Menu Fermer

École ouverte de Jean-Michel Blanquer : Les clichés éculés de la droite réactionnaire par Brendan Chabannes, SUD éducation

Au milieu de la montagne de livres consacrés à l’école que les éditeurs publient en cette rentrée scolaire, on trouve celui du ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, École ouverte.

Édité par Gallimard, l’ouvrage n’a malgré sa prétention aucune qualité littéraire. Il est éreinté par la critique, et sa promotion semble se réduire au service minimum. École ouverte n’apprendra rien d’intéressant à personne. Son plan est simple. La première partie, la plus développée, a pour objectif avoué de construire contre l’évidence un récit alternatif de la crise sanitaire dans le service public de l’éducation, dans lequel le ministre aurait tenu le premier rôle. La seconde vise en quelques pages à peine à détailler en vain les contours flous d’une « nouvelle alliance éducative ». Rien de bien neuf ni stimulant donc, à l’instar de bien des livres que les politiques jugent bon de faire paraître à chaque fois qu’ils pensent avoir un destin et que leur heure a enfin sonné. Pourquoi alors s’y intéresser ? Car ce qui se dessine dans ce texte, c’est bien le portrait en creux d’un chef de fil d’un courant libéral-réactionnaire, dont l’expression est en cours de démultiplication.

Blanquer livre un récit mythifié de la gestion de la crise sanitaire au ministère, dont il est quasiment le seul personnage : les autres figures ne sont que des ombres, qui ne semblent prendre vie que lorsque le ministre entre dans une pièce. Voilà qui dit déjà quelque chose de la conception particulière du service public que l’on se fait au gouvernement : une administration impersonnelle et verticalisée, au service des dirigeant⋅es. Plus significatif encore, le vocabulaire guerrier utilisé à tout propos. On se souvient de l’expression présidentielle lors de l’annonce du confinement en 2020 : « nous sommes en guerre ». Le ministre l’a pris au mot : « guerre », « décimés », « monter au front » en sont quelques exemples parmi de nombreux autres. En soi, le choix de ce vocabulaire relève de plus qu’une servilité lexicale pour le chef de l’État. Il s’agit également d’un programme politique. Le ministre aime la discipline militaire. Il écrit lui-même dans l’introduction de son livre que l’enfant a besoin de « l’autorité d’un maître ou d’une maîtresse ». Récemment, il s’est également déclaré favorable au port de l’uniforme à l’école. Blanquer a fait la promotion des écoles du réseau Espérance banlieue, dont il vante « l’état d’esprit ». Les écoles Espérance banlieue, c’était un réseau d’écoles privées hors contrat catholiques et traditionalistes, où l’on pratiquait le port de l’uniforme et le lever de drapeau. Jean-Michel Blanquer ne manque pas de constance à ce sujet.

Le vocabulaire guerrier va au-delà : il s’agit pour le soldat Blanquer de montrer qu’il est fait d’un autre bois que le troupier. Il est, pour sa part, un « officier », qui trône sur le « piton de commandement » et met en place une « organisation commando » depuis la « war room » du ministère, alors qu’autour de lui les cadres du ministère tombent malades les un⋅es après les autres. À plusieurs reprises, Blanquer convoque l’imagerie réactionnaire du général d’Ancien régime faisant fi de tout risque quand son ordonnance est éventrée au canon. En cherchant à ce point à montrer qu’il mérite la confiance de son supérieur, le ministre sombre dans le ridicule, notamment lorsqu’il produit un récit grandiloquent d’un rendez-vous à l’Élysée :

[Le Président de la République] me raccompagne sur le perron de l’Élysée. Il fait nuit depuis longtemps. Il plonge ses yeux dans les miens comme il le fait à chaque fois qu’il veut absolument convaincre. Et nous nous quittons comme un officier quitte le chef de l’armée qu’il sert, graves et résolus à faire face.

Le ministre se brosse à son corps défendant un autoportrait : à la fois imbu de lui-même et fayot. Un peu plus haut, pour montrer qu’il ne recule devant aucun sacrifice, l’auteur n’hésite pas à gratifier son lectorat d’une phrase dans laquelle il indique prendre lui-même le volant de la berline ministérielle pour se rendre à l’Élysée.

Ce vocabulaire militaire pourrait prêter à sourire, mais n’a aujourd’hui rien d’amusant. Le ministre lui-même assume faire partie de cette frange des responsables politiques qui se questionnent « depuis de nombreuses années » sur les conséquences d’une guerre. Il en vient même à se demander s’il y aurait « une somme trop importante de lâchetés et de vilenies conduisant au chaos, à la défaite, à la division ». Le thème d’une inéluctable défaite en raison de la division intérieure est un motif rhétorique important à l’extrême droite depuis la fin du XIXe siècle. Le ministre va plus loin, évoquant de mystérieuses « forces hostiles » qui « affaiblissent la République ». Il ne s’agit bien évidemment pas pour le ministre de s’émouvoir de la montée dans les médias comme dans la sphère des responsables politiques des thèses de l’extrême droite. On connaît à cet égard les déclarations successives de Blanquer, ciblant les universitaires, les responsables politiques de gauche, et les syndicats : l’Unef et SUD éducation notamment, affublés de l’étiquette « islamo-gauchiste » et de faire le lit du « fascisme ». En cela, le ministre se révèle un chef de file au gouvernement : Frédérique Vidal reprend le terme à son compte, et Sarah El Haïry, secrétaire d’État à la jeunesse (sous la tutelle de Blanquer), peut déclarer, le 13 septembre, que ce qui l’« effraie encore plus que Zemmour, c’est les discours intersectionnels du moment ». Blanquer représente un courant pour les membres duquel il s’agit de lutter prioritairement contre celles et ceux dont la boussole est l’égalité1. C’est dans ce cadre délétère que s’inscrit la campagne d’affichage dans l’espace public produite par le ministère : des affiches qui présentent l’individualité et la singularité des élèves comme autant de fractures possibles dans la société.

Au-delà, le ministre décline l’un après l’autre les clichés éculés de la droite réactionnaire. Ainsi, le ministre justifie son opposition à la fermeture des écoles et établissements scolaires parce qu’elles éloignent les élèves du « labeur quotidien », et s’érige en défenseur du « renouveau de la valeur travail ».

À cette vision hallucinée d’un pays qui serait fracturé par le communautarisme et une cinquième colonne souterraine, le ministre ajoute un rapport bien personnel à la science. Il critique le pouvoir selon lui « exorbitant » accordé aux « scientifiques et aux médecins » durant la crise sanitaire. Il faut dire que la communauté scientifique a été amenée à de nombreuses reprises à le contredire, en particulier sur sa propension à prétendre que les écoles n’étaient pas des lieux de contamination. Blanquer leur reproche alors de s’exprimer « sans mesure ».

Autre point saillant, le sexisme ordinaire :

Mes secrétaires que j’aime tant sont au four et au moulin. L’une d’elle prépare de gigantesques blanquettes de veau que nous partageons dans le bureau avec les membres du cabinet présents […].

À chaque fois que le ministre exprime une émotion qui n’est pas celle, mâle et virile, de l’officier, c’est pour dire de celles qui sont à son service qu’il les « aime ». Il en sera ainsi de même pour les enseignantes qui assureront l’accueil des enfants de soignant⋅es, récompensées pour leur « dévouement » d’une audience au ministère : « je les aime, mais ce serait incongru de le dire si directement ».

L’ouvrage s’achève sur une seconde partie qui prétend dessiner un projet d’école pour l’avenir. Il s’agit en fait d’un nouveau satisfecit dans lequel Blanquer défend son bilan, dont chacun⋅e sait qu’il est largement négatif : milliers de postes supprimés, un budget chaque année plus faible au regard de l’évolution des dépenses publiques, un autoritarisme accru et un dogmatisme inédit en matière de pédagogie. C’est à cet égard que le ministre revient sur une nouvelle marotte conservatrice :

Ce qui a beaucoup avancé depuis 2017, c’est la généralisation d’une approche qui efface les dernières scories de la méthode globale […].

Cette lutte contre la prétendue méthode globale s’inscrit dans un continuum. Il s’agit pour le ministre d’opérer un retour à une école idéalisée du XIXe siècle, avec ses humanités, son apprentissage par cœur, son autoritarisme, son élitisme, tout cela au nom de la récompense du mérite. Et cela tient lieu de pensée pédagogique au ministre, qui ignore complètement comment agissent les profressionnel⋅les de l’éducation dans les classes. Les enseignant⋅es n’ignorent pas, contrairement à Blanquer, qu’un sujet aussi complexe que la lecture est largement multifactorielle, et que prétendre qu’une méthode est une solution miracle relève d’une pensée magique. Le ministre se saisit surtout de cette méthode pour imposer un carcan fait d’injonctions à la performance aux enseignant⋅es, en leur déniant la possibilité d’expérimenter librement avec les élèves. Le plus urgent à ses yeux, c’est bien d’enrégimenter une profession globalement unie par le projet d’émancipation et d’égalité qu’elle porte pour les élèves.

Le ministre, qui intitule son livre École ouverte, le conclut en indiquant le contraire : il faudrait que l’école soit un « sanctuaire » et (lexique militaire encore) un « bastion ». Si le ministre Blanquer concentre aujourd’hui la critique des personnels de l’éducation, ce n’est pas pour ce qu’il est, mais au fond, pour ce qu’il représente et s’efforce de mettre en œuvre avec l’accord complet du gouvernement dont il est membre : un projet d’école, et au-delà, de société, rétrograde et qui accroît les inégalités à tous points de vue. Et cela, les enseignant ⋅es ne lui pardonneront pas.

Brendan Chabannes, co-secrétaire fédéral de SUD éducation

– Jean-Michel Blanquer, École ouverte, Gallimard, 2021, 112 p., 12 €.

1 L’égalité pour boussole, Théo Roumier, Les Utopiques, juin 2020.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *