Le 22 septembre dernier le collectif enseignant du Rassemblement Bleu Marine, lié au Front National, aidé du collectif étudiant Marianne membre du même rassemblement, a organisé sa « convention présidentielle de Marine Le Pen ». Cette dernière y était présente et a pu assister à ses travaux qui visaient à présenter une centaine de propositions du collectif Racine au titre de contribution au futur programme présidentiel de la leader frontiste dans le domaine de l’Ecole. L’objet de cet article est de présenter de manière critique le travail du collectif Racine et de poursuivre l’examen de l’évolution de la principale formation politique de l’extrême-droite européenne sur la question scolaire quelques mois avant l’échéance décisive des Présidentielles de 2017, ceci alors que depuis 2011 le vote pour le FN de Marine Le Pen est en constante progression au sein du monde enseignant même s’il reste très minoritaire. Pour mener cette critique, nous nous appuierons sur le texte des 100 propositions mais aussi sur les discours prononcés lors de la Convention par Marine Le Pen, Floriant Philippot, Alain Avello (président du collectif Racine) et les autres animateurs du Collectif que l’on peut retrouver dans la lettre n°11 du Collectif publié fin septembre 2016. Cependant, nous pouvons d’ores et déjà présenter le cœur de cette critique : ayant rompu dans le discours avec une opposition systématique à l’école de la République défendue par le FN de Jean-Marie Le Pen, celui de sa fille reprend à son compte le discours « réac-publicain » (voir l’ouvrage de Grégory Chambat « L’école des réac-publicains », Libertalia, 2016), développant une « nostalgie républicaine » (François Dubet) appuyé sur une lecture imaginaire et fantasmé de l’histoire de l’Ecole en France depuis 1945. Mais cette nostalgie fantasmatique lui permet d’avoir enfin prise sur une profession en crise du fait des contradictions non résolues du processus de démocratisation de l’école de la République.
Les 100 propositions sont ordonnées selon quatre thématiques : les savoirs, la « sérénité », l’administration, la sélection.
I/ Au centre, les savoirs
Pour l’essentiel, le projet vise à remettre les savoirs au centre de l’Ecole. Cela se traduit par la volonté d’abolir la logique des cycles et des compétences (proposition 2). Les savoirs sont définis par des programmes que l’élève doit maîtriser à la fin de chaque année ; si ce n’est pas le cas, il redouble, le redoublement est possible dès le Cours Préparatoire (CP). On peut noter tout de suite que dans le projet de Racine on peut aussi, si on est « précoce », sauter des classes (propositions 6 et 7).
A/ les savoirs fondamentaux
Ces savoirs à maîtriser sont d’abord les savoirs fondamentaux : écriture, lecture, arithmétique. Le projet n’hésite pas à être normatif et très précis : la lecture s’apprend par la seule méthode syllabique (proposition 4) ; 15 heures par semaine sont consacrés à ces savoirs en CP, 12 heures en Cours Elémentaire, 9 heures en Cours Moyen ; dès le Primaire, l’apprentissage de la lecture devra privilégier les grands textes de la littérature au détriment de la littérature pour la jeunesse (proposition 8) ; l’enseignement de l’Histoire se doit d’être chronologique et consacré à celle de la France dans une problématique de roman national (proposition 10) ; les horaires de Français sont également précisés en ce qui concerne le Secondaire (6 heures de la 6e à la 3e, 4 à 5 heures en Seconde (propositions 19 et 20) ; à chaque fois l’accent est mis sur la grammaire, l’étude des grands textes, l’histoire de la littérature, le lycée introduisant à l’exercice de la dissertation « spécificité française dont les vertus sont incontestables ».
Cependant, on peut observer que cette précision concerne essentiellement le littéraire :les seules indications en mathématiques concerne le Primaire où, arrivé à son terme, l’élève devra maîtriser les quatre opérations de base et le calcul systématique (proposition 9).
B/ le retour en force des langues anciennes dans le Secondaire
Le projet est plus original en ce qu’il tend à intégrer le Latin et le Grec parmi les savoirs fondamentaux, du moins dans le Secondaire. Optionnel dès la 5e, le Latin est obligatoire en 4e et en 3e avec trois heures hebdomadaires « pour les élèves se déterminant vers la poursuite d’études longues » (proposition 21). Au lycée, dans la filière littéraire, une des deux langues anciennes sera obligatoire, optionnel dans les autres filières, après avoir été « recommandé » en Seconde, à raison de trois heures hebdomadaires. Au collège comme au lycée, le projet précise bien que l’accent devra porter sur la grammaire de ces langues et non sur les civilisations dont elles sont le support. Bien évidemment, il sera possible de cumuler l’étude du Latin et celle du Grec (proposition 22).
C/ la création de nouveaux enseignements
Une seule proposition concerne les Langues Vivantes (la 29e). Comme pour le Français et les langues anciennes, le projet insiste sur les bases grammaticales et lexicales.
Le projet est également assez discret sur l’enseignement des sciences qui devra adopter au lycée une approche historique (proposition 24) ! Le collectif Racine propose de recentrer la filière S sur cet enseignement de manière à ce que l’essentiel des élèves soit bien conscient qu’ils se destinent à l’exercice d’une profession scientifique. Mais le plus important dans la proposition 27 est que cela signifie pour les rédacteurs du projet la diminution du nombre des élèves se retrouvant dans cette filière !
Cependant, le domaine scientifique au lycée se voit enrichi d’un nouvel enseignement sensé déringardiser le projet du collectif Racine selon ses dirigeants : celui des sciences informatiques, obligatoire en Seconde et dans la filière scientifique (proposition 25). Les professeurs seront des professeurs de sciences reconvertis ou des titulaires d’un CAPES Sciences Informatiques qui devra être créé (proposition 26).
L’autre nouvel enseignement créé a une visée plus idéologique : il s’agit d’un enseignement intitulé « Civisme et Droit ». C’est un enseignement fondamental aux yeux des rédacteurs du projet puisqu’ils prévoient de l’instaurer dès le Primaire. Il sera enseigné par des titulaires d’un CAPES de Droit et aura pour double (et contradictoire?) fonction « d’accéder à une citoyenneté éclairée » et « de pleinement s’assimiler à la nation française » (proposition 46).
D/ des suppressions d’enseignement signifiantes
Mais à ces créations correspondent des suppressions signifiantes : l’enseignement de la Philosophie en série technologique (justement remplacé par « Civisme et Droit »), les élèves n’en tirant « bénéfice que très marginalement » (proposition 47) ! D’autre part, sont supprimés toutes les activités (« pseudo-enseignements ») ludiques (sauf, parce que le collectif Racine est moderne, les jeux pédagogiques sur des logiciels informatiques!) -proposition 3- et les enseignements interdisciplinaires et modulaires (EPI,TPE, AP) -proposition 23- suppressions qui permettraient selon le projet de financer les nouveaux enseignements et même de reverser des heures vers les autres disciplines (on peut penser au Latin). Enfin, il n’est pas anodin de remarquer que le collectif Racine demande à Marine Le Pen de supprimer le dispositif ELCO (Enseignement langues et cultures d’origine) à destination des enfants non francophones où l’enseignement se fait dans la langue maternelle de l’élève. Selon la proposition 28, ce dispositif est en effet « hostile à l’assimilation ». Gageons que le collectif sera entendu sur ce point !
E/ les conséquences de la centration sur les savoirs
1/ sur le contrôle des acquis des élèves
La proposition 44 est faussement claire : la notation chiffrée sera « rétablie » à tous les niveaux (preuve qu’elle avait sans doute disparue!). Cependant, on peut penser que les rédacteurs supposent que cette proposition pose problème puisqu’ils précisent que ce mode d’évaluation ne doit pas être vécu comme une sanction par l’élève mais doit être rapporté « au processus de formation ».
Les notes permettent ou pas le passage dans la classe supérieure. Mais le projet prévoit d’ajouter deux moments où il est nécessaire de faire le point sur les acquis des élèves et qui ne sont pas distribués au hasard dans le parcours de l’élève : deux évaluations nationales seront réalisées en fin de CM2 et de 3e (proposition 30). Le rôle de ces évaluations, cependant, n’est pas explicitement précisé.
Le projet ne dit rien non plus du devenir du DNB mais est plus prolixe sur le Baccalauréat. Il propose (31e proposition) d’en supprimer tout contrôle continu, de limiter le nombre et l’éventail des options (proposition 32). Surtout, il se fixe comme objectif, pour revaloriser scolairement et socialement ce diplôme, de faire baisser le taux de bachelier (proposition 33) ! On verra plus tard que cette proposition étonnante a sa logique.
2/ sur la pédagogie
Comment l’enseignant a-t-il transmis son savoir aux élèves ? Le collectif Racine a une réponse toute trouvée : par le cours magistral. Ce dernier doit être rétabli à tous les niveaux car c’est la forme pédagogique « correspondant à l’autorité du maître fondée sur le savoir » (proposition 43).
3/ sur la formation des enseignants
Des enseignants dispensant leur savoir de manière magistrale n’ont pas besoin d’ESPE. Ces dernières seront donc supprimées et remplacées par des Ecoles Normales Régionales (ENR) centrées sur les « compétences disciplinaires » (proposition 66). Il n’y aura donc pas d’enseignement de « science de l’éducation » en ENR et leurs élèves passeront la moitié de leur temps en responsabilité dans des classes (proposition 68). Le concours d’entrée sera le même que celui des Ecoles Normales Supérieures (qui recevront ceux et celles qui auront le mieux réussi le concours) et ne comportera pas d’épreuve pédagogique (proposition 69). Le statut des élèves en ENR sera le même que celui des ENS (proposition 67).
4/ sur l’élaboration des programmes
La proposition 64 avance la nécessité de réduire la présence des « experts » au sein du Conseil supérieur des programmes qui deviendra significativement le Conseil national des programmes. Une part « conséquente » du Conseil devra être composé de « pratriciens instruits des réalités du terrain » motivés par le « seul souci de l’intérêt général ».
5/ sur les rythmes de l’enfant
Ce n’est pas une question importante pour le collectif Racine puisqu’il ne propose qu’une concertation sur cette question (proposition 13) et qu’en attendant il envisage de supprimer les TAP (activités périscolaires de l’après-midi) et de les remplacer par des études surveillées, si accord des parents, pour faire les devoirs (propositions 12 et 13).
Ces propositions sur les savoirs ont bien évidemment pour conséquence la revendication d’abrogation de la réforme des collèges (proposition 14). On ne résiste pas pour terminer à la mention de la proposition 50 : pour que les élèves en année diplômante (Troisième et Terminale) n’oublient pas la nécessité de travailler, le collectif Racine propose d’interdire les voyages et sorties scolaires ! Mais au fond cette proposition symbolise bien un projet fortement normatif. Elle concerne au premier chef les enseignants eux-mêmes puisque le projet du collectif est fortement prescripteur au niveau pédagogique : la lecture doit s’enseigner avec une méthode bien précise, l’Histoire doit être chronologique et nationale…Cette volonté d’imposer un ordre à l’école ne concerne cependant pas que les savoirs et les enseignants.
II/ Une sérénité scolaire version Racine
La condition principale pour que la transmission des savoirs puisse opérer est, selon le collectif Racine, que règne la « sérénité » au sein de l’Ecole. Est à l’œuvre une logique de sanctuarisation qui a trois axes.
A/ la neutralité et la laïcité de l’Ecole
Il s’agit d’abord d’étendre l’interdiction du port des signes religieux ostensibles d’une part à l’Université (proposition 100), d’autre part pour les accompagnants et intervenants dans les activités scolaires qui ne sont pas fonctionnaires, y compris les sorties scolaires (propositions 49 et 51)… interdiction qui existe déjà mais dont l’application est laissée aux acteurs sur le terrain ! De même, il faudra interdire les menus et même les plats de substitution dans les cantines scolaires (proposition 48).
Le collectif insiste (c’est l’objet de toute une table ronde le 22 septembre) sur l’obligation de porter un « vêtement uniforme » qui ne serait pas une simple blouse. Ce port aurait plusieurs avantages dont celui d’empêcher « toute manifestation de signes religieux ostentatoires ou toute volonté d’en afficher » (lettre du collectif Racine de septembre 2016 page 20). A noter que, selon la proposition 53, cette obligation concernera le Primaire et une partie du Secondaire. Le collectif sent bien que faire passer la pilule de l’uniforme aux lycéens risquent de ne pas conduire à la sérénité revendiquée ! Une concertation nationale tranchera ce point et l’uniforme sera choisi sur la base d’un appel à projet…
B/ la sécurisation de l’Ecole
Il faut d’abord sécuriser les établissements scolaires (proposition 60). Ici, alors que le collectif Racine insiste depuis longtemps sur la nécessité de recentraliser l’Ecole publique et que la sécurité est un axe programmatique de base du FN, il se contente d’inciter les collectivités territoriales à procéder à cette sécurisation dont on sait qu’elle est coûteuse !
Ensuite et surtout, il s’agit d’accroître sensiblement la politique de répression (au détriment de l’éducatif dont il n’est jamais question) dans le traitement des violations de l’ordre scolaire (dont il faut rappeler qu’il relève d’un droit scolaire spécifique car traitant de l’action de personnes mineures). Ainsi, le collectif reprend le principe général qui guide le FN sur les problèmes de sécurité à savoir le principe de la tolérance zéro (proposition 59). Cette proposition institue d’ailleurs le principe de la double-peine : en cas de violation grave ou répétée du règlement intérieur, qui serait le signe d’une démission des parents, la sanction disciplinaire serait doublée d’une suspension des allocations familiales. A noter qu’il semble que ce soit le conseil de discipline qui décide de cette suspension…Mais le projet va plus loin encore en proposant une nouvelle sanction : l’éloignement (proposition 62). Prononcé par le conseil de discipline, elle doit cependant avoir l’aval du Rectorat (mais pas d’une autorité judiciaire). Il s’agit pourtant d’un éloignement qui peut être de 100 kilomètres de l’établissement scolaire ! Cependant, le collectif Racine n’oublie pas la Justice : dans le cas de la commission d’un acte grave, le conseil de discipline aura l’obligation après avoir sanctionné l’acte de transmettre le dossier au procureur de la République de sorte que des poursuites pénales soient engagés (proposition 63). Paradoxalement, la sanctuarisation de l’espace scolaire passe par sa soumission au droit pénal commun.
Enfin, la sécurisation des établissements doit permettre d’y faciliter l’accès aux personnes handicapées (proposition 61). C’est la touche humaniste du collectif !
C/ la revalorisation de la fonction enseignante
Implicitement au moins, le collectif Racine reconnaît que les frustrations des enseignants quant à leurs conditions de travail et de rémunération peuvent nuire à la transmission des savoirs. Il propose donc une revalorisation de la fonction enseignante à laquelle correspondent plusieurs propositions.
La principale est une augmentation « sensible » ; on n’en saura pas plus sinon qu’il s’agit que la rémunération des enseignants français se situe dans la moyenne européenne, pas plu). Mais cette proposition 70 peut néanmoins avoir un impact au sein d’une profession qui a connu pendant de nombreuses années un blocage du point d’indice qui n’a été débloqué qu’en 2016 et d’une manière modeste.
Mais la revalorisation de la fonction enseignante c’est aussi la chasse aux heures de cours non faites. La proposition 71 propose une « gestion plus performante des personnels en les redéployant ». Où l’on voit que le collectif Racine n’hésite pas à reprendre un langage managériale malgré ses discours sur l’Ecole comme service public (auquel il faudrait revenir!). Une réserve (terme militaire) sera créée composée d’enseignants titulaires pour procéder aux remplacements (proposition 75).
De même, cette revalorisation signifie la révision du mouvement d’affectation des enseignants, point sensible, ce qui n’empêche pas le collectif de proposer (proposition 72) la création « d’un contingent d’enseignants aguerris » volontaires (sur la base d’une prime « incitative ») pour aller enseigner dans « les établissements les plus difficiles ». On observera les qualités toutes militaires de ces enseignants qui visiblement doivent mener une guérilla scolaire pour civiliser (à coup de triques si on considère le volant sécuritaire évoqué plus haut) les « sauvageons » plutôt que de véritablement enseigner.
Certains enseignants seront sans doute plus rassurés par la proposition 74 qui vise à rejeter la bivalence par principe. Mais les « chouchous » sont à l’évidence les agrégés. Il s’agit d’abord de les exfiltrer des collèges pour les lycées et l’enseignement supérieur (proposition 76). Le collectif Racine propose ensuite (proposition 77) la création d’un statut de professeur en CPGE pour les meilleurs d’entre eux (avec une grille de rémunération distincte de celle des agrégés du Secondaire !).
Cette partie du projet du collectif Racine présente en réalité deux véritables novations : le port de l’uniforme et l’éloignement. Si on peut se demander si la première peut être autre chose qu’un gadget qui n’a aucune chance de recevoir une traduction dans le réel en raison de la montée de l’individualisme, la deuxième renvoie à une conception autoritaire accentuée de l’Ecole dont l’emploi d’un vocabulaire militaire et guerrier est indubitablement un signe. Elle renvoie à une conception de l’administration de l’Ecole qui se veut plus centralisatrice mais n’est pas sans contradiction.
III/ une volonté de centraliser l’administration de l’Ecole et ses contradictions
Dans son discours d’ouverture de la Convention, le président du collectif Racine se montre plus prudent que lors d’interventions précédentes sur la question de la centralisation de l’Ecole comme condition de sa refondation comme service public. Cette recentralisation n’est plus présentée que comme partielle et provisoire. On peut noter qu’Alain Avello est bien obligé, tout républicain qu’il se veut être, de tenir compte de l’existence de l’école catholique, dont il s’agit de préserver la spécificité (proposition 78, et il s’agit bien de l’école catholique car la proposition 79 affirme que l’Etat devra davantage contrôler le Privé hors contrat) que le FN, vu son hétérogénéité idéologique, ne peut envisager de supprimer alors qu’il s’agit d’avoir le maximum de voix au printemps 2017 et donc aussi celles de l’électorat de la droite catholique. Reste que la restauration de l’Ecole comme service public organique de l’Etat prend tout de même un visage précis, celle d’une Ecole-armée où les professeurs n’ont pas de liberté pédagogique aussi bien individuellement que dans le cadre de leurs syndicats, pas plus que les parents, pour ne pas parler des élèves qui sont les grands oubliés de ce projet.
Car la volonté de recentralisation se traduit par le rejet de la notion de communauté éducative. Pour redevenir un service public organique de la République, l’Ecole, selon le collectif Racine, doit …exclure de son sein les parents ! C’est la proposition 55. La proposition 57 précise que les parents sont responsables de l’éducation de leurs enfants…sous le contrôle de l’Etat qui peut leur supprimer les allocations familiales si l’enfant commet de grosses bêtises à l’école. Leur représentation dans l’Ecole sera donc réduite même à titre consultatif (proposition 58), en particulier dans le domaine répressif : la proposition 90 prévoit la suppression de la commission éducative au sein des collèges au profit du conseil de discipline « de sorte à soustraire la prise de décision à l’influence des parents d’élèves qui n’ont que le droit d’être informés des décisions ». On n’est pas sur que Marine Le Pen reprenne toutes ces propositions tellement elle pourrait lui aliéner des électeurs. C’est une faiblesse du collectif Racine : collectif d’enseignants, il dessine un projet d’école où ce sont les professeurs qui, apparemment, sont au centre, plus que le savoir lui-même. On n’est pas loin d’une conception corporatiste du service public.
C’est ce que confirme la proposition 56 concernant les syndicats et qui, pour le coup, est un classique du FN de toujours : les syndicats ne devront plus intervenir sur les questions pédagogiques et ne plus développer « des positionnements idéologiques ». Bref, un syndicalisme réduit à la défense des intérêts matériels des professionnels qu’il représente. Exit le syndicalisme de transformation de la société. Exit un syndicalisme enseignant porteur d’un projet pour l’école.
Mais la grande, et double, nouveauté du projet du collectif Racine concernant l’organisation et l’administration de l’Education nationale vise à supprimer les Etablissements Publics Locaux d’Enseignement (EPLE) pour les remplacer par des « Etablissements Publics d’Enseignement » qui serait un statut commun aux établissements primaires (du moins à partir d’une certaine taille, le nombre de 10 classes est évoqué) et secondaires (proposition 80). La disparition de la référence au territoire indique clairement la volonté de recentraliser le système scolaire qui est présenté comme une avancée du service public vers plus d’unification et de simplification de son fonctionnement. En ce qui concerne les collèges et les lycées, cette transformation des EPLE en EPE signifie une révision de la notion de projet d’établissement (déclaration d’Arnaud de Rigné, directeur de l’administration du collectif Racine lors de la Convention du 22 septembre 2016), pour éviter que la communauté éducative qui, à l’heure actuelle, les élabore (avec une nette prééminence des enseignants dans la réalité), ne transforme les enseignements en divertissements ! Il s’agit aussi d’en finir avec les « expérimentations » (proposition 88) qui transformeraient les chères têtes blondes en rats de laboratoire (vieille métaphore lepéniste de l’enseignant pédagogue en savant frankenstenien). Enfin, cette transformation entraîne la suppression de la commission éducative (on en a analysé la logique plus haut) mais aussi celle du conseil pédagogique (proposition 89), alors que le texte reconnaît lui-même qu’il ne permet de déroger qu’à la marge à l’organisation nationale des enseignements, ainsi que la compétence reconnue aux chefs d’établissements de recruter des personnels (proposition 91) qui devra être transférée aux recteurs, représentants du ministre. Bref, il s’agit d’anéantir les marges d’autonomie laissées aux établissements qui ont été créées depuis les années 80 sur la base du constat que la distribution formellement égale des moyens à partir de la rue de Grenelle, dont le collectif réclame le retour avec sa proposition 87, était un facteur des inégalités scolaires réelles.
Il y a ici une apparente contradiction du projet du collectif Racine car c’est parce que le ministère a décidé de déconcentrer (et décentraliser mais sur la décentralisation le collectif Racine est muet) l’administration scolaire qu’ont été créé les EPLE et donc la fonction de chef d’établissement à la fois représentant de l’Etat mais aussi président du conseil d’administration d’une entité de droit public possédant la personnalité morale et se dotant de son propre projet pédagogique. Il y a donc un paradoxe à vouloir recentraliser tout en conservant le concept d’établissement public pour le Secondaire et en l’étendant au surplus au Primaire. Du reste, on sent un flottement parmi les responsables du collectif Racine puisque lors de la Convention du 22 septembre Daniel Philippot, conseiller régional du FN en « Pas-de-Calais-Picardie » et membre du comité programmatique du collectif Racine, défend la nécessité de transformer la gouvernance de l’école et déclare que l’école primaire « ne dispose pas de la personnalité morale et juridique et n’a donc aucune autonomie administrative et financière », c’est-à-dire qu’elle ne peut gérer elle-même ses moyens humains, matériels et financiers ! C’est donc par l’accession à l’autonomie qu’il justifie la transformation des écoles primaires en EPE. On notera qu’il ne propose pas de redonner à l’Etat la gestion matérielle des lycées…
Cependant, le paradoxe n’est qu’apparent car à l’évidence ce que le collectif Racine trouve intéressant dans la notion d’établissement public c’est que cela permet de fabriquer des chefs ! Certes, ces chefs sont eux-mêmes soumis à d’autres chefs (les recteurs) qui tiennent eux-mêmes leur pouvoir du Centre (le ministre et son cabinet de hauts fonctionnaires sortis de l’ENA). Mais ils dirigent les enseignants. Ces derniers ne sont donc qu’en apparence au centre de l’Ecole version Racine : non seulement on leur dicte leur pédagogie mais en plus ils sont soumis à une double autorité, celle du chef d’établissement qui n’a plus à tenir compte des enseignants en tant qu’équipe éducative qui a pu se constituer à travers les débats du conseil pédagogique, qui n’a plus à avoir peur d’une collusion entre enseignants et parents au sein du conseil d’administration vu que la présence des seconds y sera réduite, et l’autorité de l’inspection restaurée en son pouvoir (voir plus bas). Ainsi les écoles primaires deviendront, en cas d’élection de Marine Le Pen et si celle-ci reprend à son compte le travail du collectif Racine, des EPE. Elles auront la personnalité morale et une autonomie administrative et financière (proposition 81). Surtout, le directeur d’école deviendrait un authentique chef d’établissement (proposition 82), intégré au corps des personnels de direction et donc totalement déchargé (proposition 86) en même temps qu’il serait le représentant de l’Etat (proposition 84). La proposition 85 précise qu’il piloterait le projet d’établissement et définirait les modalités particulières de mise en œuvre des programmes nationaux et préciserait les activités scolaires et périscolaires. Déjà, la proposition 83 en faisait le responsable pédagogique n°1 de l’école en concertation avec les parents et les collectivités locales et le monde économique et culturel !
La volonté de hiérarchiser l’Education nationale trouve une dernière confirmation dans la réforme de l’Inspection dont il s’agit de renforcer le rôle « plus en adéquation avec les fondements du service public » en lieu et place du rendez-vous de carrière (proposition 93). La note pédagogique de l’inspecteur aurait plus de poids sur le déroulement de carrière. Contrairement à d’autres organisations, on peut souligner que le FN fait preuve de cohérence. Une hiérarchie ne peut être efficace que si les agents sur le terrain sont contrôlés (et gageons que le FN prenne le terme « inspection » au sérieux) par ladite hiérarchie, seule détentrice du savoir. Encore une fois le collectif Racine qui prétend vouloir une Ecole où les professeurs seraient de nouveau les maîtres (la proposition 92 dit que la hiérarchie soutiendra les personnels sauf dans les « cas graves » !) nous propose en réalité une Ecole publique aux mains du pouvoir d’Etat.
Enfin, la volonté de recentraliser le système scolaire touche aussi l’enseignement supérieur. La gestion de la masse salariale des fonctionnaires d’Etat dans les Universités devra être restituée à ce dernier (proposition 97), les schéma régionaux de l’enseignement supérieur devront être supprimés (proposition 99), les regroupements d’Université seront revus de manière à être plus modestes que ceux actuellement réalisés (proposition 98) et l’élection des présidents d’Université devra être démocratisée par la participation du conseil académique !
Une dernière proposition (la 65e) veut en finir avec le rapprochement entre l’Université et les Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles (CPGE), les deux systèmes ayant leurs « finalités » et « exigences ». On ne peut qu’y lire un refus de démocratiser la formation des élites de ce pays et la volonté de préserver l’appareil scolaire assurant la reproduction de l’élite politico-administrative. Pas très anti-système tout cela ! Il est vrai que sous l’habit républicain c’est une école sélective à outrance que veut construire le collectif Racine.
La volonté de donner aux écoles primaires un statut d’établissements publics peut faire croire que le collectif Racine reprend à son compte la politique de déconcentration menée depuis 30 ans sous différents gouvernements. En réalité, il n’en est rien. Car concernant l’enseignement secondaire c’est bien à une réduction drastique des marges d’autonomie que l’on assisterait si ce projet venait à être appliqué. C’est pourquoi ce qu’il faut retenir du projet du collectif Racine concernant le Primaire c’est bien la volonté de créer un échelon hiérarchique supplémentaire. Et ceci finalement au seul profit du pouvoir d’Etat et au détriment des enseignants, des parents et des élèves, bref de la société civile. On a là peut-être la clé pour comprendre ce que le collectif Racine et le FN entendent lorsqu’ils parlent de faire de l’Ecole un service public « organique » de la République à l’instar des ministères régaliens que sont la Police, la Justice et l’Armée. On est certes très loin de l’école libéralisée par le chèque éducation chère à Jean Madiran et au FN de Jean-Marie Le Pen mais également d’une école authentiquement républicaine, ouverte sur la société, formant des citoyens émancipés.
IV/ une école sélective
La première des cent mesures se veut démocratique : il s’agit de l’abaissement de la scolarité obligatoire de six à cinq ans en vue de garantir un égal accès aux apprentissages. Cette proposition, également reprise par la Droite, est pour le moins curieuse quand on sait que, depuis 50 ans, la demande sociale des familles (surtout celles des classes moyennes et supérieures), comme les politiques éducatives menées (sauf par le gouvernement Sarkozy-Fillon) privilégient une entrée à l’école la plus précoce possible en visant l’objectif d’une scolarisation à trois ans (dès 1999, 83,5 % des enfants de 2 à 5 ans sont scolarisés en Maternelle) en vue de réduire les inégalités scolaires. Cette question de l’égalité se jouant, toutefois, autant sur le modèle pédagogique en vigueur en Maternelle que sur l’âge d’entrée.
Toutefois, la proposition centrale du collectif Racine est la quinzième qui vise à supprimer le collège unique au profit d’un « collège de détermination » avec la création d’une classe de Cinquième de prédétermination vers la voie professionnelle et l’apprentissage à 14 ans échus. La proposition suivante précise que l’élève de Cinquième effectuera des « stages d’observation et de pratique » et non de simple observation comme actuellement pour les élèves de Troisième ! Il faut se souvenir que le collectif propose d’évaluer tous les élèves à la fin du CM2. Il apparaît alors clairement que l’année de Sixième sert à faire le tri entre ceux qui vont être orienté, selon leurs notes dans des disciplines recentrées sur les savoirs les plus abstraits (voir plus haut), vers la Cinquième de prédétermination puis l’enseignement professionnel ou l’apprentissage et les autres qui vont jusqu’en Troisième.
C’est dans ce cadre que l’Education Prioritaire serait refondée : le collectif Racine envisage une baisse des effectifs par classe mais insiste surtout sur l’apprentissage des règles de vie, l’acquisition du sens du travail par une « discipline intransigeante » (proposition 73). On revient là à une école qui a pour fonction de dresser l’enfant et l’adolescent qui ne peut recevoir que les enseignements fondamentaux. Dès lors, le destin des élèves des ZEP semblent tout tracer, même s’il faut noter que le projet emploie le terme de remédiation, mot-clé des pédagogues honnis. Mais les élèves de ZEP ne peuvent-ils pas, finalement, être laissés aux mains des pédagogues fous en raison même de ce destin ?
La sélection ne s’arrête pas là puisque l’élève est de nouveau évalué en fin de Troisième. A partir de là il semble que le collectif Racine remette en cause l’existence d’une voie technologique propre puisque il est affirmé que cet enseignement doit se rapprocher de la voie professionnelle (proposition 41). On a déjà écrit qu’il souhaite élever le niveau de connaissance au lycée général. Par contre, il veut en revenir à un Bac professionnel en quatre ans, la réduction à trois ans de la scolarisation professionnelle ayant débouché selon lui sur davantage de précarisation et une sous qualification pour ses titulaires (proposition 38). En réalité, il s’agit d’éviter toute assimilation du Bac Pro au Bac Général.
Ce qui frappe dans le projet du collectif Racine concernant la voie professionnelle c’est une double volonté d’y instaurer de la sélection et de faire dériver directement les contenus enseignés des besoins des entreprises. Cet utilitarisme se marque dans la conception des stages. Ces derniers doivent se dérouler dans le cadre d’un partenariat Ecole-Entreprise (proposition 40) et doivent être « réellement formateurs » , l’entreprise doit y trouver pleinement intérêt au titre d’un retour d’investissement qu’a requis la formation du stagiaire et pour cela les stages doivent être rigoureusement encadrés, cet encadrement fixant le niveau de rémunération (proposition 18). On voudrait livrer les stagiaires aux entreprises qu’on ne proposerait pas autre chose ! Plus largement c’est l’enseignement professionnel qui est soumis dans son entier aux entreprises dans une logique utilitariste. Dès lors, la proposition 39 de créer des Grandes Ecoles des métiers précédées de classes préparatoires installées dans les lycées les plus prestigieux pour valoriser la voie professionnelle apparaît comme un miroir aux alouettes tellement on ne voit pas comment s’insère ces grandes écoles par rapport aux STS, IUT voir aux écoles d’ingénieur. On sait par contre que l’autonomie de décision laissée aux proviseurs et directeurs d’IUT fait que ces filières qui devraient être réservées, au moins partiellement aux meilleurs élèves de la voie pro, sont monopolisés par des titulaires de bacs généraux et parfois parmi les meilleurs qui n’ont pourtant rien à y faire en théorie.
Enfin, la logique sélective touche l’enseignement supérieur. D’abord au niveau de son accès : le niveau des lycéens ayant extrêmement baissé, avant que Marine Le Pen élue puisse rétablir un enseignement secondaire de qualité, une sélection à l’entrée de l’Université sera instaurée (proposition 34). Ensuite, une sélection sera créée à l’entrée en Master II (proposition 36). En passant, le collectif Racine condamne aussi toute démarche d’orientation en première année : entrant à l’Université, chaque étudiant devra se spécialiser dans une discipline (proposition 35).
Cette sélection, le collectif Racine veut la confier aux enseignants : le conseil de classe (où les parents auront moins de poids) sera souverain pour déterminer les passages et les filières, l’appel de l’élève étant conservé mais devant se dérouler devant ce même conseil de classe ! C’est la proposition 42.
Au total, c’est bien la reconstitution d’un système scolaire comportant deux réseaux étanches que vise le collectif Racine, tel qu’il existait avant les réformes de la décennie gaulliste ! Jamais le qualificatif de réactionnaire n’aura mieux mérité d’être employé. On pourrait rajouter celui de malthusien à travers la volonté de réduire le nombre d’élèves en filière scientifique et celle de faire baisser le taux de bachelier. Au fond, ce que refusent les enseignants du collectif Racine c’est la forme réelle mais abâtardie de démocratisation qu’a été la massification des études secondaires dans les années 60 puis 80. Devant un objectif à la fois jugé inatteignable et illégitime, il s’agit de renoncer pour en revenir à une école du tri sélectif des élèves qui respecte ce que l’on croit être la division capitaliste du travail et où, de toute façon, le savoir et la culture ne peuvent être maîtrisés que par une élite assez restreinte numériquement. Cependant, sentant que la pilule pourrait être difficile à avaler, le projet recouvre sa nature réactionnaire d’un vernis social conforme à « l’ élitisme républicain ». Ainsi, l’apprenti continuera de fréquenter le collège en alternance de manière à rejoindre la Seconde, « le cas échéant » comme le reconnaît la proposition 17. L’internat sera généralisé au nom d’une exigence d’égalité (proposition 54). Les bourses sur critères sociaux seront généralisés, ce qui ne signifie pas grand chose (proposition 45). Toutefois, ce vernis social a ses limites. D’abord, on peut lire dans la proposition 52 de transformer l’allocation de rentrée scolaire une méfiance envers les familles ; en effet, l’ARS ne sera plus distribuée que par des bons d’achat (de produits français bien entendu) ! Mais surtout, la méfiance est de mise envers les étudiants étrangers : leur accueil sera contrôlé et ils n’auront droit qu’à un seul redoublement par année (proposition 37). On entre ici dans le domaine de la discrimination.
De quoi le projet du collectif Racine est-il le nom ?
Au terme de ce parcours des 100 propositions du collectif Racine, membre du RBM lié au FN, il est évident que le tournant « républicain » de la doctrine frontiste opéré en 2011-2012 se déploie dans un discours profondément réactionnaire, ce dont témoignent de nombreux éléments : centration normée pédagogiquement sur les savoirs abstraits, retour en force des langues anciennes, omniprésence de la sélection fondée sur la notation chiffrée, reconfiguration du système scolaire en deux réseaux étanches visant pour l’un à former l’élite et pour l’autre la force de travail salariée, restauration de l’autorité et du pouvoir enseignant. Par là, et contrairement à sa vision fantasmée de l’histoire de l’Ecole, ce que refuse le FN ce n’est pas Mai 68 (dont l’impact sur les politiques scolaires fut en réalité très faible) mais les transformations profondes du système scolaire français opérées sous la présidence du général De Gaulle dans une direction démocratique, transformations que Georges Pompidou, agrégé de lettres classiques, chercha en permanence à freiner (voir « Du changement dans l’école d’Antoine Prost). Et il n’est pas certain que la création d’un enseignement de l’informatique puisse réussir à masquer cette nostalgie de l’école française des années 50.
Mais, selon nous, ce caractère réactionnaire ne résume pas à lui seul le projet du collectif Racine. Il faut pour cela comprendre que, lorsque le collectif Racine et le FN déclarent que l’Ecole doit devenir un « service organique de la République », ils ne font pas référence à la doctrine française du service public comme l’expliquent très bien Delphine Espagno et Stéphane François dans « Les faux-semblants du Front National ». C’est-à-dire que pour eux le service public est l’instrument de la puissance de l’Etat sur la société civile et non un fournisseur de prestations, au service des citoyens, visant à rendre la société civile plus égalitaire et solidaire. La révocation de la notion de communauté éducative n’est donc pas que l’expression d’une nostalgie, elle est aussi une vision d’avenir où la crise aux multiples dimensions de la société française est solutionnée par la construction d’un Etat fort dont l’Education nationale serait un rouage essentiel.
Le sens profond du projet du collectif Racine et du FN est donc autoritaire. C’est ainsi qu’il faut lire l’application du principe de la tolérance zéro dans l’enceinte scolaire qui se concrétise dans cette mesure d’une violence inouïe qu’est l’éloignement. Mais aussi le renforcement de la hiérarchie à tous les étages du système scolaire, y compris le Primaire, mettant fin à toute autonomie des unités d’enseignement permettant leur ouverture sur la société civile.
Si l’on ajoute que cet Etat autoritaire serait fondé sur une forte dimension idéologique, le national-populisme cousin français du fascisme italien (voir Sternhell et Milza), on comprend mieux le rejet de la philosophie (réservée à la seule élite), la mise en avant d’ une conception de l’enseignement de Histoire fondée sur la chronologie et le roman national et d’une conception de l’enseignement du Français fondée sur l’étude des textes de la littérature nationale. Il n’est plus question de former des citoyens critiques, émancipés mais des agents sociaux soumis à l’ordre de l’Etat (et du Capital) encadrés par des élites convaincues et disciplinées.
Dès lors, les enseignants de ce pays doivent comprendre que la valorisation de leur rôle dans le projet du collectif Racine est une valorisation en trompe-l’oeil. Déjà, leur rôle central est conditionné à la renonciation à toute autonomie et responsabilité pédagogiques mais surtout ce rôle n’est central que dans la soumission préalable au pouvoir d’Etat représenté concrètement par la hiérarchie, qui, en particulier, acceptera peut-être de discuter des conditions matérielles des enseignants avec des corporations (autant qu’il y aura de corps enseignants et de ce point de vue il n’est pas innocent de constater que le projet du collectif Racine les multiplie) mais certainement pas avec d’authentiques syndicats c’est-à-dire des associations professionnelles indépendantes de l’Etat, animées de projets pour l’Ecole, défendant les intérêts matériels comme moraux de leurs mandants par tous les moyens utiles, y compris la grève. Enfin, les enseignants doivent comprendre que ce rôle plus central dans le fonctionnement de l’appareil scolaire aura pour fonction renforcée de trier les élèves, beaucoup plus tôt qu’aujourd’hui et selon des critères scolaires qui ne peuvent qu’exclure la grande majorité des enfants des classes populaires.
Une dernière remarque sur le projet du collectif Racine : s’il est très discret sur ce terrain, on peut tout de même remarquer qu’il entretient une méfiance certaine envers les étrangers. La suppression du dispositif ELCO, le contrôle des étudiants étrangers qui voient leur droit au redoublement restreint et surtout la vision de l’élève de ZEP, qui est souvent issu de l’immigration ou immigré, comme « sauvageon » à dresser témoignent de cette méfiance et du refus d’intégrer au profit d’une volonté d’assimilation qui ne peut que redoubler la violence du tri social qui est au cœur du projet du collectif Racine.
Ce caractère xénophobe du projet scolaire frontiste a d’ailleurs été récemment martelé par Marine Le Pen déclarant le 8 décembre : « je n’ai rien contre les étrangers, mais je leur dis : si vous venez dans notre pays, ne vous attendez pas à être pris en charge, à être soigné, que vos enfants soient éduqués gratuitement. Maintenant, c’est terminé, c’est la fin de la récréation ! » (citée par Le Monde du 10 décembre). L’extension de la priorité (ex-préférence) nationale à l’éducation est une nouveauté par rapport au FN de Jean-Marie Le Pen qui ne va pas dans le sens de la dédiabolisation ! Outre qu’elle repose sur le présupposé, faux, que la cause première des migrations est le volume des aides sociales assurées en France, cette déclaration est clairement en rupture avec les conventions signées par la France à commencer par la déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948. Et la modulation opérée ensuite par la candidate à l’élection présidentielle de 2017, la suppression de la gratuité de l’Ecole ne concernant que les étrangers en situation irrégulière sans qu’on sache clairement si les étrangers en situation régulière auraient à payer une contribution, n’y change rien. Hier comme aujourd’hui, c’est toujours sur le rejet des étrangers que la principale dirigeante de l’extrême-droite européenne entend ressourcer sa légitimité face au candidat de droite, François Fillon, comme face à celle qui s’affirme comme sa principale concurrente au sein du FN, Marion Maréchal-Le Pen.
Le projet du collectif Racine n’est donc pas seulement réactionnaire. La gangue réactionnaire cache un contenu qui reste fondamentalement autoritaire et xénophobe. Reste à comprendre pourquoi ce discours réactionnaire qui enferme un contenu idéologique fasciste, au sens de l’historien Sternhell, séduit de plus en plus les enseignants…
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