En cette rentrée scolaire nous nous sommes intéressé.e.s à un sujet qui concerne toutes les écoles et qui nous paraissait pourtant assez peu traité et remis en question : la coopérative scolaire.
L’OCCE et les coopératives scolaires, d’un mouvement pédagogique…
La coopérative scolaire est présente dans toutes les écoles primaires et permet aux enseignant.e.s de faire des sorties scolaires avec leurs élèves, de payer des intervenant·es pour des projets, d’acheter du matériel en lien avec un projet de classe ou un projet d’école. Toutefois, depuis leur début dans les années 1920, les coopératives scolaires qui s’inspirent du mouvement coopératif ouvrier, ne sont pas juste des outils financiers, mais de réels projets éducatifs et de transformation de l’école, souvent très proches de l’éducation nouvelle. Dès ses débuts et encore aujourd’hui, les militant·es des coopératives scolaires insistent sur le fait que la coopérative ne doit pas être là pour compenser les manques de l’état ou des collectivités territoriales, mais être un outil géré par et pour les élèves eux/elles-mêmes. En 1946, Célestin Freinet alarmait déjà sur les « déviations » des coopératives scolaires : « On nomme un conseil d’élèves à qui on laisse l’illusion d’une gestion autonome et, en fin de compte, ce sont les instituteurs et le directeur qui ont trouvé une formule neuve pour faire payer les parents qui protestent puisqu’on leur a tellement affirmé que l’école est gratuite. Et ces parents ont raisons. » (C. Freinet, 1946, BENP, La coopération à l’école moderne, n22). C’est la dimension pédagogique et coopérative de la coopérative scolaire qui justifie le fait de trouver des financements, notamment via la participation « volontaire » des familles. Ainsi, l’OCCE (Office central de coopération à l’école, qui existe depuis 1928) est aussi un mouvement pédagogique. Ses activités sont d’un côté l’aide à la gestion administrative et financière des coopératives scolaires et de l’autre la diffusion de pratiques pédagogiques coopératives dans les établissements scolaires via la formation, la production d’outils et le financement de projets pédagogiques (plus ou moins coopératifs) par des subventions.
… à un organisme de gestion financière
Cependant aujourd’hui, l’adhésion massive à l’OCCE est avant tout liée à des questions administratives. Cette coopérative est gérée par un·e enseignant·e volontaire sur un temps bénévole puisqu’il n’est pas prévu dans les heures de réunion ou de formation. Ce travail bénévole représente d’expérience une vingtaine d’heures par an. La coopérative scolaire peut en effet se doter de deux types de structures administratives : soit une association loi 1901 classique, soit par l’adhésion à une association : le plus souvent l’OCCE, mais aussi parfois l’USEP (Union sportive de l’enseignement du premier degré). Cette adhésion n’est pas obligatoire même si cette information est souvent méconnue du monde enseignant. Cependant, dans le cas d’une association autonome, ce sont les dirigeant·es (le/la mandataire) de la coopérative scolaire “loi 1901” qui assument l’entière responsabilité civile et/ou pénale des fautes commises dans son fonctionnement. Si l’école a adhéré à l’OCCE ou l’USEP ce sont eux qui seront responsables en cas d’erreurs et les enseignant·es ne pourront pas être poursuivi·es (sauf en cas de faute majeure et délibérée). Ce qui explique que la plupart des coopératives d’école soit affiliées à un mouvement pédagogique (ou sportif dans le cas de l’USEP) même si elles n’en adoptent souvent pas les pratiques pédagogiques.
Qui creuse les inégalités socio-économiques
La part la plus substantielle du budget des coopératives (sauf exception) vient de la participation financière des parents via des dons, la participation à des événements (lotos, tombolas, ventes de gâteaux, d’objets fabriqués par les enfants, de photos de classe…). Par conséquent, c’est sans surprise qu’on peut observer d’immenses disparités de budget entre les écoles des quartiers populaires et les écoles des quartiers bourgeois. Dans notre école REP du 19ème, pour l’année 2022-2023 les dons des parents s’élevaient à 3975 euros. Dans l’école, quand on enlève les frais bancaires, l’adhésion à l’OCCE et une réserve dédiée aux projets collectifs de l’école, chaque classe dispose de 250 euros pour l’année à gérer. Ainsi, une amie enseignante dans le 16ème arrondissement de Paris dispose elle de 2800 euros pour sa classe pour l’année, soit plus de 10 fois le budget de nos classes. Une autre dans le 14ème de 800 euros, soit 3 fois plus que le budget de nos classes mais 3 fois moins que celles du 16ème. Nous n’avons pas trouvé d’étude approfondi sur les budgets des coopératives scolaires, mais à l’heure où le Nouveau Front Populaire parle d’instaurer une réelle « gratuité de l’école », la question des coopératives mériterait d’être explorée.
En outre, l’adhésion à l’OCCE a un coût (son prix est calculé en fonction du nombre de « coopérateurs·rices » dans l’école, c’est-à-dire le nombre d’enseignant·es et d’enfants de l’école). Dans le cas de l’OCCE, chaque OCCE départemental définit une cotisation (dont une partie reviendra à l’OCCE national), entre 1€50 et 2€50 par coopérateurs·rices en fonction des départements. Si ce coût est le même pour toutes les écoles publiques d’un même département, son impact est ressenti de manière bien différente selon les écoles. Pour notre école, notre adhésion OCCE nous revient à 584,75 euros (adhésion et assurance scolaire) soit presque 15% des dons des parents. Il ne semble pas exister au sein de l’OCCE (du moins pas à Paris, ni dans d’autres départements où nous avons « enquêté ») de tarification sociale de l’adhésion.
On pourrait attendre en effet de l’OCCE une prise en compte des inégalités des coopératives scolaires dans la tarification de son adhésion puisqu’elle dit avoir été créé pour répondre à « la nécessité d’enseigner, dès l’école, les principes et les vertus de la coopération que l’on retrouve dans le fonctionnement de l’économie sociale et solidaire » (site de l’OCCE). Le principal mode de solidarité et de « redistribution » s’avère être les subventions que l’OCCE reverse avec ses fonds propres mais dans une forme de sous-traitance dans la redistribution de fonds publiques. Cette redistribution est de manière évidente insuffisante pour compenser les inégalités économiques des différentes coopératives, mais prend par ailleurs la forme de d’« appel à projets » dont les effets sont globalement délétères sur le métier. En effet, la nécessité de rédiger des « projets » pour obtenir des fonds prend souvent le pas sur une réelle pédagogie de projets : elle pousse les enseignant·es dans des activités bureaucratiques et chronophages et ne sont pas des réels vecteurs de pratiques pédagogiques coopératives. En effet, qui n’a jamais appliqué un vernis coopératif à son dossier de subvention OCCE pour obtenir de l’argent ? Que les militant·es de l’OCCE le veuille ou non, le financement par « projet » est une des formes contemporaines du management néolibéral dans l’Education Nationale.
Dans les écoles où les dons des parents sont insuffisants pour faire plusieurs sorties et mener des projets les enseignant.e.s sont souvent amener à chercher d’autres moyens de financement. Organiser des ventes de gâteaux ou des lotos par exemple ou faire des demandes de subventions en rédigeant des projets. Toutes ces alternatives sont chronophages et représentent autant de temps que les enseignant.e.s ne peuvent pas mettre à profit pour la préparation de leur classe. Iels traquent les sorties gratuites ou les tarifs REP appliqués dans certains lieux culturels. Les élèves des quartiers populaires ont donc moins de sorties, moins d’intervenant·es pour leur faire découvrir des pratiques et possiblement moins de matériel pour réaliser un projet en classe.
L’exercice d’une citoyenneté inégalitaire
Dans le Bulletin Officiel de 2008 du Ministère de l’Education Nationale consacré à la coopérative scolaire il est expliqué qu’elle est un instrument d’éducation à la citoyenneté et qu’il est souhaitable que tous les élèves de l’école ou de l’établissement soient des membres actifs de la coopérative et participent à son fonctionnement. En école élémentaire « le suivi de l’activité de la coopérative scolaire peut s’effectuer dans le cadre d’un conseil de coopérative de classe, qui réunit régulièrement les élèves de la classe et l’(les) enseignant(s) pour la mise en œuvre des projets coopératifs. » Sur le site de l’OCCE on peut lire que « Le conseil de coopérative est au cœur de l’organisation d’une coopérative scolaire, il vise à vivre la citoyenneté en acte. » Les élèves des quartiers populaires vont donc apprendre dès le plus jeune âge à gérer un budget serré et à faire des croix sur des sorties trop coûteuses. C’est ainsi qu’iels vivront la citoyenneté en acte. Les élèves des quartiers aisés apprendront elleux que toutes les sorties sont possibles. La citoyenneté en acte dès l’école primaire se voit donc profondément ancrée dans les inégalités de classes au sein même de l’école de la République.
Une béquille de l’état ?
Il est évident que la « déviation » dont parlait Célestin Freinet en 1946 est aujourd’hui la norme. Pendant longtemps, le militantisme pédagogique des coopératives scolaires a justifié le financement privé d’activités pédagogiques au sein de l’école publique. Les coopératives scolaires et ce qu’elles induisent en termes d’inégalités semblent avoir très peu été critiquées par les militant·es de l’école publique (à titre d’exemple, c’est la première fois que cela est fait dans les colonnes de N’Autre école il nous semble). Ce hiatus entre l’idéal pédagogique affiché par les militant·es des coopératives scolaires doit être en outre placé dans le contexte de destruction de l’école publique aujourd’hui. Dans un contexte d’austérité budgétaire et de dégradation des conditions de travail des enseignant·es, les coopératives scolaires et l’OCCE semblent perdre de plus en plus leur rôle pédagogique pour n’être la béquille d’une école publique qui ne pourrait pas – sans les coopératives – répondre à ses objectifs, notamment en termes de transmission culturelle (sortie au musée, spectacles…). Bien des projets pédagogiques vantés par l’institution repose en effet implicitement aujourd’hui sur du bénévolat enseignant et sur la participation d’acteurs·rices privée (les parents en premier lieu, mais aussi les subventions d’associations ou de « fondations »), alors que ces projets répondant au programme de l’éducation nationale devrait être financé par l’État ou les collectivités locales.
Mädli & Arthur Serret