Les KroniKs Robinsons du 4 novembre 2017
Suite à “l’affaire Weinstein” et à la libération qui s’ensuivit sur différents média d’une parole féministe dénonçant le harcèlement sexuel (extraordinaire ou ordinaire) que subissent les femmes, Laurent Ott s’interroge dans une nouvelle chronique, sur la pertinence et le potentiel émancipateur du concept de consentement.
Le nouveau contrat social entre les sexes qu’il suppose ne fait-il pas trop vite l’économie d’une critique sociale des rapports de force et de la domination ?
Avant même qu’il soit mis en ligne le texte a suscité un débat sur la liste du comité de rédaction du site. Laurent sait sa critique polémique et souhaite accueillir dans un même article les objections pratiques et politiques d’Arthur.
LE CULTE DU CONSENTEMENT: OUTIL D’ÉMANCIPATION D’ISOLEMENT INDIVIDUEL?
Critique du consentement
Les campagnes d’information sur des actes odieux , commis par des puissants et généralement de caractère sexuel, mettent en scène une indignation générale quasi obligatoire, autour du leitmotiv du consentement.
Le défaut ou refus de consentement justement mis en avant, semble petit à petit représenter dans l’opinion publique plus que les crimes eux mêmes. Ce ne seraient plus ainsi les actes qui seraient regardés sur une échelle de leur horreur ou de leur préjudice, mais seulement la nature non consentie de ces actes.
Nous voyons là une particularité de la nouvelle valeur de la notion de consentement qui résume en soi tous les crimes et tous les préjudices, au risque d’éclipser l’échelle même des actes. Si c’est en effet le défaut de consentement qui devient en soi l’atteinte suprême, il importera de moins de savoir quel était l’objet de ce non consentement. On risque ainsi de mettre dans le même sac des actes qui n’ont plus rien à voir les uns avec les autres touchant tout et n’importe quoi.
Mais centration sur cette seule notion éclipse bien autre chose que l’échelle des atteintes aux personnes, elle contribue à jeter aussi le voile sur ce qu’elle prétend pourtant éclairer, à savoir les savoir de forces et de domination, au sein des quels le jeu du consentement ou du non consentement est censé se jouer.
Il est étrange que ce soit le non consentement d’une personne fragile qui nous choque et non le rapport de force, de domination ou d’inégalité qui en fournit le sens et le contexte. Les campagnes des médias et des groupes de pression qui s’articulent, se focalisent et se renforcent sur un éventuel caractère « sacré » et indiscutable de l’injonction au consentement et à son respect, restent silencieuses ou peu loquaces en ce qui concerne les rapports de domination en eux mêmes.
Pourtant que devrait il être plus choquant? Qu’une personne abuse de son rapport total de domination, d’inégalité économique pour assouvir ses appétits, ou le fait que nous vivons dans une société où les inégalités et injustices sont si fortes que même le retour de l’esclavage peut redevenir possible?
Telle est la première insuffisance du culte de la notion du consentement. C‘est qu’il s’agit toujours de consentements ponctuels qui portent sur les seuls actes qui suscitent la réprobation collective, ou les rejets moraux. Ce qu’il en est du quotidien de l’exploitation, de l’abandon, du rejet, de l’ignorance , du refus de soins , vécu par des masses énormes de gens, ne serait jamais condamnable en soi. Le défaut de consentement instaure en crime exceptionnel et limité, ce qui reste la règle et la norme de l’ordre économique et politique de notre société. En quelque sorte ce contre quoi s’arme la théorie du consentement , reste de l’ordre d’un abus, toujours l’oeuvre d’individus particuliers , jetés au ban public à titre d’exemple, sans jamais s’intéresser à ce qui leur a donné tant de pouvoirs.
Cette première insuffisance de la théorie du consentement se résume donc en ceci: nous sommes supposés consentants de manière ordinaire et continuelle, des rapports de domination jusqu’à ce qu’ils aboutissent à des abus qui ne seront condamnés que pour eux mêmes.
Mais une seconde insuffisance est à l’œuvre; la théorie du consentement s’adresse à l’individu et à l’individu seul. Elle le renvoie à la solitude de la gestion de sa propre vie, de son cas, de son existence. Le voici roi d’un tout petit royaume et comptable de ses choix. La peur d’être abusé vient s’ajouter et se combiner chez lui avec toutes les peurs sociales modernes; et l’effet de cette peur est toujours le même: favoriser la centration sur soi au détriment des éventuelles appartenances collectives, des relations personnelles et sociales. Pour le dire en un mot , chacun se trouve institué , du fait de l’injonction au consentement et à l’angoisse que cela représente, à devenir justicier de soi même.
L’obsession du consentement vient renforcer le développement et la peur de litiges éventuels ou continuels avec ceux qui nous sont d’abord et toujours les plus proches.
C’est dans les magazines et au cinéma que de faibles individus se retrouvent engagés à réclamer en direct , justice aux puissants. Dans la vraie vie, ceux qui s’opposent sont bien plus souvent les enfants aux parents, les conjoints entre eux, les enseignants et les élèves, bref tous ceux qui à l’échelle de la société sont directement en lien et qui pourraient bâtir un collectivité.
L’injonction au consentement vient renforcer la conflictualisation des rapports sociaux en commençant toujours par les plus proches. De ce fait, c’est aussi une contribution au développement des solitude s, de la précarité et à l’enfermement dans l’individualisme.
Comment pourrait-il en être autrement puisque cette idéologie du consentement s’inscrit à la lettre dans une vision capitaliste des rapports humains? Chacun est censé être libre et éclairé, mais surtout seul , au moment de passer un contrat que ce soit avec un employeur ou un amant de passage.
Nous ne pouvons voir le consentement que comme la réitération d’une signature ou d’un choix, cas par cas, personne par personne, acte par acte. Le contrôle de toute cette conformité qui est renvoyé à l’individu lui même , ne peut que lui donner le vertige; surtout si on ajoute cette dimension moderne de réfutation du consentement à posteriori, qui nous obligerait aussi en permanence à réexaminer tous les choix que nous avons fait dans notre vie pour manger du gluten, une pratique sexuelle particulière ou d’être allé seul chercher du pain.
Cette vision des rapports non seulement humains, mais aussi affectifs, intimes et sexuels, emprunte tout à l’idéologie si capitaliste du contrat (écrit ou pas) qui suppose des égaux supposés se mettre d’accord sur des avantages mutuels. Bien entendu cette idéologie du contrat , si conforme et si attachée à la notion du consentement, n’empêche dans la réalité économique et politique des masses les plus pauvres, aucun abus. Comment cela pourrait il se passer autrement dès lors que le contrat porte sur des relations intimes ou sexuelles?
Et si l’idéologie du contrat et du consentement est si faible à nous protéger des abus et des injustices, à quoi sert elle , si ce n’est de nous donner l’illusion de notre propre responsabilité ou d’une fausse liberté que nous aurions, tout de même (à savoir signer ou pas)?
L’objet d’une éducation ne devrait jamais être de mettre en garde perpétuellement tout enfant contre les autres, contre ses proches , et contre ce qui l’entoure , mais bien plutôt de développer la conscience des inégalités et des rapports de domination subis individuellement et collectivement. Le but d’une vraie éducation n’est pas d’amener des enfants à devenir seuls et incapables de confiance ou de don de soi, mais, à l’inverse, à les rendre forts et généreux.
Car la réalité de la vie sociale n’est pas capitaliste; dans la vie, nous sommes vraiment reliés les uns et aux autres par des relations de dépendances réciproques, de confiance a priori, de dons qui nous lient entre nous. C’est une réalité bien plus compliquée que la caricature utilitariste et libérale des rapports humains vus du point de vue de la théorie du profit et de l’intérêt mutuels.
Dans la vraie vie, amour et haine se mélangent comme les rapports de dépendance et d’émancipation, dans un mouvement continuel et complexe, qui ne nous retranche pas des autres, mais nous en rapproche continuellement.
En Pédagogie sociale, nous travaillons à développer toutes les confiances, à commencer par la première, la confiance en soi, c’est à dire dans la capacité de se risquer dans le rapport à autrui. Pour cela nous développons les groupes et les collectivités qui sont les vraies protections. C’est en effet en appartenant à différents groupes et collectifs, mais en s’engageant également dans des relations que les individus sont les mieux assurés contre les abus et les injustices. Les actions de donner et s’abandonner sont inséparables et ceux qui sont capables des deux sont plus forts dans la vie.
Je réponds avec un peu gêné car j’aurais aimé qu’une femme le fasse avant moi et parce que je vais manquer de concision. Cette réplique se nourrit de l’apport d’une formation organisée par des camarades féministe de Sud éducation.
A mon avis, le texte de Laurent sous-estime tout d’abord l’utilité pratique de la notion même de consentement. Une amie qui travaille sur l’histoire du féminisme me disait que le jour où la notion même d’agression sexuelle avait été inventée, cela avait été une révolution pour beaucoup de femmes pour qui ces agressions étaient vécu comme naturelles, “comme la pluie” disait-elle. Je pense avancer sans trop me mouiller que la notion de consentement est similaire : il existe beaucoup de témoignage de femmes qui se rendent compte en découvrant cette notion qu’elles n’avaient pas consenti, et donc qu’elles avaient été agressées. Le consentement ici ne désigne pas une sorte de pacte fait avec son partenaire, mais bien un outil pour comprendre ses propres expériences, ses désirs. Un moyen de faire exister la réalité et la nécessité du désir des deux partenaires, quand le patriarcat a construit la relation sexuelle comme un lieu constitué par le désir des hommes. La notion nait du constat des rapports de domination qui traversent la relation hétérosexuelle, et non d’une quelconque illusion d’égalité individuelle dans le face à face sexuel. Le consentement ne postule pas une égalité idéaliste et libérale : il est souvent précisé que le consentement ne signifie pas la même chose entre deux amant.e.s homosexuel.le.s du même âge et un professeur et son étudiante par exemple. Il est admis que le consentement obtenu par des pressions hiérarchiques (par exemple pour un patron envers son employée) n’en est en réalité pas un. Le consentement est aujourd’hui aussi utilisé pour penser les violences médicales (et patriarcales) des gynécologues sur leur patiente. Historiquement, il a permis de rendre pensable l’idée de viols conjugaux.
Par ailleurs, remplacer la spontanéité romantique du viol par la communication dans le rapport sexuel ne me semble pas franchement relever d’une pratique cantonnant à la solitude, bien au contraire. On pourrait peut-être même dire que c’est la condition pour qu’il y ait “collectivité” et “confiance” réciproque dans le rapport sexuel. L’embrouillamini sur le désir constitué “dans la vrai vie” “d’amour et de haine” me semble quant à lui, aller justement dans le sens d’une dépolitisation des rapports de genre et des rapports sexuels en occultant “le rapport de force, de domination et d’inégalité”. Faut-il rappeler la quotidienneté du viol et des agressions sexuelles, armes majeures de la domination masculine ? Avec ce refus de poser des mots sur des situations qui seraient trop complexes pour être nommer, pour être mises dans des cases, on retrouve finalement la vieille lune de l’existence d’un indicible, une mystique des relations humaines ne servant in fine que les dominant.e.s, ici les hommes. Il ne s’agit pas proposer une sexualité pensé sur le modèle d’un amour idéal et pacifique (et un peu niais) : rappelons-nous que la notion de consentement vient du BDSM…
Il est vrai qu’elle postule une “posture de sujet” pour que celui-ci soit possible : il faut reconnaitre dans les partenaires la capacité à chacun d’entre eux et elles d’exprimer un désir propre. Cela signifie tout d’abord que certaines situations sont hors de portée du consentement (quand la personne est drogué, sous l’emprise psychologique de quelqu’un par exemple ou qu’il existe des relations de pouvoir trop fortes : un.e enfant et un.e adulte / professeur.e.s et élève / matons et détenu.e.s). Mais cela revient aussi à reconnaître la possibilité de parole et d’action aux dominé.e.s, ce qui au sein de rapports de domination est déjà un enjeu de lutte en tant que tel, cette “posture de sujet” étant souvent monopolisé par les dominants. Exprimer son consentement ou son non-consentement en tant que tel, sortir d’une position asymétrique. En ce sens, le consentement doit être compris comme un outil de lutte. Penser le “sujet” comme une notion uniquement libérale me semble franchement réducteur : on parle bien de “sujet révolutionnaire”, de « sujet politique », etc.
En outre, si on parle d’éducation, il me semble qu’éduquer, notamment les garçons à être attentif, attentionné aux désirs de leur partenaire me semble aller directement dans le sens de cette éducation à la générosité. Celles qu’on a traditionnellement éduqué à être attentif aux autres, éduquer à ce qu’on appelle aujourd’hui le care, c’est les filles à la fois par assignation aux tâches domestiques et de soin des enfants, et (j’ai lu ça dans le nouveau bouquin de Elsa Dorlin, je recommande) par une habitude de l’agression répétée (elles apprennent alors à anticiper, à être aux aguets). Ainsi, éduquer les garçons au consentement, c’est inverser soudainement les rôles, rétablir l’égalité. En effet, cela demande une nouvelle discipline de soi et, j’imagine que c’est en ça que l’on peut trouver cette notion « socialement et historiquement » située et que cela peut apparaître comme des leçons de morale, mais n’est-il pas normal d’imposer des choses aux dominants dans des relations de pouvoir (dans une formation syndicale sur le consentement, un camarade avait avoué “moi quand je bois, je ne me contrôle plus”, “arrête de boire” lui avait-on répondu, “combien de femmes font attention à ne pas boire trop pour ne pas se faire agresser ?”) Bien entendu, j’ai un peu honte de ressortir le couplet des « premières concerné.e.s » étant moi-même en train d’écrire ce texte, mais une injonction à penser le consentement ne peut bien entendu pas venir de manière descendante, voire institutionnelle, déconnectés de la réalité des rapports de genre dans une situation sociale précise. D’autre part, je l’avoue cela postule aussi que les dominant.e.s peuvent s’éduquer, faire œuvre de réflexivité sur leurs actes, ce qui est certes, un peu libéral, mais je pense que nous pouvons, voire nous devons en faire le pari pédagogique (mais il est clair que ce pari ne sera pas gagné sans des transformations des rapports de genre à d’autres niveaux, notamment en termes de répartition du pouvoir et du travail).
En bref, le consentement, d’un côté amène, permet de penser et de construire un espace d’expression pour les dominé.e.s, de l’autre crée une injonction aux dominants à une éthique de l’attention pour pouvoir devenir non plus un oppresseur, mais bien un partenaire…
Arthur.