Ce samedi à Paris 8 juillet, comme à Marseille, à Strasbourg, à Mantes-la-Jolie, à Nantes ou Dijon, un appel à rassemblement contre les violences policières se tient malgré l’interdiction de la préfecture pour « risque d’atteinte à l’ordre public ». Ça se passe comme ça maintenant, il suffit d’invoquer le maintien de l’ordre républicain pour justifier la restriction des libertés et des droits collectifs. Le porte-parole du gouvernement ne s’en cache pas, qui déclarait le matin même sur France inter que sa priorité c’était l’ordre public et rien d’autre, les larmes sur les joues d’une mère pleurant son fils froidement assassiné par la police ne comptant visiblement pour rien dans cette histoire de fou. Le rassemblement a duré à peine 30 minutes, les flics ayant ordonné d’évacuer la place de la République. Nous sommes parti-es en manifestation sauvage jusqu’à la gare de l’Est où nous avons été stoppé-es par les forces de l’ordre. C’est ici du moins que j’ai préféré quitter la manifestation, voyant qu’il serait difficile d’aller plus loin. Mais il était important de marquer le coup, de scander que l’État policier ne nous empêcherait pas de manifester puisqu’on en est là.
Un peu après, je constatais stupéfait de mes yeux qu’une autre manifestation avait lieu presque au même moment du côté de Châtelet, autorisée celle-là visiblement, et encadrée par des flics décontractés. Il s’agissait d’une manifestation de « patriotes » qui hurlaient « Macron à la poubelle » au milieu des drapeaux bleu-blanc-rouge. Je me suis souvenu à ce moment d’un autre argument de Véran à la radio pour justifier l’interdiction du rassemblement contre les « bavures policières » : les policiers doivent se reposer après leurs interventions pour mettre fin aux émeutes et il y a d’autres manifestations à couvrir. Pour singulière que soit notre époque, un parfum de fascisme n’en flotte pas moins autour de nous.
Qui sont les incendiaires ?
On en oublierait presque les raisons de la colère – l’élimination sommaire d’un jeune à Nanterre suite à un refus d’obtempérer. C’est le 15ème mort de la sorte depuis 2022. On parle beaucoup des émeutes urbaines un peu partout en France depuis la mort du jeune Nahel, moins du communiqué de deux syndicats de la police représentant près de 50% de la professions (1). Le texte parle d’une police en guerre contre les nuisibles, les hordes sauvages et la chienlit. Les signataires déclarent aussi qu’il n’est pas l’heure de faire du syndicalisme, que la police est en guerre et que demain elle sera en résistance et qu’il faut que le gouvernement en prenne conscience. Voilà une police républicaine qui se met hors de la république et qui menace ouvertement le pouvoir civil et il n’y aurait pas de sujet ? A se demander si la dramatisation autour des dégâts matériels consécutifs au soulèvement de colère ne vise pas à éluder une question très inquiétante : la soumission du pouvoir à la police. Voilà une situation quelque peu inédite dans l’histoire de la République…
On reproche aux jeunes de tout casser et de ne pas avoir de comportement politique, mais une partie des insurgé-es disent qu’ils emploient l’émeute pour se faire entendre parce que les manifestations pacifiques contre la réforme des retraites n’ont servi à rien. C’est au moins tirer les conséquences de l’obstination du gouvernement à ne pas écouter la contestation populaire face à une mesure injuste. Or, quand les moyens légaux d’intervention politique conforme à l’ordre légitime viennent à faire défaut, celles et ceux qui réclament justice en utilisent d’autres pour faire entendre leurs voix. C’est aussi simple que ça. Il se trouve en effet que le gouvernement fait comme si la grève et les manifestations ne faisaient plus partie des moyens démocratiques d’expression, la légitimité s’arrêtant à celle des urnes.
Pendant que le gouvernement s’empressait de donner des gages aux institutions garantes du bon fonctionnement du « marché divin », il s’est fort peu intéressé au sort d’une certaine jeunesse qui a été particulièrement touchée par la crise sanitaire. Le Monde rapportait ainsi en 2021 que les inégalités à l’école s’étaient accentuées, les écarts se creusant encore davantage entre les plus favorisé-es et les moins favorisé-es (2). Il faudrait en outre parler de la crise du logement et de la déliquescence d’un système de santé miné, comme les autres services publics, par les politiques « austéritaires » qui finissent par susciter un délitement social dramatique.
Ordre public ou ordre politique ?
Le gouvernement ne cesse de se prévaloir de la république. Mais on a envie de répondre « la république, dans quel état ? ». Le philosophe Jean-Fabien Spitz a publié un livre important en 2022. Il y analyse un raidissement de l’ordre républicain qui s’est mué en véritable intégrisme politique. En se mettant au service du libéralisme autoritaire et en reléguant la question sociale, la république est devenu un instrument de domination entre les mains d’une minorité d’accapareurs. Or nul ne peut être assujetti à l’obligation morale d’aimer et de respecter les moyens de son propre asservissement (3). Pas de justice, pas de paix !
C’est un fait, ce gouvernement n’est rien d’autre que le fondé de pouvoir du capital. Et il semblerait qu’il soit prêt à défendre les besoins de l’économie au risque de la destruction complète des institutions démocratiques.
« Dites-moi, dites-moi, quel est notre avenir »? C’est une question que les jeunes pourront nous poser en septembre, bien à propos.
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1. Mort de Nahel : les syndicats Alliance et Unsa-Police se disent «en guerre» contre des «nuisibles», la gauche dénonce une «menace de sédition», Libération du 30 juin 2023.
2. A l’école, des inégalités aggravées par la crise sanitaire, Le Monde du 7 octobre 2021.
3. J-F. Spitz, La République ? Quelles valeurs ? Essai sur un nouvel intégrisme politique, Gallimard, 2022.