Il ne vous aura pas échappé dans le bruit médiatique de ce week-end qu'(une partie de) la Catalogne a déclaré son indépendance. Quelques-uns et quelques-unes parmi vous auront suivi sans doute les nouvelles venant d’outre Pyrénées. Beaucoup ont eu du mal à se faire une idée à l’écoute des média français, tant l’analyse sur la situation politique en Espagne est souvent faite par des ignorants patentés et le discours sur ce mouvement indépendantiste, est systématiquement négatif ou très orienté…
Dans les rangs libertaires et militants la prudence est de mise : les uns disant que c’est un combat porteur d’illusion et de fourvoiement, l’émancipation d’un peuple n’étant pas synonyme d’émancipation sociale et encore moins de lutte de classe… les autres parlant de droits des peuples à l’autodétermination, de première étape vers une “Europe des peuples” (sous entendu libres et démocrates).
En ce qui me concerne, je vois un gouvernement, celui du PP et de Rajoy, bafouer le droit démocratique à l’autodétermination au nom d’une constitution qui déplaît de plus en plus au peuple espagnol. Un gouvernement minoritaire en vote et qui cherche à se maintenir au pouvoir en clivant la société espagnole et catalane pour drainer vers lui les votes des conservateurs, des nostalgiques du franquisme et ceux de “l’empire espagnol”. Si les catalans ne sont dans doute pas tous indépendantistes, ils se sont tous exprimés contre l’état espagnol centraliste, répressif et violent. L’implication populaire, associative, politique (Anc, Cup, etc) et syndicale en faveur du vote d’autodétermination, sa structuration et ses formes d’action (horizontalité et non violence) ont plutôt ma sympathie.
Cet article ne cherche cependant pas à convaincre quiconque du bien fondé des aspirations indépendantistes des catalans. Il propose des informations et des communiqués donnent à réfléchir et nous interrogent sur notre silence.
Vous trouverez ci-dessous la traduction du dernier communiqué des syndicats CNT-SO et CGT-E sur la situation en Espagne et en Catalogne et plus bas sa version en espagnol.
Communiqué de la CNT- Solidaridad Obrera – CGT
Nous, organisations signataires, partageons l’inquiétude quant à la situation en Catalogne, la répression déchaînée par l’État, la perte de droits et de libertés que cela suppose et va supposer et la montée d’un vieux nationalisme qui apparaît de nouveau dans une grande partie de l’État espagnol.
Nous défendons l’émancipation de tous les travailleurs et travailleuses de Catalogne et du monde entier. Peut-être, dans ce contexte, convient-il de rappeler que nous ne comprenons pas le droit à l’autodétermination comme le comprennent les partis et les organisations nationalistes mais pour nous il s’agit du droit à l’autogestion sur un territoire déterminé.
Entendu de cette manière, l’autodétermination passe plus par le contrôle de la production et de la consommation par les travailleurs et les travailleuses, pour une démocratie directe de bas en haut, organisée selon les principes fédéralistes, que par l’établissement d’une nouvelle frontière ou la création d’un nouvel État. En tant qu’internationalistes, nous pensons que la solidarité entre les travailleurs et les travailleuses ne doit pas être limitée aux frontières de l’État, c’est pourquoi il nous importe peu où elles se situent.
Ce qui nous paraît vraiment préoccupant c’est la réaction dans le reste de l’État ; l’exaltation d’un “espagnolisme” rance, qui rappelle des temps passés, encouragé par les médias et en accord avec la dérive autoritaire du gouvernement, est patent depuis l’incarcération de personnes pour avoir prôné des actes de désobéissance ou l’application de l’article 155 de la Constitution.
Il ne nous échappe pas que ce surgissement nationaliste assoie les bases de prochaines limitations de droits et de libertés, contre lesquelles nous devons nous prémunir. La vibrante unité des soi-disant « forces démocratiques » pour justifier la répression, augure d’un horizon sombre pour toutes les futures dissidences. Il semblerait que le régime post-franquiste qui nous gouverne depuis 40 ans, serre les rangs pour assurer sa continuité.
Ce régime, qui a existé et qui existe en Catalogne comme dans le reste de l’État espagnol, sent que sa propre survivance est en jeu. Amplement remis en question et soumis à une profonde crise de légitimité, il observe, alarmé, le nombre grandissant de fronts ouverts. A la menace sur l’intégrité territoriale de l’État s’ajoutent les scandales de la corruption, la perte de prestige de la monarchie, la remise en cause des restrictions appliquées à la population, le mécontentement que provoque l’esclavagisme dans le travail dû aux dernières réformes du travail, l’allongement de l’âge du départ à la retraite, la baisse des pensions, etc… Les constants appels pour défendre la constitution doivent être compris comme le tocsin pour interrompre cette véritable crise existentielle qui l’assaille. Le danger est que dans ce processus les comportements répressifs – comme ceux qui se sont déroulés récemment dans plusieurs villes catalanes – deviennent la norme. Ou des comportements pires encore.
Évidemment nous ne savons pas dans quel sens vont aller les événements. Nous resterons attentif et attentives à ce qui se passe, disposées à défendre les intérêts des travailleurs et des travailleuses partout dans l’État. Nous nous opposerons de toutes nos forces à la répression et à la normalisation des attitudes ultra droitières, qu’on sent déjà. Bien sûr, nous ne nous laisserons pas non plus manipuler par les stratégies des partis politiques dont les objectifs nous sont étrangers. En même temps, nous ne cesserons pas d’appuyer les mobilisations de la classe laborieuse quand elle le décidera, enfin c’est le moment de se défaire du dictât des élites politiques et économiques qui depuis trop de temps œuvrent au contrôle du territoire pour servir, exclusivement, ses propres intérêts.
En tant qu’organisations syndicales de classe, libertaires et combatives, nous serons dans la rue, dans les mobilisations, comme nous l’avons fait dans beaucoup d’autres occasions, contre la répression, les restrictions des droits et des libertés et contre la corruption.
Il se peut que la crise de la Catalogne soit le coup de grâce d’un modèle d’État qui agonise. Que ce changement se résolve dans un sens ou dans un autre dépendra de notre capacité, en tant que classe, à porter le processus dans la direction opposée à la répression et à l’essor des nationalismes. Ayons confiance dans notre capacité à parvenir à ce que le résultat final soit plus de libertés et de droits et non le contraire. Nous jouons gros.
POUR LES DROITS ET LES LIBERTÉS !
CONTRE LA RÉPRESSION DES CLASSES LABORIEUSES !
comunicado_conjunto.pdf
Traduction : Christine Gaillard Documents joints
Face à la situation en Catalogne
Il est notable que les trois principales organisations syndicalistes libertaires espagnoles nous invitent ensemble à regarder le mouvement né en Catalogne pour une république séparée de l’Espagne qui se trouve être une monarchie. C’est un regard lucide, mais solidaire de ceux qui dans le camp du travail pourront être exposés à la répression.
Nous n’avons pas à choisir un drapeau ou un nouveau découpage de frontière. Notre responsabilité est toutefois de refuser l’alignement irréfléchi sur les dirigeants, les partis de pouvoir et médias sur la ligne España Una Grande y Libre de l’alliance PP PSOE Ciutadanos.
L’autodétermination revendiquée par une grande partie des catalans n’est pas un caprice mais un ensemble de choix culturels. Les programmes de leurs partis et organisations sont divers. La résultante se veut une république de droit démocratique et sociale. Les messages parlent d’ouverture et de solidarité, étonnants au moment d’une séparation annoncée.
Un patron catalan et un plan de licenciement écrit en catalan ne seront pas plus doux pour ceux qui triment .
Mais pour ceux qui respirent, qui pensent, qui travaillent dans ce pays tout apparaît franquiste et invivable dans la structure de la société espagnole. Ce n’est pas l’expression d’un égoïsme, même si bien sûr il peut y en avoir chez certains (comme en France), c’est plutôt une envie de retrouver la république écrasée par Franco et certainement pas restituée par la constitution de 1978.
Lisons ce que nous disent ces organisations rouges et noires ibériques…
Face à la situation en Catalogne
Assez d’accord avec ces positions.
Je me permettrai de rajouter plusieurs points :
– Tout d’abord, le mouvement pour l’indépendance de la Catalogne est un mouvement contre la monarchie et pour la République,
– Ensuite, cette monarchie est fondamentalement franquiste. Il n’y a pas eu de “transition démocratique” comme se plaisent à le répéter les plumitifs de la bourgeoisie (en claire, les médias dominants) mais bien une passation de pouvoir et un accord entre Franco, Juan Carlos et le PSOE,
– D’autre part, la question nationale ne se pose pas, en Espagne, de la même façon qu’en France pour une raison simple : il n’y a pas eu de révolution en Espagne à l’image de 1789-1793. L’Etat des Bourbons est et a toujours été un Etat oppresseur sans commune mesure avec l’Etat français,
-Enfin, la place de la Catalogne dans le mouvement ouvrier en Espagne est essentielle : elle a toujours été LE pôle de résistance à l’oppression monarchiste ou faussement républicaine et le bastion révolutionnaire face à Franco entre 1936 et 1939,
– Et puis, pour terminer, quand Macron, Rajoy, Merkel, Trump, l’Union européenne, les croupissants PS, les syndicats collabos d’Espagne, les médias français sont contre l’indépendance de la Catalogne, c’est le signe qu’il faut être pour même si les dirigeants séparatistes catalans sont des bourgeois réactionnaires, frileux et – l’histoire l’a montré – anti-ouvriers.