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L’élève précoce et l’idéologie des aptitudes naturelles

Depuis une circulaire du 17 octobre 2007, la détection et les parcours de scolarisation spécifique des enfants considérés comme intellectuellement précoce constitue un enjeu au sein de l’Éducation nationale. Pourtant on ne peut que s’interroger sur une idéologie qui réactive la théorie des aptitudes et d’une intelligence innée.

La petite noblesse de l’intelligence

Le classement comme enfant intellectuellement précoce est énoncé entre autre à partir des tests de Quotient Intellectuel effectués par des psychologues. Ces tests ont été inventés à l’origine pour détecter et pouvoir aider spécifiquement des élèves dont les difficultés pourraient être liées à des déficiences cognitives supposées innées et donc d’origine biologique.

Par la suite, s’est mis en place l’idée qu’il serait possible de classer quantitativement du moins vers le plus tous les enfants à partir de tests qui permettrait de mesurer des aptitudes intellectuelles innées.

De fait, le test de Quotient Intellectuel (QI) mesure une aptitude qui se maintient tout au long de l’existence : le chiffre obtenu en fonction des personnes à ces tests ne varie que peu au long de l’existence même s’il est possible d’améliorer un peu par l’entraînement sa réussite aux tests.

Wilfried Lignier, dans son ouvrage La petite noblesse de l’intelligence : une sociologie des enfants surdoués (La Découverte, 2012), a néanmoins mis en relief certains points qui viennent relativiser cette idéologie des aptitudes innées.

Il montre ainsi que la carrière d’élève précoce se met en place plus particulièrement dans les familles des classes moyennes. Il s’agit d’enfants qui ont baignés dans un milieu social intellectuellement stimulant. Il analyse en partie cette carrière comme une stratégie des parents de classes moyennes pour offrir à leurs enfants la possibilité d’accéder à une scolarité d’élite qui échappe à l’école unique.

Autre fait sociologiquement troublant, le classement d’enfant intellectuellement précoce touche plus spécifiquement les garçons plutôt que les filles. Ce qui tendrait à réactiver les théories de la différence intellectuelle naturelle qualitative et quantitative entre hommes et femmes.

Aptitude et réalisation effective

Il est néanmoins possible de s’interroger sur la pertinence de la notion d’aptitude intellectuelle à partir de la notion de réalisation effective. L’expression de « réalisation effective » désigne ici ce qu’un individu réalise effectivement durant son existence.

Si du point de vue du sens commun, on était conduit à essayer d’établir des critères de l’intelligence, il est probable que l’on s’appuierait sur ce qu’à effectivement réalisé une personne au cours de son existence. Léonard de Vinci ou Einstein sont devenus dans l’imaginaire collectif des figures du génie à partir de réalisations concrètes. Léonard de Vinci doit sans doute son étiquette de génie à ses carnets dans lesquels il décrit bon nombre d’inventions qui paraissent en avance sur leur temps. Einstein le doit pour sa part à la manière dont il a révolutionné la physique de son temps.

Le sens commun tend à lier l’intelligence à des réalisations effectives qui caractérisent par exemple les grands savants : Pasteur, Marie Curie… C’est sans doute ce à quoi renvoie l’existence des prix Nobel attribués à de grands chercheurs dans différentes disciplines.

Or, il est assez surprenant de constater qu’il n’y a pas vraiment de corrélation entre la réussite des tests d’aptitudes intellectuelles, sensés mesurés l’intelligence, et ceux qui ont produits ces réalisations jugées avoir fait progresser l’humanité. Dit autrement, les tests de QI sont incapables de nous prédire qui seront les futurs prix Nobel de sciences par exemple.

Alors que mesurent les tests de QI ? Peut-être uniquement la capacité à réussir des tests de QI et non des aptitudes intellectuelles générales.

Peut-être que l’intelligence n’existe pas à l’état de possible ou de virtualité, de potentiel. L’intelligence, pour plagier le philosophe Bergson, ne serait pas un possible qui préexisterait au réel. L’intelligence serait alors quelque chose qui se constate dans une réalisation, mais non une aptitude virtuelle qui préexisterait de manière innée et qui attendrait de se réaliser.

Il est possible de noter pour terminer le point suivant:
“En Finlande, en Norvège et en Suède, aucun terme n’est utilisé par souci de ne pas établir une catégorie d’élève particulière et donc une forme de discrimination.[…] En Finlande, en Norvège ou au Danemark, le principe de différenciation semble suffisamment établi pour rendre possible sans mesure particulière l’adaptation des activités et des contenus aux enfants « doués ». (Extrait du guide de scolarisation des enfants intellectuellement précoce de l’Education nationale).

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