Récemment, Léonore Moncond’huy a été la victime d’une de ces campagnes bien huilées de dénonciation et de calomnie dont les réseaux sociaux sont le théâtre. Son crime ? Avoir déclaré quelque chose autour de l’idée de rêves d’enfant : « L’aérien ne doit plus faire partie des rêves d’enfants. » Scandale ! Comment la maire de Poitiers osait-elle infliger ainsi à des “gosses qui rêvent de voler” une censure dogmatique, etc.
Hélas, là encore, ce n’est qu’une situation emblématique de backlash* : une femme, jeune qui plus est, accède à une importante fonction de pouvoir et agit en respectant ce pour quoi elle a été élue ! Alors, on extrait une capture vidéo du conseil municipal, on gomme le contexte, et c’est parti : selon un système bien rodé, on la jette en pâture sur Twitter à une meute de trolls réactionnaires dans une logique, politique, de discrédit public. Un retour de bâton bien en règle qui se fonde sur une instrumentalisation toute politique des rêves d’enfants. Pourtant, de même que pour les fausses polémiques autour des menus végétariens des cantines scolaires, ces réactions et ces méthodes sont hautement symptomatiques d’une constance. Celle d’un déni : le déni de l’urgence climatique et de l’écocide. Mais aussi celle d’un refus, le refus que les enfants puissent rêver à un monde autre que celui de leurs ainé·es, le refus que d’autres rêves puissent mettre en branle le monde de ces adultes indigné·es. Alors que factuellement, l’aérien fait partie du problème écologique : c’est un fait, non une opinion. Dès lors, les enfants ne semblent être qu’un prétexte, celui d’une campagne qui n’est ni plus ni moins que politique.
Force est pourtant de constater que, les enfants n’étant pas, ou pas trop, sur les rezosocio, les attaques sont bel et bien venues d’adultes qui prétendaient parler en leur nom. D’adultes qui soudain poussent des cris d’orfraie quand on touche aux rêves des enfants, mais qui étonnamment sont bien muet·tes quand il s’agit de défendre l’avenir de nos enfants lorsque l’École publique est sans cesse délabrée par la politique ministérielle et gouvernementale.
Mais enfin c’est une parole d’adulte, qu’en disent les enfants ? Peut-on d’ailleurs confondre rêve d’enfant et projet de vie, est-ce la même chose de vouloir être médecin et de vouloir rencontrer Kilian Mbappe (comme pourrait le proposer l’association Rêves) ? De quoi ces rêves sont-ils donc le signe ? D’un désir projeté ou d’une certaine lucidité sur ce qui est valorisé dans le monde dans lequel les gosses grandissent ? Y a-t-il une génération spontanée des rêves ? De qui viennent les rêves d’enfants ? « Tu feras polytechnique, tu seras un homme mon fils », c’est tout ? Écoute-t-on vraiment les rêves des enfants ? Dès lors, on s’interroge sur l’expression de ces rêves : un·e enfant, ça dit ses rêves ou ceux qu’on lui inculque, consciemment ou inconsciemment ? Qu’est-ce que le milieu social, l’éducation ou le genre révèlent des rêves des enfants ? Mais comment réagissent les familles quand leur enfant, qui a d’excellents résultats à l’école, annonce qu’il/elle veut faire un CAP cuisine ?
De fait, il est un endroit où rêves, projections, projets, des enfants, des adultes, de l’institution, se rencontrent plus ou moins joyeusement : l’orientation scolaire est une sorte de jeu de puzzle, il y a besoin d’une pièce ici, on y met qui ? Combien de vocations brisées, détruites, par le jeu “dur mais c’est le réel” des sélections de tout ordre ? À commencer par celle des enseignants : est-ce que remplir la fiche « Quel métier veux-tu faire plus tard » suffit à dire qu’on connait les rêves de nos élèves ? Enfin nos enfants ne rêvent que pour elle/eux ou rêvent le monde. Dessine-moi un monde pour ma génération : c’est possible ça ou ça nous fait trop flipper ? Comment faire place et droit à la projection que les enfants ont de leur moi et de leur univers ?
On n’y échappe décidément pas, les rêves sont eux aussi des objets sociologiques et politiques. Or les rêves véritables d’enfants ont bien peu de place dans ce système qui conjugue reproduction et relégation sociales. Dès lors, une autre école ne serait-elle pas entre autres une école qui fait de la place aux rêves d’enfants plus qu’à ceux des parents ? Une école qui leur permettrait de s’émanciper pleinement des rêves normés. Une école qui leur permettait de dessiner de nouveaux rêves : les leurs, pour elle/eux, pour leur monde.