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Contre les réformes mortifères, apprendre à désobéir

Dans un contexte où, année après année, les réformes mortifères s’amoncellent sur les élèves et les personnels de l’éducation, rappelons-nous notre capacité à résister, à refuser et à désobéir.

Ce sont sans doute nos gestes de désobéissance qui, en plus de toutes nos mobilisations dans la rue, permettront de freiner, voire d’empêcher la mise en application de mesures toujours plus excluantes et inégalitaires.

Extrait de l’introduction de l’ouvrage de Laurence Biberfeld et Grégory Chambat, Apprendre à désobéirPetite histoire de l’école qui résiste.

L’école, entre domination et émancipation

Dès sa création, l’école publique est donc un lieu ambivalent où se cristallisent à la fois la volonté de contrôle et d’embrigadement, l’ambition de progrès humain et d’émancipation. Les instituteurs et les institutrices sont le pivot, la cheville ouvrière de cette machine paradoxale. Certains ne s’en soucieront pas, et exerceront leur fonction sans états d’âme. D’autres pointeront assez vite leur situation ambiguë de fonctionnaires : seront-ils dévoués à l’institution qui les paie et les instrumentalise, ou aux enfants dont ils et elles ont la charge ? C’est que ces deux objectifs ont assez souvent des intérêts divergents. Eux-mêmes salariés, ils entendent défendre leurs intérêts de classe face à l’État-patron. Issu·es du peuple, fils et filles d’ouvriers, de paysans, de petits propriétaires, certain·es savent rester très proches de leurs élèves et de leurs familles. Dès lors le pouvoir va s’efforcer de réduire cette proximité en façonnant un « corps » enseignant docile. C’est le rôle des écoles normales. Loin de sa famille et de ses racines, on y porte l’uniforme (redingote et casquette noires pour les garçons, qui inspireront la légende des « hussards noirs » dont on oublie de souligner la parenté avec l’uniforme des curés ; quant aux filles, leur tenue s’inspire également du noir habit religieux : robe, manteau de drap, tablier à empiècement montant et aux manches boutonnées). Les conditions d’étude et de vie dans ces « couvents laïques » sont des plus strictes. Surtout, les règlements intérieurs sont là pour rappeler l’exigence de soumission à l’ordre établi. Les règles de conduite à observer dans ces Écoles normales – dont le fonctionnement doit être identique aux quatre coins du pays – sont édifiantes : « Avoir pour le chef et les sous-maîtres tout le respect et toute la soumission que j’exigerai un jour de mes élèves. Me conformer, aussi sincèrement que ponctuellement, au règlement de la maison et le trouver bon, quel qu’il soit, afin de m’exercer à l’esprit et à l’habitude de la soumission et pouvoir un jour exiger l’obéissance à mon tour1. » L’État va également enchaîner ces enseignants à tout un système hiérarchique qui tisse son réseau sur l’ensemble du territoire. C’est alors le préfet qui nomme, déplace, sanctionne ou révoque instituteurs et institutrices.

On a encore et toujours raison de désobéir…

Les conditions d’apparition de l’institution scolaire, ses ambiguïtés et le mythe de l’École républicaine, permettent de comprendre pourquoi, d’hier à aujourd’hui, les raisons de désobéir à et dans l’école sont celles qui déterminent toute lutte contre l’oppression et l’exploitation. Comme dans d’autres corps de métier qui offrent pour le compte de l’État un service « social », les instituteurs et les institutrices (devenus depuis professeur·es des écoles) ont une proximité plus ou moins grande avec leur public. On verra que les occasions de désobéir concernent la plupart du temps une défense viscérale des intérêts des enfants contre le monstre froid que peut être l’institution. Parfois aussi il s’agit de défendre âprement l’idée qu’on se fait de sa fonction. Désobéir, c’est désobéir à l’État dont on est, qu’on le veuille ou non, un rouage. C’est remettre en question la loi qu’on est censé appliquer. C’est réimposer l’humanité dans une institution aveugle et sourde, qui en use de l’humain comme d’un bétail, quand ce n’est pas d’un matériau quantifiable, évaluable, jetable… « Désobéir, ce n’est pas dire que tout est permis. C’est au contraire affirmer que certaines choses ne sont pas permises », déclarait Jean-Pierre Vernant*. Les gouvernements passent, avec leurs desiderata variables. Pétain n’a pas les mêmes ambitions que Léon Blum. Les enseignant·es restent. Et la scolarité des enfants dure plus longtemps qu’une législature.

1 M. Matter, L’Instituteur primaire. Conseil et direction pour préparer les instituteurs primaires à leur carrière et les diriger dans l’exercice de leurs fonctions, Paris, Hachette, 1843.

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