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DES ELEVES A LA CONQUETE DU PASSE – Episode 1 – Faire de l’histoire, à quoi ça sert ?

Le livre Des élèves à la conquête du passé – Faire de l’histoire à l’école primaire, le numéro 16 de la collection N’autre école, sort le 22 août prochain aux éditions Libertalia. Pour l’occasion, nous publions sous forme d’épisodes quelques bonnes feuilles de cet ouvrage, en attendant le Congrès de l’ICEM-Pédagogie Freinet à Nanterre et surtout la soirée de lancement qui aura lieu le 9 septembre à 19h30 à la librairie Libertalia à Montreuil, avec notre collectif !

Ce livre de Magali Jacquemin dévoile dix ans d’expérimentation pédagogique autour de l’histoire. Au grès d’enquêtes, fictions historiques, expositions au contact des sources, à la recherche de traces et de témoignages, les élèves travaillent le rapport au temps et à l’histoire scolaire, les filiations faites de guerres, les migrations et l’histoire coloniale, la vie quotidienne des enfants et des classes populaires. Pour l’autrice, la pratique dès l’école primaire de la méthode historique, scientifique et minutieuse, vise l’émancipation intellectuelle. Elle livre ici ses questionnements et gestes pédagogiques, sans cesse sur le fil entre processus d’identification et distanciation, méthode naturelle d’apprentissage et d’un savoir expert.

Extraits

A les entendre, l’histoire, c’est rasoir.

Introduction

Lorsque j’annonce à mes classes de CM2 que l’on va démarrer l’histoire, irrémédiablement, une brochette d’élèves est là pour déclarer qu’elle déteste cette matière et que cela ne sert à rien. A les entendre, l’histoire, c’est rasoir. Faire autrement : pourquoi ne pas retourner la question aux élèves et leur demander à quoi cela sert de faire de l’histoire à l’école primaire ? Pourquoi ne pas faire vraiment de l’histoire et se demander avec les élèves comment travaillent les historien.nes ? Pourquoi ne pas interroger le passé autour de nous et tenter d’en trouver les traces dans notre quartier ? […]

Ici nous y parlerons chronologie vivante et tâtonnements, exposés libres et planches documentaires, étude du milieu et fictions historiques, séjour aux Archives et présent qui fait ré(ai)sonner l’histoire, programmes de l’école primaire et histoires familiales. Il y sera question de pédagogie Freinet et de méthode naturelle. […]

Ici nous chercherons à montrer comment l’enseignement de l’histoire, tourné vers la pratique sociale de référence qu’est celle des historien.nes, peut être source d’émancipation individuelle et collective pour les enfants, c’est-à-dire source de découverte de soi, de libération et de transformation. […]

En histoire, je fais le choix de travailler sur les classes populaires, pour montrer aux enfants que l’histoire est aussi celle des gens ordinaires. Les classes populaires, c’est le quotidien des élèves que j’ai en face de moi, celui de leurs familles, de leur quartier. L’idée est donc de leur donner envie d’enquêter sur tout cela, de se poser des questions, en partant à la conquête du passé du quartier, de ses ancien.nes habitant.es, adultes et enfants. C’est le début de l’année chez les CM2 B. La classe et son emploi du temps s’installent. […] La discipline surgit au milieu de toutes ces nouveautés qui fondent la classe coopérative, cet espace où l’entraide entre les enfants est au centre, où les apprentissages se font non par une série de réussites individuelles seulement, mais au service d’un collectif, dont les membres grandissent ensemble : […].

“Ah ! On va faire de l’histoire, aussi ?!” Comme si, tout à coup, il était rassurant de voir (ré)apparaître cette discipline déjà connue. Cependant, la moue est plutôt boudeuse. Je demande quel est le problème, un élève me répond qu’il n’ “aime pas trop. Il faut apprendre des dates et la frise par coeur. En plus, y a plein de définitions. Et la vie des grands personnages, c’est pas trop intéressant.” […]

L’affiche : questionnement inaugural

Mardi, 13h45. Une affiche blanche trône au tableau, sous la mention Histoire. Feutre à la main, je commence : “Pour cette première séance, on va se demander à quoi ça sert de faire de l’histoire et pourquoi on en fait à l’école. On va lister les réponses, au fur et à mesure, sur cette affiche. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses, il n’y a que des réponses intéressantes.” Rituel de départ, répété inlassablement, chaque début d’année scolaire. Elèves dérouté.es, regards dans le vague qui semble signifier : “Encore un truc perché. Mais qu’attend-elle de nous au juste, cette nouvelle maitresse ?” C’est plutôt que, jamais auparavant, ces enfants de 10 ans ne se seraient posés la question. Les réponses qui sont alors balbutiées le révèlent. […] De la bouche des enfants sort ce qui semble attendu de l’adulte, plus que de la véritable pensée :

“Ca sert à connaitre les dates importantes. – A connaitre la liste des rois et des reines… des présidents, aussi. – C’est pour étudier les grandes périodes : Préhistoire, Antiquité, Moyen Age, Epoque moderne, Epoque contemporaine. – Ca sert à connaitre les guerres et aussi les personnages importants de notre pays.” […] En général, une belle nappe de silence s’installe dans la classe. Il faut relancer, aller chercher l’enjeu : “D’accord, on a déjà une belle liste de réponses. Mais, vous, ça vous sert à quoi de connaitre toutes ces choses ? – …” Regards dans le vague qui semblent signifier “Ben… à rien !”. Les habitudes mortifères doivent tomber, c’est ça l’enjeu. Une élève tente : “Ben moi ça me sert à faire l’intello à la maison. Ma mère, elle veut tout le temps savoir ce que j’ai fait à l’école. Alors si je donne des détails, elle est contente : elle voit que l’école ça sert à quelque chose et que je me suis bien comportée.” Moi de répondre : “Je note : toutes les réponses sont intéressantes.” Une autre se dit qu’à partir de là, la provoc’ peut se tenter : “Pour moi ça sert à rien de faire de l’histoire. On n’y parle que des gens qui sont morts. Donc bon, on s’en fiche, en fait !”

Nous y sommes, ça commence à grincer, la brèche est là :

à quoi ça te sert, à toi, môme de 10 ans, de faire de l’histoire ?

Moi de répondre : “Je note aussi : tout est est intéressant.” Alors les doigts se lèvent, de plus en plus nombreux, et le débat s’engage : “Quand même, si on veut comprendre que la guerre c’est violent et qu’il ne faudrait pas recommencer, ça peut servir. – Moi, des fois, je trouve que ça peut donner des idées. Je donne un exemple : Rosa Parks, c’est pas juste notre tramway, là. C’est un personnage historique, aussi. Elle s’est battue contre le racisme. C’était il y a longtemps, donc c’est de l’histoire. Mais moi je trouve que ça peut nous donner des idées pour maintenant.” […]

D’année en année, chaque classe chemine de manière différente. Mais, une fois que les esprits s’allument et que les langues se délient, arrive irrémédiablement une foultitude d’idées. Les noms fusent et se bousculent. […] Parfois, cela leur évoque la plaque commémorative placée devant l’école : “Maitresse, les enfants juifs qui sont morts, là, c’était pendant la même guerre que celle d’Anne Franck ? Et c’étaient des enfants de notre école ?” Des enfants de notre quartier qui ont vécu la guerre. Identification, sensations, on y est. L’affiche est déjà bien pleine.

On passe à une autre étape. Les vannes de l’histoire critique sont ouvertes : sortir de l’histoire des puissant.es, celle des grand.es personnages, pour retrouver celle des personnes et du quotidien, des gens comme nous, faire une histoire populaire. “Mais, en fait, c’était comment avant, ici ?” Pour la semaine prochaine : Faire la liste de tout ce que l’on veut étudier en histoire cette année.

RETROUVEZ L’AUTRICE ET LE COLLECTIF

Au congrès de l’ICEM-Pédagogie de Freinet de Nanterre, 22 au 25 août

Le collectif Questions de classe(s) sera présent au Congrès de l’ICEM-Pédagogie Freinet de Nanterre, du 22 au 25 août prochain. Nous y tiendrons un stand avec tous les numéros de notre revue et tous les numéros de la collection N’autre école, aux éditions Libertalia.

Nous y animerons aussi plusieurs ateliers, dont :

L’autrice y animera aussi un atelier autour du contenu de son livre, en partenariat avec le Groupe Départemental 75 de l’ICEM-Pédagogie Freinet :

Soirée de lancement : Samedi 9 septembre, 19h30, Librairie Libertalia à Montreuil

Magali Jacquemin, membre de l’ICEM-Pédagogie Freinet et du collectif Questions de classe(s), est professeure des écoles en éducation prioritaire. Historienne, ancienne militante des luttes de mal-logé.es, de sans-papiers ou de réseaux altermondialistes, elle conçoit son métier comme un acte politique : permettre aux élèves de se rendre auteurices de leurs propres savoirs, de prendre en main la vie de la classe, avec l’espoir de les voir construire demain un monde juste, paisible et ambitieux.

Samedi 9 septembre – 19h30

Librairie Libertalia – 12, rue Marcelin-Berthelot – Montreuil – Métro Croix-de-Chavaux

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