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Décembre, le mois des livrets scolaires

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Décembre, le mois des livrets scolaires du premier trimestre. La tâche est fastidieuse mais oblige à faire un point sur tous et toutes les élèves dont nous avons la charge ; à s’obliger à réfléchir à où en est chacun.e d’entre elles/eux et non seulement aux quelques élèves qui nous préoccupent.

Je débute dans mon métier, je tâtonne – plein de choses dans la tête – qui au quotidien sont plus complexes, demandent de se confronter à des contradictions et à des doutes.
États des lieux concernant le remplissage de mes livrets.

Euphémiser le fichage

Dans mon école, on remplit le LSUN [[ comme presque partout d’ailleurs malgré les quelques appels au boycott]]. Cela participe au fichage massif des élèves, cela les suit toute leur vie, alors on pèse nos mots, d’autant qu’on veut une évaluation bienveillante.

Déjà, dans mes LSU, il n’y a pas de « non acquis » : quel sens cela aurait tout un domaine de compétences qui ne serait ni acquis, ni même en cours d’acquisition ? A l’école, on est là pour apprendre donc si ce n’est pas acquis, cela est forcément en cours. La case « non acquis » sera définitivement oubliée.

On évitera ensuite les formulations négatives : ce n’est pas l’élève qui a des difficultés, mais les apprentissages qui sont difficiles pour l’élève, etc. Si vous avez besoin d’exemples d’euphémisme, venez lire les livrets de mes élèves…

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On s’interdira aussi de parler des comportements problématiques : je ne parlerai pas des colères quotidiennes de Untel et de ses difficultés à canaliser ses émotions. Le livret va le suivre toute sa scolairité, et j’imagine trop bien la scène :

« Le juge – Monsieur untel vous êtes accusé de violences contre agents dépositaire de l’autorité de l’état, vous avez voulu blesser voire tuer un policier ! C’est très grave !
Untel, à 17 ans debout dans le tribunal – C’est faux, je venais juste exercer mon droit fondamental à manifester…
Son avocate – Le dossier est vide monsieur la juge, ce procès n’a pas l…
Le juge – Mais, je vois que au CP déjà, vous vous mettiez facilement en colère. N’auriez-vous pas un problème fondamental avec l’autorité ? Un problème à vous canaliser monsieur monsieur Untel ? J’espère qu’une condamnation pourra vous faire prendre conscience de vos difficultés et à vous aider à faire des efforts…» [[Cet extrait de procès est bien entendu une fiction, mais une fiche sert toujours à un moment ou un autre à autre chose que ce à quoi elle est destinée.]]

Donc non, on ne mentionnera pas les colères de Untel, certainement pas. Encore une fois, on euphémisera, on tournera autour du pot : « En respectant mieux les règles de vie, Untel aurait beaucoup de choses à apporter à la classe et ferait progresser lui-même mais aussi les autres ».

Les livrets et l’illusion méritocratique

Alors que je terminais de remplir ces fameux livrets, j’écoutais d’une oreille l’émission Être et savoir sur France culture : on parle d’ « illusion méritocratique ». Plusieurs sociologues rappellent les inégalités face, moins à la culture scolaire, que finalement au rapport scolaire à la culture, rapport qui s’incorpore rappellent-ils dès la naissance. Rappeler les inégalités persistantes face aux attentes scolaires, c’est toujours écorner « l’illusion méritocratique ». Si l’égalité des chances est et restera une fiction, qu’est-ce que le mérite ? Qu’est-ce que l’effort ? Mise à part une sanction que prodigue ceux et celles qui sont déjà du bon côté.

Et mes livrets ? Moi qui suis bien conscient de cette fable, qu’est-ce que je marque spontanément dans mes livrets ?


« Untel a fait beaucoup de progrès en lecture ce trimestre. Mais pour apprendre Untel doit faire des efforts d’écoute des consignes et de ces camarades. Courage ! » Livret scolaire de Untel

Des efforts !
Il doit faire des efforts ! Sous-entendu, quand on veut, on peut mon petit bonhomme ! Tais-toi et écoute ! Mais que dire d’autres ? Que dire d’autres à lui et à ses parents ?

« Untel a été élevé dans une famille populaire où le rapport scriptural-scolaire au monde et à la connaissance était peu présente. Il n’a donc pas incorporé les attentes de l’école en termes de rapport à la parole oral qui exige une écoute active mais silencieuse à savoir de comprendre tout en se taisant. Ne vous inquiétez pas, je remets en question mes pratiques pédagogiques et Untel incorporera ses exigences. Vous seriez aussi gré de plus discuter avec votre enfant et de l’emmener au musée. »
Ce que pourrait être le livret de Untel si on était rigoureux.

En réalité, et cela est admis, l’évaluation comme geste professionnel est avant tout une auto-évaluation de l’enseignant.e : est-ce que ma séquence a été comprise ? Est-ce que j’ai été assez clair ? D’autant plus au primaire où très peu de devoirs « à la maison » sont attendus, l’essentiel des apprentissages se font en classe.

Cependant, dans un livret scolaire, l’individualisation rend difficile de rendre visible cette responsabilité partagée de l’enfant et de l’éducateur/rice dans les progrès accomplis. C’est l’enfant seul qui est objectivé par le livret scolaire, par les grilles d’évaluation et les appréciations de l’enseignant.e. Les enseignant.e.s sont les auteurs/trices du jugement mais n’en sont pas l’objet.

En séparant l’enfant du contexte pédagogique où il apprend, le livret scolaire transforme l’enfant en un pur sujet d’apprentissage qui finalement n’est pas si éloigné du « sujet libéral » mythique qui est à la base de « l’illusion méritocratique ». A ce « sujet apprenant » fictif du livret d’évaluation, on n’a pas d’autres choses à dire qu’il faudrait qu’il fasse « des efforts » comme s’il était d’une certaine manière responsable de son destin scolaire.

Alors, que dire à l’enfant qui peine et à ses parents ?
Peut-être s’inclure dans la responsabilité et le travail à faire : « ensemble, avec moi, avec tes camarades, nous allons travailler dure et tu vas y arriver »…

Arthur, prof des écoles

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