Aujourd’hui il y a eu une réunion au lycée, de l’équipe de lettres, avec une inspectrice et une « référente pédagogique académique » (?). L’enjeu : nous présenter un dispositif qui serait calqué à la fois sur les labos de maths et sur le plan français et les constellations du premier degré : un lieu où l’on pourrait se former, selon nos besoins, en organisant nous mêmes notre formation. Soit.
Les collègues ont commencé à parler, la « référente pédagogique académique » a mentionné une équipe qui avait eu une formation avec un grand professeur sur la poésie baroque. Les désirs exprimés étaient assez clairs : formation universitaire pointue, sur Rabelais, sur la poésie baroque ou autre chose sans doute (mais pas mentionné). Et surtout, « pas forcément de conséquence directe sur les élèves, juste se faire plaisir » (l’inspectrice) ou « je ne veux pas apprendre mon métier, je veux approfondir mes connaissances littéraires » (une collègue). On nous a même parlé, sans rire, de « tasse de thé et de biscuits pour converser ».
Sont venues se greffer là-dessus, dans le désordre, l’idée qu’il y avait des élèves qui n’étaient « pas adaptés » aux « exigences du lycée », que les professeurs de collèges envoyaient quand même des élèves « pas prêts » (idée nuancée par l’idée que les élèves, en fait, gagnaient en appel à la fin de la troisième contre l’avis des équipes). Idée aussi qu’on pourrait y joindre les profs de lycée pro, pour qu’ils « respirent un peu ».
J’aime bien mes collègues, vraiment, on ne se marche pas sur les pattes, on fait notre boulot, et du bon boulot, il y en a bien un qui me prend pour un con mais c’est son problème. S’iels veulent recevoir une formation pointue sur la poésie baroque juste pour leur culture personnelle, ce n’est certainement pas moi qui viendrait l’empêcher. J’ai juste parfois l’impression qu’on ne fait pas le même métier, qu’il y a deux équipes de lettres.
Ce ne serait rien s’il n’y avait de l’argent là-dessus : on nous dégagerait des heures, les intervenant·es seraient payé·es sur les crédits de formation, etc. Là, il y a des moyens visiblement. Je regarde chez nous l’atelier d’écriture et de théâtre, dont tout le monde se fout à peu près, qui sont à des horaires impossibles et payés au lance-pierre, je regarde les classes de première à 35, les heures d’enseignements qui manquent en début d’année, la demande qui se prépare de pallier au non remplacement probable d‘une collègue qui part en congé maternité en faisant quelques heures par ci par là, les manœuvres pour tricher sur les heures dédoublées en série technologique ou en seconde, le travail permanent et pénible de gestion de la pénurie.
Dans le contexte actuel, j’ai pris ça comme un poing dans la g… J’ai bien fait une petite tentative, au déjeuner, en parlant en présence de l’inspectrice du problème de l’orientation genrée des spécialités, de comment la réforme du lycée avait écrasé tout le travail qui avait été fait pour les filles en science, et de comment cette même réforme a, une fois de plus, laissé de côté l’idée qu’il fallait aussi attirer les garçons en filières littéraires et artistiques. L’inspectrice est tombée d’accord avec moi, m’a dit : « Ça c’est un sujet pour les Salons de lettres. » Mais discrètement, en sortie de table, alors en fait non, je n’ai plus envie, je ne veux plus m’adapter, c’est trop lourd.