[**De la tenue républicaine à la culture du viol*]
Entretien avec Valérie-Rey Robert, autrice de Une culture du viol à la française (2019) et Le Sexisme, une affaire d’hommes (2020) chez Libertalia.
A l’heure où les jeunes filles font encore l’objet de remarques et d’attaques concernant leur tenue vestimentaire, voire de sanctions au sein des établissements scolaires, loin de soutenir leur émancipation et de lutter contre les jugements sexistes qui véhiculent une culture du viol insidieuse, le ministre Blanquer n’a rien trouvé de mieux que de mettre en avant la “tenue républicaine” que chacun·e se devrait de respecter pour aller à l’école…
Questions de classe(s) a souhaité revenir sur cette culture du viol en questionnant Valérie-Rey Robert, qui a publié chez Libertalia Une culture du viol à la française (2019) et Le Sexisme, une affaire d’hommes (2020).
Q2C : Pouvez-vous expliquer rapidement ce que vous appelez la culture du viol ?
VRR : La culture du viol est l’ensemble des idées reçues sur les violeurs, les victimes de viol et les violences sexuelles. invariablement ces idées reçues concourent à déresponsabiliser le violeur, culpabiliser la victime et invisibiliser le viol. On parle de “culture” car ces idées reçues se transmettent de génération en génération, évoluent avec le temps et imprègnent toute la société.
Q2C : Récemment, de nombreuses jeunes filles se sont vues reprocher, dans le cadre scolaire, de porter des vêtements “incorrects” parce que, semble-t-il, ils ne couvraient pas assez leur corps. La culture du viol peut-elle expliquer cette attitude d’autorités scolaires ?
VRR : On part du principe en demandant aux jeunes filles de davantage se couvrir qu’il y aurait une norme en la matière. Or cette norme semble difficile à définir puisqu’il y aurait le “trop peu couverte “(crop top, mini jupe short etc) et le “trop couverte” “foulard, hidjab, jupe longue et ample) etc. Cela fait déjà donc partie des injonctions contradictoires qu’on va envoyer aux jeunes filles en leur disant d’à la fois ne pas trop se couvrir et ne pas trop se découvrir.
Cela participe à la culture du viol parce que cela implique que, si elles sont trop découvertes, cela va affoler les garçons qui pourraient être déconcentrés voire agresser sexuellement. Encore une fois donc la responsabilité du mauvais comportement potentiel des garçons est mise sur le dos des filles qui doivent modifier leur comportement.
Qui plus est cela assoit l’idée reçue que c’est la tenue dénudée qui ferait qu’un homme viole/insulte/agresse, maintes et maintes études ont démontré que cela n’est pas le cas.
Q2C : Cela relève-t-il selon vous d’une forme de violence institutionnelle, et si oui, quelle forme prend-elle ?
VRR : c’est bien évidemment une violence institutionnelle, systémique (dans le sens où elle fonde nos structures sociales) car, comme je le disais, on explique aux filles qu’il y a de mauvaises manières de s’habiller qui sortent de la simple convenance selon les lieux. Là où on dit à tout le monde de s’habiller convenablement (selon le métier auquel on postule, on ne va pas y aller en tong, short, même chose pour un enterrement) mais seules les femmes se voient reprocher d’être trop ou pas assez habillées.
Limiter la liberté de s’habiller (parce que sinon il va “leur arriver quelque chose et cela sera de leur faute”) est une violence genrée et sexiste.
Q2C : Comme ça se passe dans un cadre scolaire, peut-on parler d’un “geste pédagogique” ? Et si oui, que cherche-t-il, selon vous, à apprendre a) aux élèves filles b) aux élèves garçons ?
VRR : ce geste apprend aux filles et aux garçons que la responsabilité de ne pas être violée/agressée/insultée dépend des filles. cela dit clairement aux garçons qu’ils n’ont pas à changer de comportement (et que quelque part ils ne le peuvent pas, tant les adultes valident qu’ils “perdent la tête” devant une paire de jambes ou un nombril) et cela apprend aux filles que c’est leur faute si elles sont harcelées/insultées/violées etc parce qu’on les avait bien prévenue que cela tenait à leur tenue.
Q2C : Est-il pertinent d’établir un lien entre cette forme de répression et celle qui frappe les femmes portant le voile ?
VRR : Oui cela participe du même fonctionnement avec, comme je le disais au dessus, l’idée perverse que les femmes devraient instinctivement savoir, par le “bon sens” ce qu’est une “tenue normale” comme a dit Blanquer. les femmes sont censées en France être désirables par les hommes (ce que le voile empêcherait) mais sans pour autant l’être trop. Il faudrait donc apprendre à naviguer entre ces deux rives, sur une ligne extrêmement étroite.
Bien sûr la répression des femmes portant le foulard est un peu différente puisqu’il s’y ajoutent des critères racistes et une répression législative.
[/Propos recueillis par Mathieu Billière./]
Les livres de Valérie Rey-Robert
https://www.editionslibertalia.com/catalogue/hors-collection/le-sexisme-une-affaire-d-hommes