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Étincelles pédagogiques, Paroles d’élèves, pratiques de profs (extrait)

Après un extrait du livre Les Chemins du collectif d’Ancrés Monteret, nous vous proposons de découvrir un chapitre du nouveau titre de la collection N’Autre école aux éditions Libertalia.

 

Étincelles pédagogiques, Paroles d’élèves, pratiques de profs

De l’agitation, des heurts, des cris, des enthousiasmes, des impatiences, des émotions vives, mais aussi des découvertes, des étonnements, des doutes et des contestations : voilà ce qui se passe dans nos classes, bien loin des représentations qui voudraient que les enseignant·es fassent cours, transmettent, gardent le contrôle de séances bien programmées et que les élèves écoutent, récitent, obéissent en bougeant le moins possible. La confrontation de ces rôles, que nous attribuent l’école et la société, et des réalités de la classe crée inévitablement des étincelles. Étincelles de colère et de désarroi, étincelles de joie et de vie, mais peut-être aussi étincelles d’émancipation.
Ces récits d’expériences, qui partent des paroles d’élèves, dans ce qu’elles disent et contestent de l’école, comme de la société et du monde, tentent ainsi d’illustrer la possibilité d’une autre classe et d’une autre école, de celles qui permettent l’expression de la vie et esquissent un chemin vers l’émancipation de tou·tes.

L’autrice

Jacqueline Triguel est professeure de français et syndicaliste en collège. Elle participe au collectif Questions de classe(s) ainsi qu’au groupe Freinet second degré d’Île-de-France.

L’autre dans MA classe

Ah bon ? Tu es dans mon cours aujourd’hui ? Tiens, tu n’as qu’à te mettre là.

(Une professeure s’adressant à sa collègue AESH la semaine de la rentrée).

Pour fermer les yeux sur des réalités dérangeantes, ne pas avoir à s’engager, rien de tel que de fermer la porte de sa classe – MA classe, chez MOI, MA salle ! –, parfois même de la claquer face à celles et ceux qui veulent y pénétrer, et dont la place est légitimement à l’intérieur.

Fermer la porte

La porte est donc fermée. Fermée, comme nous l’avons vu, à l’expérience vécue des élèves, à leurs cultures et préoccupations venues de l’extérieur, voire de l’étranger. Fermée à la révolte sociale qui tonne, aux injustices d’un système inégalitaire et reproducteur de discrimination, car l’école serait un “sanctuaire”. Mais fermée, aussi, à l’autre adulte, parents, stagiaire, collègue souhaitant observer des pratiques différentes : « Pourquoi venir me déranger dans ma routine ? Dans quel cadre ? Qu’est-ce que cela va montrer de moi, des élèves, de notre travail, de mes compétences professionnelles ? Qu’est-ce qu’elle ou il va penser de moi, avec quoi et avec qui va-t-il ou elle me comparer, etc. ? » L’irruption d’un·e autre adulte dans nos salles de classe est le plus souvent perçue comme intrusive, voire agressive. Nous n’avons rien à montrer de nos pratiques, nous ne souhaitons rien montrer !

Il est pourtant des cas où, alors que nous voudrions que la porte reste fermée, nous avons l’obligation de l’ouvrir – parfois avec violence, parfois avec peur, rarement avec plaisir – à l’Accompagnante des élèves en situation de handicap, collègue légitime et pourtant délégitimée.

« Tu sais, Ariane est absente, ça sert à rien que tu restes. » – Porte qui se ferme, à peine entrouverte.

« On est relégué dans un coin, avec l’élève, et on travaille juste tous les deux. L’instit’, elle ne le connaît même pas. » Mur dressé dans la classe.

« Béatrice, elle se permet de reprendre les élèves à ma place, comme si c’était elle la prof ! Et des fois, elle me dit même comment je dois faire cours ! » Chacun·e sa place.

« Quand je lui ai dit que -ard c’était aussi un suffixe, l’instit’ m’a regardée et elle a éclaté de rire. Elle me prenait clairement pour une idiote, devant les élèves. J’étais dégoûtée… » Domination intellectuelle.

« Ah bon ? Tu es dans mon cours aujourd’hui ? Tiens, tu n’as qu’à te mettre là. » Désintérêt, désengagement.

Ces témoignages disent combien la présence des AESH peut être difficilement acceptée par les enseignant·es et combien il leur est, à elles, difficile de trouver leur place. Si leur rôle auprès des élèves en situation de handicap n’est pas vraiment remis en question, leur présence en classe fait l’objet de non-dits, de gêne et de déstabilisation, mais rarement d’un travail commun autour des besoins de l’élève.

Cette institution qui divise

Il y aurait bien des interprétations à faire de l’attitude des enseignant·es, allant de la simple méconnaissance au franc mépris. Mais dans tous les cas, il reste toujours la souffrance des collègues AESH, et la manière dont elles se sentent, systématiquement, invisibilisées et illégitimes. De part et d’autre, resurgissent brutalement les hiérarchisations auxquelles nous sommes familièr·es, construites dès l’école, et que nous transmettons parfois malgré nous. Des hiérarchisations qui veulent qu’il y ait des sachant·es et des ignorant·es, des supérieur·es et des inférieur·es, des dominant·es et des dominé·es, des fort·es et des faibles, des légitimes et des illégitimes à parler éducation. On aurait pu croire que l’accompagnement des élèves en situation de handicap serait reconnu comme n’importe quel autre métier de l’éducation, et peut-être même encore plus, tant paraît essentiel l’enjeu d’une école inclusive qui accueille dignement tou·tes les enfants. Mais il n’en a rien été. Dès la création de la fonction d’AVS en 2003, puis d’AESH en 2014, le ministère a assigné à ces personnels une situation d’infériorité et de précarité : salaire misérable, contrats instables, formation dérisoire – quand elle existe ! –, temps partiels imposés, gestion administrative incompétente – combien ne sont pas payé·es en début d’année ? –, réduction des personnels à de simples « moyens humains » à répartir entre plusieurs élèves aux troubles bien différents, toujours sans formation, etc.

Ainsi donc, lorsque l’institution elle-même écrase une catégorie de personnels et refuse de la reconnaître comme corps professionnel digne et compétent, comment développer un sentiment de confiance en soi et en son métier ? Comment s’étonner du mépris de certain·es chef·fes d’établissement ou de référent·es de scolarisation1, de la crainte d’un certain nombre de familles, de la méfiance d’une partie des enseignant·es ?

L’institution porte en effet la responsabilité de la fracture dans les équipes, en particulier entre les AESH et les professeur·es, jamais informé·es des missions des un·es et des autres, jamais formé·es à un travail coopératif, sans compter les techniques de management douteuses, qui interdisent aux AESH d’aller en salle des personnels ou de parler aux enseignant·es, et exigent qu’elles ne se réfèrent, pour leurs difficultés, qu’à leur seul interlocuteur de direction, alors que les échanges entre les personnels directement concernés par la scolarité des élèves en situation de handicap paraissent évidemment plus pertinents.

Travailler ensemble

« Jamila, can you help me ? »

« Béatrice, tu sais où on a cours après ? »

« Madame, c’est vrai que Rosa, elle va nous présenter un livre demain ? Wouah, c’est trop bien ! »

Jamila, Béatrice et Rosa sont AESH. Dans ces paroles d’élèves, on voit comme les jeunes acceptent beaucoup plus naturellement la présence d’une autre adulte dans la classe, et reconnaissent toute l’importance des AESH : ici, l’une aide l’élève en situation de handicap, mais également celles et ceux qui la sollicitent lorsque la professeure est déjà avec un autre groupe ; une autre est devenue une référente dans la vie et l’organisation de la classe, permettant aux 6e de mieux se repérer dans le collège ou l’emploi du temps ; la troisième participe aux temps d’échanges et de construction de la vie collective, en présentant une lecture, à l’instar des élèves et de la professeure. Installée dans une relation de confiance avec l’enseignante et reconnue et sollicitée pour son expertise professionnelle, Rosa n’hésite pas à suggérer des aménagements pour l’élève qu’elle suit, à conseiller d’autres approches pédagogiques et même à proposer des activités pour l’ensemble de la classe.

Bien que ces situations soient rares, elles existent et peuvent nous inspirer : ici, on voit que la méfiance et les relations de pouvoir et de domination ont disparu ; que chacun·e est reconnu·e comme expert·e dans son domaine, ayant la même légitimité à s’exprimer et à œuvrer pour une scolarisation efficace et digne des élèves. L’autre, le·la collègue, par son regard sur les élèves, par son parcours et son expertise, constitue un véritable appui et enrichit le travail de tou·tes.

Cela demande inévitablement une réflexion et une remise en question à la fois personnelles et collectives : personnelles, car il s’agit de lutter, constamment, contre des habitudes bien ancrées qui nous font percevoir l’autre comme une menace, une concurrence, ou un·e juge, et collectives car nous devons sortir de l’isolement et travailler de concert, faire appel aux compétences de chacun·e afin de penser des inclusions dignes pour tou·tes. Bien plus, il paraît essentiel de nous organiser et nous fédérer pour imposer la reconnaissance de nos collègues les plus précaires et méprisées, à l’échelle de l’établissement comme à l’échelle de l’institution.

1Le ou la référent·e de scolarisation est un·e enseignant·e qui s’occupe des élèves en situation de handicap d’un secteur, veille à la cohérence et à la continuité de leur Projet personnalisé de scolarisation, réunit et anime l’équipe de suivi (enseignant·es, AESH, personnels administratifs, intervenant·es extérieur·es, etc.). Selon les académies, elle ou il place les AESH dans les différents établissements.

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