnue avec des qualités uniques et étonnantes.

C’est cette personne en eux qui répond aux situations, qui noue des relations , qui s’ouvre et s’épanouit avec la confiance. C’est cette personne en eux qui leur donne rendez vous avec leur propre histoire, qui revient , qui s’entête et qui trouvera toujours une voie pour s’imposer.

Il n’y a pas besoin d’institution, il n’y a pas besoin de murs pour travailler ainsi. Il n’y a besoin que de l’accès à tous les langages culturels et humains, à la possibilité de créer , de travailler et de produire ici et maintenant .

Ce nécessaire travail de construction de la personne est en friche et ne peut plus se réaliser qu’en dehors des institutions, des services et des structures , dans un temps et un espace qui sont ceux de la rencontre et de la durée.

Interrogeons nous sur une société qui se prive des personnes remarquables de ses propres membres et qui les remplace par des individus standard et impuissants ; interrogeons sur l’avenir d’une société qui n’ a plus la ressource de ses enfants perdus. Interrogeons nous sur une société qui inhibe et détruit tous les destins remarquables qui ne demandent qu’à s’épanouir et les transforme en énergie destructrice, en sacrifice insensé, qu’elle aura grand peine à contenir.

Les personnes inconnues que nous n’avons pu découvrir ou laisser se faire connaître sont autant d’enfants que nous avons perdus ou que nous nous condamnons à ne plus être. Ils sont les inconnus, les revenants et les fantômes de notre société. En se privant d’eux, elle se mutile.

Graines d’orties

Association Intermèdes-Robinson

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