[bleu]En lutte pour « dé-chiffrer l’humain »[/bleu]
À l’heure où le ministère annonce l’abandon de l’idée d’en finir avec la notation à l’école, le petit ouvrage publié par le Lien arrive à point nommé pour nous rappeler les enjeux de cette bataille qui dépasse très largement la seule question pédagogique.
Évaluer sans noter, éduquer sans exclure, par son format réduit et son style concis évoque le pamphlet, le texte d’intervention, bref, combatif, nécessaire et salutaire !
Sa publication par un réseau international (le Lien : Lien international d’Éducation nouvelle) constitue son premier atout : il ouvre notre regard au-delà des frontières, apporte les points de vue « d’ailleurs », nourrit la réflexion par le récit d’expériences heureuses – ou malheureuses (comme l’illustre l’exemple de la Suisse, rapporté et analysé par Jean-Marc Richard et Etiennette Vellas dans un brillant chapitre « Élaborer un nouveau contrat scolaire »).
Le décryptage des enjeux sociaux et politique de la contamination de notre société par l’évaluation structure la partie la plus stimulante de l’ouvrage, dans son introduction comme dans sa première partie intitulée « La note, entre histoire et pouvoir ». Outre l’exemple Suisse déjà évoqué, le retour historique sur la mise en œuvre du système de notation par Olivier Maulini est des plus convaincant et instructif.
La dimension sociale, c’est le regard sans concession porté sur « l’évaluationnite » qui dégrade toutes les activités humaines (travail, culture, économie, etc.) en s’appuyant sur la légitimation que lui apporte les pratiques de tri, de classement, de mesure, inculquées dès le plus jeune âge à l’école (et l’accent porté sur l’évaluation en maternelle dans cet ouvrage s’en trouve par là pleinement justifié). Dès lors, il s’agit, selon la belle formule qui ouvre le livre de « Dé-chiffrer l’humain », un double défi : ne plus réduire l’activité humaine à des chiffres, des lettres, des notes, mais également de « nourrir à travers des formes d’évaluation innovante la création, l’imaginaire, la soif de culture et de lien social. » Un défi politique, assurément, puisque les auteurs s’attaquent ici, en discours et en pratiques, à une des dimensions constitutive du capitalisme et de son école : la mesure…
Pour mener à bien ce projet, les auteurs annoncent trois approches :
– « proposer des pistes pour l’analyse des effets destructeurs de la notation en usage […]
– faire connaître une variété d’outils […]
– affirmer qu’en matière d’évaluation aussi il est possible de changer. »
Si le premier et le troisième objectif sont assurément atteints, le deuxième mériterait plus de temps et d’espace. L’occasion d ‘y revenir dans une indispensable suite à ce travail…
Grégory Chambat.
Évaluer sans note, éduquer sans exclure, Michel Neumayer et Etiennette Vellas (coord.), Chronique Sociale (Comprendre la société), 2015, 207 p., 8 €.
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