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Et si on écrivait sur les murs de la classe?

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Épisode 1 :

Nous sommes vendredi, il est quasiment 16h et nous voici en pleine lecture de textes libres avec les élèves de 6ème. C’est au tour de Fatoumata* de lire le texte qu’elle a fini de recopier dans son cahier d’écrivaine : « Filles VS garçons », tel est le titre, prometteur… Il y est question des préjugés qui entourent les filles. Tout est parti, nous explique-t-elle, d’une remarque faite par l’un de ses camarades : les filles courraient moins vite et auraient moins de force que les garçons. En quelques lignes, Fatoumata expose dans son écrit plusieurs objections et plusieurs exemples pour contredire ces affirmations et conclut sur le fait qu’il n’y a pas de « trucs pour les filles » ni de « trucs pour les garçons ».
S’ensuit le moment des échanges sur le texte lu. Généralement, ceux-ci prennent la forme de commentaires sur la qualité de l’écriture, de questions sur le contenu, sur les personnages, afin que l’élève précise ou donne des explications sur l’origine du texte. Mais cette fois, les échanges se font d’emblée polémiques, opposant clairement un groupe de filles et un groupe de garçons, avec à côté des élèves qui adoptent un point de vue plus nuancé ou qui se taisent.
Pourquoi les filles auraient moins de force que les garçons ? – C’est n’importe quoi, moi par exemple, je sais que je bats Alex à la course et que Magali est plus forte qu’Issa – Il y a quand même des trucs que les garçons ne font pas, comme mettre des jupes ou se maquiller – Nous les filles, on nous oblige toujours à faire des choses à la maison alors que les garçons, ils font ce qu’ils veulent – C’est plus dur d’être une fille.
Les échanges vont bon train, les langues se délient… Quelle frustration que cette sonnerie qui retentit soudain et nous coupe dans notre élan !

Durant le week-end, je reste très impressionnée par l’intensité des échanges et plus j’y réfléchis, plus je me dis qu’il n’est pas possible d’en rester là. Que ce soit pour les élèves très vindicatifs·ives, qui avaient beaucoup de ressentis à exprimer, d’idées à énoncer mais aussi de préjugés à formuler, ou pour les élèves resté·es en retrait, qui avaient sans doute des choses à dire mais n’ont peut-être pas osé.
Alors, comment donner une suite satisfaisante à ces échanges, sachant que les 6e n’ont pas forcément l’habitude des débats, de la formulation de critique, de l’argumentation… ?
Il me vient alors une idée… Comme j’affectionne particulièrement les petits papiers, que ce soit pour exprimer mes propres idées (http://www.lettresvives.org/2019/01/30/enseigner-et-tenir-un-journal-de-bord-2/ ) ou pour que les élèves expriment les leurs, je m’oriente dans cette direction, mais en ayant le souhait de donner de la visibilité à leurs questionnements et de conserver la spontanéité initiale, ce que ne permettent ni la boîte à idées, ni le débat structuré en classe. L’idée est donc d’utiliser le dernier mur vide de ma salle, très bien situé, à côté de la porte d’entrée, pour créer un « mur des débats ».

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Comment fonctionne le mur des débats ?
C’est assez simple :
– Le débat est ouvert à tou·tes, élèves comme adultes, de 6e comme de 5e ou 3e, voire 4e pour les collègues qui fréquentent cette salle.
– La question du débat est indiquée en haut du mur.
– Les règles sont affichées dans un coin à gauche (demander une feuille à Mme Triguel ; noter un argument par feuille, au feutre, en précisant le prénom et la classe ; montrer à Mme Triguel puis coller la feuille sur le mur).

Avec ce procédé, je souhaitais rebondir sur les échanges avec les 6e mais aussi faire participer mes autres classes, un peu comme un débat inter-âge, sachant les 3e plus expérimenté·es et très volontaires pour les débats, et les 5e très passifs et difficiles à motiver. Tirer profiter de la spontanéité et des questionnements des élèves, de la culture argumentative des 3e pour que les un·es et les autres se répondent mutuellement, s’apportent structuration, arguments, bienveillance, mais tentent également d’entraîner les 5e dans leur sillage, tel était mon pari.

On parle de la vie
J’arrive donc le lundi avec mon « mode d’emploi » et mon affiche vierge pour noter en gros la question du débat. Je commence par demander aux 6e ce qu’ils et elles ont retenu de la séance du vendredi.
Dommage que ça ait sonné – Madame, on peut pas faire des débats en classe ? – On peut continuer ? C’était trop bien !
C’est donc avec enthousiasme que les jeunes accueillent l’idée du mur des débats et nous nous mettons à l’œuvre dans la foulée. Après quelques minutes pour résumer les échanges du vendredi, apporter de nouveaux éclairages, nous nous décidons pour deux questions :
« 1- Il paraît qu’il y a des trucs de filles et des trucs de garçons… Qu’en penses-tu ?
2- Certaines filles de la classe pensent qu’il est plus difficile d’être une fille qu’un garçon : quel est ton avis ? »
Les questions sont écrites en gros sur l’affiche, le mode d’emploi est collé et les élèves prennent une feuille (parfois plusieurs!) et réfléchissent à leurs idées. Au fur et à mesure, chacun·e se présente avec sa feuille, je corrige les quelques erreurs qui traînent et leur donne de la pâte collante pour fixer leur feuille au mur. En 1/2 heure, le mur s’anime et la curiosité des élèves pour les écrits des autres arrive, forcément. Par deux ou trois, elles et ils se placent devant le mur, parcourent les idées de leurs camarades, opinent du chef ou froncent les sourcils. L’heure se termine sur ce travail consciencieux de retour sur soi, afin de structurer ses idées, et d’écriture pour autrui.
Amy conclut pour tout le monde : « Madame, c’est génial des heures où on travaille comme ça, parce qu’on discute, on débat, on parle de la vie ! ».

Du lien entre les élèves de différents niveaux
L’heure suivante, j’accueille les 3e. Évidemment, je passe la récréation à trépigner, tant j’ai hâte de voir leurs réactions. Dès leur entrée, les élèves remarquent les affichages et s’arrêtent pour observer cet inédit, pour lire, créant un petit embouteillage dans le couloir. Je laisse faire.
Madame, c’est quoi ? – Oh mais c’est trop bien, nous aussi on peut le faire ? – Pourquoi on n’a pas fait ça en 5e ? – Mais c’est quoi des trucs de filles ? – Madame c’est qui qui a écrit ça ?
Une fois les élèves installé·es, je leur explique la genèse du mur des débats et leur en expose les finalités, en insistant sur leur posture d’expert·es dans le domaine de l’argumentation et le rôle de guides qu’elles et ils peuvent jouer auprès des plus jeunes dont les idées manquent parfois de clarté, de nuance ou de recul critique.
Nous prenons quelques minutes pour expliciter les questions du débat avant de reprendre le travail en cours. Je propose aux élèves volontaires pour participer au débat mural de se gérer pendant leur plan de travail sur l’autobiographie et d’y introduire des temps pour lire les productions affichées et/ou pour rédiger leurs propres arguments.
Là encore, le mur s’anime au fur et à mesure de l’heure. Des groupes de trois élèves consultent les écrits des 6e, d’autres ont déjà pris des papiers pour noter leurs idées, mais surtout, ce sur quoi j’avais misé surgit lorsqu’un élève me demande s’il peut répondre à une camarade de 6e avec laquelle il n’est pas d’accord. Un peu provocateur, il voudrait savoir s’il a le droit de la « casser » et c’est sa voisine qui lui explique que cette approche pourrait être blessante et n’aurait que peu d’intérêt, ce que Julien comprend. Mais sa demande donne l’idée à d’autres d’être dans l’échange avec les 6e et nous établissons une nouvelle règle : lorsque l’on répond à un·e élève, on colle la feuille en la superposant légèrement sur celle à laquelle on répond, de manière à montrer qu’il y a un lien direct.
Le lendemain, ça n’a pas loupé : les 6e se précipitent sur le mur – nouvel embouteillage ! – exclamations de surprise à voir autant de papiers ajoutés, curiosité à lire ce que les grand·es ont écrit ou répondu.
Oh, mais il y a quelqu’un qui m’a répondu ! – C’est qui Anissa ? – Mais moi je suis pas d’accord avec lui, je vais lui répondre ! On peut, madame ?

La dynamique s’est enclenchée, le débat mural prend vie !

[/Jacqueline Triguel/]

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Suite de l’expérience sur le site du collectif Lettres vives
Épisode 2

*Les prénoms ont été modifiés.

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