C’est l’histoire d’une librairie tenue par des grenouilles, écrivant, éditant et vendant des livres par et pour les grenouilles. Tamiko Yagi, l’autrice – illustratrice, décrit avec précision par ses textes mais surtout par ses dessins, l’organisation et le processus de fabrication des livres dans sa librairie des grenouilles. Malgré la simplicité de la langue – l’album est dit « à partir de 3 ans », elle construit un monde très réaliste où les grenouilles éditent de la littérature. Saviez-vous qu’elles avaient inventé un alphabet ? Que les couvertures des livres étaient « découpées dans des mues de serpent ou tissées à partir de fibres de tiges de lotus » ? Que leur modèle, le premier album découvert par le fondatrice de la librairie, était Mon ami la grenouille de Tami El ? Que la directrice de la librairie y propose régulièrement des lectures pour les têtards ? La librairie des grenouilles illustre parfaitement cette capacité de la littérature enfantine a créé des « systèmes » comme l’écrit Clémentine Beauvais dans Écrire comme une abeille, c’est-à-dire « la création d’un univers dans lequel on peut “se mouvoir en toute confiance”». C’est de sa simplicité et de sa cohérence dont vient toute la poésie de cette album, soutenu par des illustrations aussi colorées que précises et délicates.
L’album possède donc une dimension poétiquement documentaire : par l’intermédiaire des grenouilles, il expose aux plus-petit·es le processus de production d’un album depuis son écriture jusqu’à sa vente en librairie, en passant par sa mise en page. Toutefois, cette « aventure » du livre est rythmé par des illustrations toujours dynamiques qui nous guident littéralement d’une page à l’autre comme elle nous guide dans la librairie. La dimension métalittéraire de l’album dont certaines pages sont aussi celle de Le Sauvetage du petit chien, livre dont on voit la création dans le livre, donne une dimension narrative à l’ouvrage qui permet à un enfant qui serait peu sensible au lieu-librairie de s’attacher malgré tout à nos petites grenouilles.
« On est vraiment des super grenouilles, hein ?
– Oui, quelle aventure !
– On va la raconter dans notre livre ! »
Pour l’enseignant que je suis, m’inscrivant dans l’héritage de Célestin Freinet et le rêve d’une classe atelier, l’album a aussi la grande qualité de montrer le travail d’un collectif. Le livre ne met pas en valeur la qualité exceptionnelle de l’écrivain·e mais la dimension coopérative et collective de l’entreprise éditoriale. Comme nos élèves, les grenouilles travaillent ensemble. Comme nos élèves, elles utilisent le texte pour raconter leurs aventures et leurs recherches. Elles sont des petits êtres auxquels iels peuvent s’identifier (et d’ailleurs, on s’identifie nous à cette “directrice” qui aime faire la lecture et superviser le travail).
A ce titre, La librairie des grenouilles – au-delà de l’hommage explicite aux librairies – est une invitation à toutes et tous, et surtout aux enfants, à se lancer dans l’écriture et la fabrication – aussi artisanale soit-elle – de livres.
Tamiko Yagi, Géraldine Oudin (trad. du japonais), La Librairie des grenouilles, Cambourakis, 2023, 32 p., 15 €.