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Entretien : quand l’extrême droite rêve de faire école

Un entretien avec notre camarade Grégory Chambat publié sur le site de l’Institut de recherche de la FSU.

Six questions à Grégory Chambat

Propos recueillis par Paul Devin 

Commençons par un sujet que l’actualité a remis en avant. Pourquoi les droites réactionnaires ont-elles toujours fustigé le collège unique ?

C’est vrai que c’est un marqueur essentiel du discours de l’extrême droite. Il faut se souvenir que la création du collège unique a été concomitante du renouveau de l’extrême droite avec la création du Front National et l’émergence de la pensée d’une « nouvelle droite » qui voulait engager un combat idéologique pour l’« hégémonie culturelle ».
Mais quand, au début du XXe siècle, était portée l’idée d’une école unique pour mettre fin au système scolaire qui séparait les enfants des classes populaires et ceux de la bourgeoisie, c’était déjà l’extrême-droite qui s’y opposait : l’Action Française et tout particulièrement son Cercle Fustel-de-Coulanges. L’extrême-droite a toujours combattu l’idée d’une démocratisation scolaire qu’elle juge égalitariste et nuisible à la nécessaire sélection élitiste …
Ce qui est inquiétant, c’est que ce discours qui évacue les ambitions d’égalité de l’école semble s’imposer aujourd’hui, y compris chez Macron, Blanquer, Attal et compagnie… Et tout cela pour la satisfaction du patronat qui se réjouit de telles évolutions. L’extrême-droite défend l’orientation précoce des élèves vers l’apprentissage, dès le 5ème, idée que l’on voit poindre à nouveau dans le discours gouvernemental.

Vous reprenez dans votre ouvrage, l’expression « haine de la démocratie » …
Oui, c’est le titre d’un ouvrage de Jacques Rancière. La formule de Maurras était « la démocratie voilà l’ennemi »… et le nouvel acteur de cet affirmation c’est Éric Zemmour. Nous pouvons parfois être leurrés par un discours de l’extrême-droite qui nous laisserait penser qu’elle est aujourd’hui prête à se couler dans les institutions… mais il ne faut pas douter qu’une fois au pouvoir elle s’attaquerait au droit syndical, limiterait l’expression des enseignants et leur liberté pédagogique. Aux États-Unis, ça a été la censure des bibliothèques avec le retrait des livres de Paulo Freire et de Martin Luther King. Au Brésil, l’idéologie d’une « école sans parti », derrière un discours lisse, entendait mettre au pas les enseignant·es. En Hongrie, l’école est sommée d’éradiquer la culture « diversitaire » pour renouer avec les valeurs de la civilisation occidentale et ses racines chrétiennes.
Regardez comment ça débute en France avec les « Parents Vigilants », ce collectif fondé par Éric Zemmour… S’ils ne sont pas ouvertement soutenus par le pouvoir, le ministre se garde bien de prendre position quand les syndicats l’interpellent sur le sujet. Regardez ce qui s’est passé à Issou, dans ce collège des Yvelines où une professeure a été l’objet de diffamations parce qu’elle avait étudié avec ses élèves un tableau inspiré de la mythologie où figurait des femmes nues…  Le ministre se déplace, donne des moyens … c’est à dire calme le jeu pour faire cesser l’exposition médiatique. Mais il ne fait rien sur le fond. Combien d’enseignants restent sans soutien face à de telles attaques et doivent faire avec 30 élèves, sans un personnel éducatif suffisant. En matière de protection, tous les fonctionnaires ne sont pas logés à la même enseigne et trop se retrouvent sans soutien.

Comment tout cela se joue avec les accusations d’islamo-gauchisme portées contre eux ?
L’extrême-droite a récupéré le principe de laïcité à contre-pied de son histoire en l’utilisant pour servir une idéologie à l’opposé des idéaux laïcs. C’est un retournement très piégeux.
Et quel jeu joue une partie de la gauche ? On a vu comment des chevènementistes, comme Florian Philippot se sont ralliés au Front national. Cette stratégie était déjà celle de Bruno Mégret au moment de l’affaire du voile de Creil, en 1989. Depuis, une partie de la gauche joue des pires ambiguïtés faisant de la laïcité un principe d’exclusion et en abandonnant le projet socialiste pour un projet républicain qui se focalise sur des questions nationales et identitaires, qui instrumentalise la menace terroriste pour tenir des discours de stigmatisation, d’exclusion. Les théories de Renaud Camus sur le « grand remplacement » se sont banalisées et se doublent à présent de l’idée qu’un « grand endoctrinement » se met en place… Et tout cela en mettant sous le tapis la question du financement des écoles privées, au mépris de ses effets de ségrégation sociale. En nous faisant croire qu’on va parvenir à une plus grande égalité parce que les élèves porteront un uniforme.

Qu’est-ce que l’expérience municipale de l’accès au pouvoir de l’extrême-droite nous a appris par rapport à l’école ?
On voit bien comment s’y lisent les prémisses de ce que pourrait être une politique nationale, notamment dans le rejet de toute perspective sociale de la politique scolaire. Ça se traduit par exemple par la fin de la gratuité des cantines, du transport scolaire ou des activités périscolaires pour les enfants de chômeurs. « Le social, c’est pas moi » disait le maire frontiste de Mantes-la-Ville, la commune où je travaille. La volonté de réduire les coûts se fait sur le dos des écoles par la réduction des personnels municipaux comme les ATSEM. Et puis il y a ce discours permanent de considérer que les problèmes sont liés à un manque de responsabilité des familles. Au prétexte de cette « responsabilisation », on supprime des financements considérés comme de l’assistanat. Mais c’est un discours largement répandu à droite. Aurore Berger, ministre des Solidarités, ne cesse d’en appeler à une responsabilisation des familles.
L’extrême-droite joue aussi beaucoup sur l’idée d’un gaspillage budgétaire de l’éducation à l’égard des enfants des réseaux d’éducation prioritaire ou des dispositifs pour les élèves allophones.
Et puis, on voit comment ils cherchent à prendre la main sur les contenus même de l’enseignement. Les campagnes de dénigrement des enseignants et de leurs actions sont une stratégie de prise en main sur les programmes, une volonté de contrôle idéologique de l’enseignement.

Pourtant le discours du RN s’est adouci sur l’école…
C’est vrai qu’il y a des éléments qui se sont modifiés. Le premier programme éducatif du FN qui avait été écrit par Gérard Longuet défendait le chèque-éducation. Le discours de Jean-Marie Le Pen attaquait ouvertement les enseignants et l’école publique. Mégret avait un discours obsédé par le déclinisme et la nécessité d’un retour de l’ordre. Leur première stratégie a été de vouloir s’implanter dans l’école, notamment par le biais de syndicats qu’ils ont tenté de créer eux-mêmes.
Marine Le Pen a voulu rompre avec un discours d’attaques frontales contre les enseignant·es. Elle cherche à les présenter aujourd’hui davantage comme des victimes de la « déliquescence » du système scolaire. Elle fait comme si le programme du RN était un programme de défense des enseignant·es, de leur pouvoir d’achat, de leurs conditions de travail. Son Collectif Racine avait d’ailleurs été créé en rassemblant des militant·es d’extrême-droite, des chevènementistes, d’ex-syndicalistes de FO, de catholiques traditionalistes… pour défendre l’idée d’« enseignants patriotes ». Mais les fondamentaux, et la vision réactionnaire de l’éducation sont toujours à l’ordre du jour.

L’école peut-elle être un rempart contre l’extrême-droite ?
J’introduis le chapitre de mon livre consacré à la riposte par une citation de Philippe Perrenoud où il considère que l’école aura raté son objectif si un jeune sort de l’école obligatoire persuadé que les filles, les noirs ou les musulmans sont des catégories inférieures et cela même s’il sait la grammaire, l’algèbre ou une langue étrangère.
La première riposte de l’école, c’est de transmettre des principes, de valeurs égalitaires. Il faut se mobiliser collectivement pour cela. La riposte, c’est aussi lutter ensemble pour défendre l’éducation prioritaire, pour les enfants sans papiers et sans toit. Nous devons réactiver les luttes sociales autour de l’école.
Mais c’est aussi construire un projet capable de critique sociale sur les fonctions inégalitaires de l’école, de réflexion sur les contenus à enseigner et tout particulièrement sur les savoirs critiques, de réflexion sur nos pratiques pédagogiques qui permettent l’appropriation collective et coopérative des savoirs… et cela dans des termes qui parlent à tout le monde, qui acceptent le débat. Ça demande aussi de diffuser des informations pour démonter les fakes news, comprendre la réalité des projets ce qui se cachent derrière les discours.
Il faut acter une victoire idéologique de l’extrême-droite dont bien des idées se sont banalisées, ont été appropriés par la droite et parfois par une partie de la gauche. Mais acter cette victoire n’est pas un constat fataliste, c’est vouloir reprendre le flambeau, repartir à la bataille.
Une nécessité de ce combat c’est que nous retrouvions le sens du collectif. D’abord parce que face à l’extrême-droite le combat individuel est vain. Mais aussi parce que nous avons besoin de fédérer les forces de nos syndicats, de nos collectifs, de nos associations autour d’une volonté antifasciste. Cette culture antifasciste n’est pas évidente aujourd’hui. Certains de nos collègues considèrent que l’extrême-droite c’est devenu autre chose, qu’il n’y aurait pas tant de risques à l’essayer… Regardons la Hongrie, regardons les votes de Marine Le Pen au parlement européen et à l’Assemblée nationale, regardons les idées toujours présentes sous les apparences du discours … et on verra qu’il y a un danger réel.

Mais d’abord et avant tout portons le projet d’une école émancipatrice au sein d’une lutte globale contre les inégalités, le racisme, l’exclusion… en gardant le cap de l’égalité et de la justice sociale pour toutes et tous.

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