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DES ELEVES A LA CONQUETE DU PASSE – Episode 2 – Une enquête historique sur notre quartier

Le Congrès de l’ICEM-Pédagogie Freinet, c’est dans une semaine à Nanterre, du 22 au 25 août prochain. Et c’est à cette occasion que le numéro 16 de la collection N’autre école, Des élèves à la conquête du passé – Faire de l’histoire à l’école primaire, publié aux éditions Libertalia, sortira en librairie.

Au congrès, avec mon acolyte Arthur Serret, nous vous parlerons étude du milieu et pratique sociale de référence de la méthode historique. Dans notre atelier Faire de l’histoire à l’école primaire, il y sera notamment question Des élèves à la conquête du passé et de leur travail sur la Révolution industrielle dans [leur] quartier de la Villette. Alors, pour vous mettre l’eau à la bouche sans tout dévoiler, quelques extraits de mon livre qui accompagneront leur exposition, présentée elle aussi au congrès.

Panneau documentaire réalisé par des élèves de CM2, en vue d’une exposition sur La Révolution industrielle dans le quartier de la Villette. Ici : L’usine à gaz de la Villette.

EXTRAITS

Plongée dans l’Etude du milieu et la Méthode naturelle, pratiques phares de la Pédagogie Freinet.

Extraits tirés du Chapitre 4 – L’enquête historique sur notre quartier

Cette année-là, la visite aux Archives de Paris à la recherche du passé de l’école a lieu après les séances sur les plans du quartier et la découverte du bassin de la Villette. […] Finalement, [Marie-Aimée, archiviste], nous a ouvert une nouvelle porte : celle de l’usine à gaz, qui avait fonctionné des dizaines d’années durant dans notre quartier comme l’attestaient des photos datant de ma fin du XIXe et du début du XXe siècle mais qui n’est plus aujourd’hui. A l’époque, cette usine était même la plus grande de France. Alors, en revenant de cette sortie aux archives, une nouvelle question nous taraude : qu’a-t-on fait de cette usine à gaz ? Nous ne la voyons plus, et pourtant elle occupait un pan entier de notre quartier, en lieu et place de notre école et de notre cité : que s’est-il passé ? […]

1867-2020, c’est le temps de l’usine à gaz disparue sous les fondations de notre école. Cette année-là, si, avec Arthur, nous avons fait le choix d’emmener les élèves aux Archives et de leur faire étudier les plans du village devenu quartier de la Villette, c’est aussi pour leur apprendre à acquérir une méthode de lecture historique pendant nos sorties autour de l’école. Voir surgir cette usine à gaz aujourd’hui disparue au milieu des cartons d’archives, découvrir sur les plans que le bassin de la Villette n’était sorti de terre qu’en 1808, c’est cela qui a permis de conduire les élèves enquêteurices à ne se concentrer en sortie que sur les bâtiments vestiges de l’usine Félix Potin situés en face de notre collège de secteur, la Grande Halle de la Villette située au coeur du parc, ou encore les anciens entrepôts des Magasins généraux dont la structure de bâtiments marque l’identité du bassin de la villette. Les élèves se sont alors mis en quête du quartier tel qu’il avait existé dans les années 1850-1930. […] Dans cette quête, iels se sont mis à tracer des croquis de ce qu’iels voyaient, pour mieux les superposer aux plans anciens que nous connaissions désormais. […]

Pour Arthur et moi, lancer nos élèves sur les traces du passé de notre quartier était notre manière de traiter un élément phare du programme d’histoire en CM2 : la Révolution industrielle, par l’étude du milieu. Il se trouve que notre quartier constitue l’un des hauts lieux parisiens de cette histoire. Cela a été notre piège à désir ; notre manière d’assurer aux élèves la construction d’un savoir historique sorti de leurs vies d’enfants et savant à la fois. Faire de l’histoire par l’étude de notre quartier allait prendre une double dimension ches les élèves : mémorielle, pous se souvenir que notre quartier restait pollué par les usines qu’il avait abritées, et savante, pour se construire des repères dans l’évolution des sociétés humaines. Ainsi, l’histoire allait s’ancrer dans notre réel et sortir du caractère scolastique des grands événements au programme. Désormais, mes tâtonnements personnels en pédagogie Freinet, mes rencontres me poussaient à didactiser mes pratiques de cette méthode naturelle en étude du milieu pour lui faire porter l’ambition de pratiquer les sciences sociales à l’école. […] Il fallait une partique de l’histoire scientifique à hauteur d’élèves de primaire : ne plus se contenter de simples comparaisons de sources mais tendre à l’émergence de problématiques de recherches. […] emmener les élèves vers le point central de la recherche en histoire : problématiser pour dépasser la simple description et construire un propos d’historien.ne.

Fin décembre-début janvier. Plan de bataille. Juste avant de nous quitter pour les vacances, avec Arthur, nous organisons une réunions avec nos deux classes de CM2. Avec la mienne, je viens de consacrer mes deux dernières séances du mardi en histoire à de la leçon intercalaire, généraliste, sur la période de la Révolution industrielle. Au programme : régimes politiques du XIXe siècle, grandes inventions, conditions de vie et de travail des ouvriè.res, luttes sociales, etc. Ce vendredi matin, avec les élèves de nos deux classes, nous actons l’idée d’une exposition sur cette période dans notre quartier. Onze groupes d’élèves se constituent autour d’un lieu du quartier, emblématique de cette Révolution industrielle, pour produire un panneau documentaire. […] La route est longue et fastidieuse cependant. Il faut faire avec le degré de maturité des élèves, leur motivation propre dans le projet.

Panneau documentaire réalisé par des élèves de CM2, en vue d’une exposition sur La Révolution industrielle dans le quartier de la Villette. Ici : Les entrepôts des Magasins Généraux.
Panneau documentaire réalisé par des élèves de CM2, en vue d’une exposition sur La Révolution industrielle dans le quartier de la Villette. Ici : Immeuble-usine 40 avenue de Flandre.

Sur le panneau des Magasins généraux, Ilian passe son temps à agencer les photos en grand, sans distinction, en plein milieu. Mais il se dispute avec Kawthar et Nour qui voudraient bien de la place pour le texte explicatif qu’elles viennent d’écrire. Pour traiter du magasin-usine de robinetterie, David copie compulsivement un article portant sur la création des premiers meubles-glacières en 1850, tandis que Marion et Inaya se disputent les couleurs des Posca pour décorer toutes les gravures de robinets de l’époque qu’elles trouvent et préviennent : “David, y aura pas la place pour tous tes textes ; il faut de la place pour décorer.” Et ça brille ! […]

Les élèves ont certes franchi le pas : iels accumulent, produisent, agencent. Mais nous sommes à hauteur d’enfants et, désormais, malgré l’invention de notre outil à problématiques, Arthur comme moi nous nous heurtons à une difficulté : réussir à faire envisager aux élèves le caractère révoutionnaire des inventions qu’iels décrivent sur leurs panneaux. “Oui, j’ai compris : il y avait déjà des robinets dans les maisons au début du XXe siècle”, me souffle Marion. Chez Arthur; c’est la même chose : “Ben les ouvriè.res de Félix Potin fabriquaient des boites de conserve comme les nôtres.” Difficile pour Lina et ses camarades de voir plus loin. Parfois, des élèves percutent et atteignent l’élaboration d’une “pensée complexe comme méthode d’apprentissage dans l’incertitude humaine” (Edgar Morin, Raûl Motta, Emilio-Roger Ciurana). A propos du Mont-de-Piété de la rue Bellot, Halima, elle, a compris quelque chose. Djamil rechigne à écrire une phrase sous le tableau du peintre pour dire que les gens étaient pauvres parce qu’il trouve que “ça se voit tout seul”. Mais Halima marmonne : “Faudrait surtout savoir combien ça gagnait, un.e ouvriè.re du XIXe siècle, pour être obligé.e de vendre son matelas avant de se payer à manger. Maitresse, t’as pas un document sur les salaires des ouvriè.res et sur les prix des choses à l’époque du Mont-de-Piété ?”

Panneau documentaire réalisé par des élèves de CM2, en vue d’une exposition sur La Révolution industrielle dans le quartier de la Villette. Ici : La raffinerie Sommier.

De son côté, Faïad observe cette carte postale où posent les ouvrières de la raffinerie Sommier, entre femmes… et se souvient de Mathieu (guide conférencier) qui lui a raconté que, à cette époque, pour conserver l’ordre moral, les patrons faisaient sortir des usines hommes et femmes à des heures différentes. Avec Lougein, iels lisent avec avidité quelques extraits des écrits de la journaliste Séverine sur les conditions de travail des femmes sucrières pendant la grève dans les années 1870-1890 que j’ai sélectionnés pour elleux. Iels acceptent de croiser cette lecture avec des extraits référencés par mes soins dans un livre de Mathilde Larrère, Rage against the machisme, qui évoque cette journaliste et son travail sur les différences de salaires entre ouvrières et ouvriers à cette époque. Alors Lougein et Faïad veulent écrire sur leur panneau que “la société des années 1870-1890 était encore plus sexiste qu’aujourd’hui”. Faïad et Lougein ont trouvé, l’enjeu historique de leur panneau sur la raffinerie Sommier est là : il s’agit de de travailler sur la condition des femmes ouvrières au coeur de la Révolution industrielle. Faäid et Lougein voudraient illustrer : “Maitresse, tu crois qu’on peut trouver des photos de sucrières qui perdent leurs ongles à force de travailler à mains nues ?” […] Je les pousse à écrire un texte original : non pas du copié-collé accumulé au grès de leurs lectures, mais bien ce qu’iels ont compris de la condition des ouvrières de la raffinerie Sommier en tant que femmes. Tout au long de ce travail, Lougein et Faïad pratiquent les modalités de construction des savoirs de la discipline de référence qu’est l’histoire, qui construit à partir d’une observation critique des sources, d’une interprétation des données, d’un “dialogue entre des documents et des textes de différents points de vue” (Benoit Falaize).

Dans ce quatrième chapitre, donc, L’enquête historique sur notre quartier, nombres sont les questions didactiques, enjeux de l’émancipation intellectuelle des élèves par la pratique de l’histoire, qui se posent. Il s’agit d’ailleurs ici, aussi, d’interroger la mise en oeuvre de la méthode naturelle et du tâtonnement expérimental, élaborés par la pédagogie Freinet.

Alors, pour en savoir plus, rendez-vous dans l’atelier de l’ICEM-Pédagogie Freinet les 23 et 24 août et, à partir du 22 août, dans les pages du livre en librairie 😉

Louise Thierry.

RETROUVEZ L’AUTRICE ET LE COLLECTIF

Au congrès de l’ICEM-Pédagogie de Freinet de Nanterre, 22 au 25 août

Le collectif Questions de classe(s) sera présent au Congrès de l’ICEM-Pédagogie Freinet de Nanterre, du 22 au 25 août prochain. Nous y tiendrons un stand avec tous les numéros de notre revue et tous les numéros de la collection N’autre école, aux éditions Libertalia.

Nous y animerons aussi plusieurs ateliers, dont :

L’autrice y animera aussi un atelier autour du contenu de son livre, en partenariat avec le Groupe Départemental 75 de l’ICEM-Pédagogie Freinet :

Soirée de lancement : Samedi 9 septembre, 19h30, Librairie Libertalia à Montreuil

Magali Jacquemin, membre de l’ICEM-Pédagogie Freinet et du collectif Questions de classe(s), est professeure des écoles en éducation prioritaire. Historienne, ancienne militante des luttes de mal-logé.es, de sans-papiers ou de réseaux altermondialistes, elle conçoit son métier comme un acte politique : permettre aux élèves de se rendre auteurices de leurs propres savoirs, de prendre en main la vie de la classe, avec l’espoir de les voir construire demain un monde juste, paisible et ambitieux.

Samedi 9 septembre – 19h30

Librairie Libertalia – 12, rue Marcelin-Berthelot – Montreuil – Métro Croix-de-Chavaux

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