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Et la Commune inventa l’école du peuple

« Il importe que la révolution communale affirme son caractère essentiellement socialiste par une réforme de l’enseignement ouvrant à chacun la véritable base de l’égalité sociale, l’instruction intégrale à laquelle chacun a droit 1. »

« Dans les écoles confessionnelles, déclarait Jules Ferry au moment de défendre son projet d’école de la République, les jeunes reçoivent un enseignement dirigé tout entier contre les institutions modernes. On y exalte l’Ancien Régime et les anciennes structures sociales. Si cet état de choses se perpétue, il est à craindre que d’autres écoles se constituent, ouvertes aux fils d’ouvriers et de paysans, où l’on enseignera des principes diamétralement opposés, inspirés peut-être d’un idéal socialiste ou communiste emprunté à des temps plus récents, par exemple à cette époque violente et sinistre comprise entre le 18 mars et le 28 mai 18712. » C’est donc aussi contre cette expérience éducative de la Commune, cette école du peuple et non « pour le peuple », que s’est pensé et édifié notre système scolaire.

La Commune de Paris, dont les valeurs éducatives s’enracinent dans les réflexions des penseurs socialistes et de l’Association internationale des travailleurs, prend à la lettre l’avertissement de Proudhon : « Nulle révolution, désormais, ne sera féconde si l’instruction publique recréée n’en devient le couronnement. » Les dominés ne se contentent plus de penser une autre école et une autre éducation mais se décident à la mettre en œuvre.

Pour la première fois dans l’histoire, dix ans avant les lois scolaires de la IIIe République, le peuple se dote d’une « école publique, gratuite, laïque et… intégrale », pour reprendre l’expression défendue alors dans le Manifeste des sections parisiennes de l’Internationale (23 mars 1871). L’école est un élément incontournable de la révolution communarde ; la politique d’éducation se veut en elle-même révolutionnaire afin de balayer l’ensemble de la structure éducative en place. Cependant « la Commune était en premier lieu une “barricade”. Elle dut vivre d’abord. Primo vivere. La culture ne pourrait venir qu’ensuite3 ». Ainsi Louise Michel, institutrice en poste au moment du déclenchement de l’insurrection, est avant tout accaparée par les combats de rue. Elle note cependant dans ses Mémoires : « J’étais tout particulièrement concernée par la réforme de l’enseignement qu’entreprenait la Commune sur des bases très saines : respecter la conscience de l’enfant, en faire un citoyen responsable, capable d’aimer ses semblables, lui inspirer l’amour de la justice. C’étaient aussi les buts que je m’efforçais d’atteindre dans ma classe depuis de longues années. Je n’ai pas pu faire partie de la commission de l’enseignement, car je me trouvais sur les remparts. Mais elle faisait beaucoup appel aux facultés visuelles des enfants et refusait les punitions et les récompenses, le sentiment du devoir accompli devant suffire. »

La tâche est immense : dans certains quartiers populaires, plus de la moitié des enfants ne sont pas scolarisés. Dès sa deuxième séance (29 mars 1871), le Conseil de la Commune met en place une commission de l’enseignement, dont Édouard Vaillant prendra la direction. Ingénieur et médecin, membre de l’AIT, il avait participé aux travaux sur l’enseignement lors des congrès de Lausanne (1867) et de Bruxelles (1868). Il est probablement celui qui résume le mieux le projet éducatif de la Commune : affirmation du principe d’égalité comme fondement du projet éducatif, impossibilité de dissocier révolution sociale et révolution éducative et, enfin, esquisse d’un enseignement « intégral » visant à « cultiver à la fois dans le même individu l’esprit qui conçoit et la main qui exécute ».

Une des premières mesures est d’augmenter le traitement des enseignants et d’établir l’égalité salariale entre les sexes proclamée par la Commune. Vaillant lance également un appel à « toutes les personnes qui ont étudié la question de l’enseignement intégral et professionnel », les invitant « à communiquer par écrit leurs projets de réforme à la délégation de la Commune à l’enseignement4 ». C’est dans cet esprit qu’il organise des réunions où les instituteurs et institutrices, mais aussi les parents, étudient les réformes à réaliser dans les programmes, la méthode et les lois d’enseignement5.
L’entrée des versaillais dans la capitale referme de manière sanglante la parenthèse. Dans le domaine éducatif, les réalisations seront toutefois difficiles à effacer. Dix ans plus tard, la gratuité et la laïcité seront reprises à son compte – et à son profit – par le pouvoir républicain, mais pas l’idée d’un enseignement intégral. Il s’agira alors, selon la formule de Jules Ferry, de « clore l’ère des révolutions » – l’exact contre-pied du projet communard.
Rarement depuis, il ne s’est retrouvé une telle ferveur et une telle confiance dans l’initiative populaire pour changer l’école et la société en formant « des hommes complets, c’est-à-dire capables de mettre en œuvre toutes leurs facultés et de produire non seulement par les bras mais par l’intelligence ». (Le Père Duchêne).

L’enseignement professionnel et intégral 6

« Depuis quatre-vingts ans, c’est-à-dire depuis la Révolution française, l’instruction publique, problème social qui contient en lui la solution de tous les autres, se meut dans le cercle vicieux d’un continuel malentendu.

Les sociétés d’avant 1789, société grecque, romaine, féodale ou monarchique, issues toutes du même accident – la conquête, abus de la force – se sont rencontrées sur un point, le mépris du travail, l’asservissement du producteur. […] Touchante unanimité !

Partout, toujours, dans cette longue suite de siècles, le travail est la chute, l’oisiveté le but désiré, poursuivi.

Travailler est le châtiment de l’esclave, survivant au fait brutal de la conquête et se perpétuant de génération en génération ; consommer, briller, est le lot du maître : fils, valet ou bouffon des conquérants.

Mais le travail est la première des lois humaines. On peut le discréditer, l’avilir, même le noter d’infamie ; le supprimer, impossible ! Que le travail s’arrête, ne fût-ce qu’un instant… l’humanité cesse d’exister.

Ouvrons l’histoire et sachons lire. Nous verrons que le travail est si bien la loi fatale, la condition indispensable de l’existence humaine, que nul, même l’oisif, ne peut s’y soustraire. Dans les sociétés dont nous résumons l’histoire, il fallut, pour occuper le bras et le cerveau des vainqueurs, nourris, logés, vêtus, amusés par le travail servile, il fallut, dis-je, inventer toute une série de travaux inutiles, improductifs, et par cela même nobles, qui permissent à ces gens d’échapper au marasme, à l’ankylose que produit infailliblement l’inaction. […]

Avant 1789, l’éducation, basée sur l’horreur du travail productif, réputé dégradant, ignoble, tendait à habituer le corps et l’esprit de l’élève à des exercices inutiles et coûteux qui s’appellent guerre, chasse, éloquence, usage du monde. Sorti des mains de ses maîtres, le jeune gentilhomme, la tête pleine d’idées fausses, incapable de s’habiller seul ou de cuire un œuf à la coque, représentait bien un monstre nuisible et charmant, dresser à consommer et à détruire : type achevé, complet, de la bête de proie. […]

L’éducation est restée à peu de chose près ce qu’elle était avant 1789. Elle persiste dans les mêmes routines, préconise les mêmes erreurs et prépare nos enfants à la vie d’homme en leur apprenant à lire dans les sermons des prédicateurs de la cour du Roi Soleil !

En ce moment, fait inouï que l’histoire se refusera de croire, l’éducation cléricale reprend faveur. Cela tient à ce que ces gens ont un but – le retour en arrière – tandis que l’éducation laïque, sans idée comme sans horizon, piétine sur place dans le plus effroyable gâchis. […]

Les universitaires semblent en effet se refuser obstinément à comprendre cette chose si simple, qu’il faudrait préparer l’élève à vivre dans la société d’aujourd’hui, non plus dans la société grecque ou romaine. […]

Il faut que l’éducation soit professionnelle et intégrale. Il faut que les jeunes générations, nées et à naître, soient à mesure de leur éclosion intelligemment guidées dans leur voie qui est le travail. Il faut que les hommes de 1880 sachent produire, d’abord ; parler et écrire, ensuite. Il faut que, dès son jeune âge, l’enfant passe alternativement de l’école à l’atelier, afin qu’il puisse, de bonne heure, gagner sa vie, en même temps qu’il développera son esprit par l’étude et la pensée.

Il faut, enfin, qu’un manieur d’outil puisse écrire un livre, l’écrire avec passion, avec talent, sans pour cela se croire obligé d’abandonner l’étau ou l’établi. Il faut que l’artisan se délasse de son travail journalier par la culture des arts, des lettres ou des sciences, sans cesser, pour cela, d’être un producteur. Quand nous en serons là, quand chaque consommateur saura produire et produira un travail utile, le problème social sera bien près d’être résolu.

Extrait de L’École des barricades, 25 texte pour une autre école, Grégory Chambat, Libertalia, 2014.

1. Citation d’Édouard Vaillant lors de l’appel du 17 mai 1871 aux municipalités.
2. Dates de début et de fin de la Commune de Paris.
3. Dommanget Maurice, L’Enseignement, l’enfance et la culture sous la Commune, Éditions-librairie de l’Étoile, 1964, p. 12.
4. Vaillant Édouard, publié dans le Journal officiel de la Commune, 23 avril 1871.
5. Journal officiel de la Commune, 6 et 14 avril 1871.
6. Bellenger Henri, Le Vengeur, 7 mai 1871.

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