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Elèves idéaux et réalité professorale

C’est un poncif du discours professoral que de se plaindre des élèves : de leur niveau, de leur utilitarisme, de leur manque d’intérêt pour les matières étudiées… Pourtant, entre le discours des enseignants et leur attitude réelle face aux élèves, y-a-t-il adéquation ?

L’élève idéal selon les professeurs et les élèves

Stéphanie Leloup dans une thèse de doctorat consacrée à l’ennui scolaire a étudié les représentations respectives des enseignants et des élèves concernant l’enseignant idéal et l’élève idéal. Les deux groupes présentent des divergences au sujet de leurs idéaux sur ces questions. Relativement à l’élève idéal, les enseignants, en particulier, mettent en avant une caractéristique qui est le plus souvent absente chez les élèves. L’élève idéal, pour les enseignants, s’il maîtrise son métier d’élève, va au-delà de celui-ci : « il n’est pas scolaire », « il a de la personnalité », « de l’esprit critique »… Pour les élèves, l’élève idéal peut avoir un portrait plus scolaire : par exemple, « il donne l’impression de s’intéresser au cours » (à défaut de s’y intéresser vraiment).

Les enseignants face aux intérêts intellectuels des élèves

Néanmoins, il est possible d’émettre des doutes sur l’adéquation entre l’attitude réelle des enseignants face aux qualités intellectuelles non-scolaires de leurs élèves et leur portrait de l’élève idéal. Cette inadéquation tient à plusieurs raisons :

– Des enseignants trop centrés sur la forme scolaire :

Tout d’abord, les enseignants restent centrés sur les attentes scolaires, plus que sur l’intérêt réel des élèves pour les savoirs. Ainsi, il arrive souvent d’entendre des enseignants déplorés l’intérêt, selon eux, trop superficiel des élèves. Ceux-ci peuvent montrer de l’intérêt en cours par une participation active par exemple, mais ne pas approfondir le travail à la maison.

Néanmoins, il est possible d’effectuer deux remarques sur ce point.

Première remarque : les études sociologiques font apparaître une inégalité sociale dans la maîtrise du travail à la maison. Faire reposer essentiellement les progrès des élèves dans une matière sur le travail effectuer à la maison, c’est risquer de favoriser la reproduction sociale. On peut se demander au contraire si l’enseignant ne doit pas autant que faire se peut, viser à faire progresser les élèves en classe ou alors leur donner les moyens de maîtriser l’organisation de leur travail personnel.

Deuxième remarque : ces élèves en réalité n’effectuent pas pour certains d’entre eux un travail scolaire à la maison, mais ils effectuent un travail non-scolaire centrés sur des savoirs intellectuels. En effet, certains possèdent une culture générale développée sur des sujets qui peuvent être scolairement valorisés, mais qu’ils ont acquis en dehors des exercices scolaires. Ces élèves préfèrent consacrer leur temps personnel à se cultiver à leur manière, plutôt que de le passer à des travaux scolaires.

Il est sans doute alors possible en s’affranchissant des attentes les plus scolaires de parvenir à leur permettre de valoriser leurs intérêts intellectuels dans le cadre scolaire, par exemple en leur demandant d’effectuer une présentation d’un centre d’intérêt qui les passionnent et qui est en lien avec la matière étudiée.

En réalité, il est sans doute plus facile pour nombre d’enseignants de s’occuper d’élèves qui s’adaptent de manière servile à la forme scolaire à défaut d’exprimer une réelle motivation pour les savoirs étudiés. Il est en réalité plus difficile et déconcertant de parvenir à valoriser dans le cadre scolaire des élèves qui développent un intérêt plus personnel et parfois plus créatif pour les savoirs étudiés.

– Des normes implicites du savoir légitime

Nombre d’enseignants -en particulier en lycée -, dans plusieurs matières, sont passés par les classes préparatoires littéraires. Leur vision de la culture et de l’excellence scolaire reste marquée par cette expérience qui est en réalité restrictive et qui ne correspond que peu paradoxalement aux attentes les plus élevés du champ scientifique. Alors que la recherche scientifique implique la controverse et valorise la créativité, l’enseignement en classe préparatoire tend à inculquer des savoirs dogmatiques figés dans la vérité dogmatique de l’enseignant qui les professent.

Ainsi, ces enseignants, formés dans les classes préparatoires littéraires, peuvent rester attachés à des contenus de la culture légitime classique alors même que la recherche scientifique s’avère plus ouverte dans les objets qu’elle prend pour sujet d’étude. C’est le cas par exemple d’enseignants qui considèrent la culture littéraire classique comme la norme leur permettant de juger de la valeur intellectuelle de leurs élèves tout en ne se rendant pas compte que par exemple ces mêmes élèves peuvent avoir une culture cinématographique étendue et originale.

L’incompréhension peut également provenir de la conception des savoirs que les enseignants possèdent, héritée là encore de leur expérience en classe préparatoire. Les savoirs sont présentés comme clos sur eux-mêmes et l’élève est sommé de s’y intéresser en soi. En réalité, les élèves ne sont pas nécessairement rétifs aux savoirs qui leurs sont présentés et peuvent même s’y intéresser réellement s’ils ont l’impression que ceux-ci leur permettent de mieux comprendre le monde dans lequel ils vivent, s’ils ont le sentiment que cela augmente leur puissance d’intelligibilité. Il y a une satisfaction à comprendre, à avoir l’impression qu’un savoir vous a rendu plus intelligent.

Conclusion :

Sans affirmer que tous les élèves sont spontanément ouverts aux savoirs qui leurs sont proposés, on a parfois l’impression que les enseignants par leur préjugés et leur manque d’ouverture à l’altérite se coupent d’élèves qui ont pourtant un réel intérêt pour les savoirs qui leurs sont proposés ou qui pourraient s’y intéresser. Chez certains enseignants, la forme scolaire vient à prendre le dessus par rapport au fait de développer un intérêt authentique pour les savoirs étudiés. On a parfois l’impression que certains passent à côté d’élèves, pourtant passionnés par les savoirs intellectuels, mais qui ne développent par leurs intérêts dans le cadre de la forme scolaire à laquelle ces enseignants ce sont eux-mêmes soumis pendant toute leur scolarité et qui semblent donc avoir du mal à admettre qu’il y a d’autres manières, sans doutes plus vivantes et authentiques d’ailleurs, de développer ces savoirs.

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