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L’essentialisme est un terrorisme

La nature impose, dans la perspective et le cadre d’une procréation, un principe mâle et un principe femelle. Deux sources génitrices, donc, au moment de la conception, qui peut être sexuelle ou médicalement assistée.
Mais des procréateurs ont-ils, déjà, le statut de parent ? On peut le poser, à priori. Mais ce statut n’est pas garanti. Car, en terme d’éducation, de développement et d’émancipation, c’est bien de parentalité dont il s’agit d’abord, celle dont l’enfant a besoin pour grandir et s’autonomiser. La « grossesse » et la mise au monde, si elles peuvent donner de l’avance, constituer une sorte de capital de vécu, ne garantissent rien.

Dépasser le contresens naturaliste

Pour la définir succinctement, la parentalité est une fonction qui se fonde sur un lien de reconnaissance, sur une relation d’amour, sur une responsabilité (1). Elle dépasse la parenté et la filiation, parce qu’elle les inclut, sans s’y restreindre. Elle n’est pas, d’abord, une affaire de figure, et par là de genre. La parentalité n’impose, donc, pas, à l’enfant, d’avoir un père et une mère biologiques, comme il n’est pas imposé à la culture d’être figée dans la reproduction de la nature – toutes les lanternes n’ont pas à être des vessies !
Quand commence cette phase culturelle, sociale de l’existence ? A quel moment une parentalité peut-elle être reconnue ?
On peut lui fixer plusieurs débuts légalisables et, dès lors, également reconnus : à la multiplication des premières cellules, à la 13ème semaine de grossesse, à l’implantation du fœtus né d’une FIV, à la naissance et plus tard, en cas d’adoption.
Rien, hors une construction culturelle, n’impose à un enfant que ses parents soient un père et une mère, que ses parents soient, absolument, ses procréateurs. Bien entendu, ses procréateurs peuvent être ses parents. C’est une configuration possible, fréquente… mais elle n’a aucune supériorité sur d’autres configurations possibles de parentalité.
Rien, hors une construction culturelle, n’impose à un enfant que ses parents soient un homme et une femme. C’est une configuration possible, fréquente… mais elle n’a aucune supériorité sur d’autres configurations de couple. Le couple naît d’une différence. Rien n’impose que cette différence ait à être sexuée. L’homoparentalité génère un couple puisqu’elle réunit deux individus, deux êtres distincts, à fortiori différents.
La parentalité est, donc, liée à un ensemble d’individus – d’êtres – dont le nombre est compris entre l’unique et le multiple.

Ubu père et mère

L’essentialisme actuel prend, donc, des airs de terrorisme, aussi bien à vouloir, à tout prix, normer, en la naturalisant, la parentalité, qu’à vouloir imposer une figure en lieu et place d’une relation, ainsi qu’à vouloir imposer une configuration au détriment d’autres configurations possibles.
Ce terrorisme règne jusque dans les cours de récréation, ce n’est pas un hasard. Il génère une pression terrible sur des enfants et des familles qui ne demandent que le droit à exister parmi les autres. Il préside à la pensée de celles et ceux qui s’élèvent contre l’égalité comme horizon et comme exigence, par un conservatisme imprégné d’incompréhension, d’ignorance, de peur, d’angoisse…
Disons-le, un enfant peut avoir, aussi bien, un parent, que deux, voire plus : trois, quatre, cinq… Ce nombre n’est, sur un plan pratique, certes pas infini. Un cadre, par limitation de ce nombre, se dessine, alors, pour chaque situation.

Sans devenir plus royalistes que le roi…

Deux femmes élèvent un enfant qui répète à l’envi qu’il « n’a pas de papa ». La parentalité de ces deux femmes les aurait-elle menées, ici, à une confusion régressive ? Nous manquons d’éléments sur cette situation, pour l’affirmer.
Cela arrive. Avec la parentalité, des individus deviennent parents et le risque existe, dans leur attitude, dans leur discours, qu’ils normalisent, en la naturalisant, une parentalité de couple, et qu’ils confondent cette relation avec une figure, celle, idéalisée, du procréateur, du géniteur… en allant, même, dans un retournement dont le sujet a le secret, jusqu’à la confiscation, voire au déni, de cette figure, pour son absolutisation. Dans ce cas, ils confondent, alors, aussi, une fonction avec un statut. Ce risque existe, c’est une forme d’essentialisme, aussi.
Pour revenir à l’exemple convoqué plus haut, cet homme a-t-il été convié à la parentalité ? A-t-il été congédié ? S’est-il dérobé ? S’est-il cantonné à la fonction de donneur ?

Du contrat parental

Reste à relier, juridiquement, administrativement, légalement, la parentalité déclarée à la responsabilité effective. Sur ce plan, puisqu’il s’agit de poser un cadre, on pourra s’en tenir à un, deux, trois voire quatre ou cinq parents responsables, sur une base contractuelle, de droit, jusqu’à la majorité de l’enfant, avec priorité décidée, mais non exigée et non exigible, pour ses procréateurs naturels ou médicalement assistés, sauf décision de justice contraire.

Un enfant sera d’autant plus riche, individuellement et socialement, qu’il évoluera dans une constellation de parentalité – contractualisée à partir de son parent ou de ses parents initialement et légalement reconnus – et de socialité – ouverte, à différents degrés, à différents niveaux, par l’enfant, son ou ses parent(s) et les institutions sociales.
Nous voilà, donc, avec une double chance : un statut de parent à redéfinir et une coéducation sociale à réinventer, à redynamiser. Un supplément d’humanité.
Une révolution nécessaire dont ni le réformisme frileux et mesquin ni le conservatisme aveugle et méprisant actuels ne perçoivent la mesure et les enjeux.
On n’est pas, essentiellement, parent, on le devient.

Sébastien MARGUET (Enseignant au collège Louise Michel de Clichy-sous-Bois, 93)

Notes

(1) Selon une définition donnée en 2004 par le Centre « Recherche en systèmes de santé » de l’Ecole de santé Publique de Huy-Waremme, la parentalité est « l’ensemble des savoir-être et savoir-faire qui se déclinent au fil des situations quotidiennes en paroles, actes, partages, émotions et plaisirs, en reconnaissance de l’enfant, mais également, en autorité, exigence, cohérence et continuité. »

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