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Congrès de l’Icem-pédagogie Freinet à Nanterre : un point de vue situé

La force de l’Icem(1) sur le terrain pédagogique

Le congrès s’est ouvert mardi 22 août après-midi et s’est poursuivi jusqu’à vendredi après-midi, avec une multitude d’ateliers, de soirées, de temps plus collectifs et de déambulations parmi les productions de l’Icem, les travaux d’élèves de tout horizon et les étalages de livres et d’outils pour penser la classe, mais aussi pour porter un regard critique sur l’école et la société.

Le congrès a rassemblé 600 personnes venues de France, mais aussi du Mexique, du Brésil, du Cameroun(2), d’Uruguay ou encore de Belgique (j’en oublie probablement).

Il n’y a pas à dire : la pédagogie Freinet constitue toujours une source d’inspiration enthousiasmante et puissante en termes de démarches et d’outils pour que tou·tes, adultes comme jeunes, s’émancipent des propositions sclérosantes et enfermantes de l’institution et des relations de domination dont tou·tes, nous héritons et dont nous avons du mal à nous défaire.

Le thème des dominations

Le congrès était en effet placé sous le signe de « la pédagogie Freinet pour lutter contre les dominations ». Ce thème, assurément, a bousculé, questionné et… dérangé.

Peut-être même sommes-nous « passé·es à côté du sujet » car, dans les retours qui ont été faits, rares sont ceux qui ont lié pédagogie et lutte contre les dominations (alors que des ateliers ont permis de faire ce lien).

Il semblerait que cette thématique ait surtout questionné les rapports de dominations à l’intérieur même des ateliers, au sein du mouvement, « entre nous, les adultes ».

De fait, quelques-un·es ont dit ne pas se sentir suffisamment légitimes et/ou outillé·es pour participer à certains ateliers, faute de connaissances sur le sujet et avec la sensation que d’autres y étaient beaucoup plus formé·es et avancé·es dans leur cheminement. D’autres ont trouvé que le mouvement n’était pas allé assez loin dans la remise en question des dominations et pouvait être plus radical encore. D’autres encore ont souffert de la conscientisation intérieure ou de la remise en question extérieure de leurs postures ou de leurs paroles, voire de la nécessité dans laquelle elles et ils se trouvaient de « devoir surveiller leurs paroles ».

Quelques congressistes habitué·es à ces rassemblements freinétistes ont souligné une tension permanente au cours de ce congrès, plus palpable, selon elles/eux, par rapport aux éditions précédentes.

Une fin de congrès puissante

Pour ma part, c’était mon 2ème congrès. Difficile de comparer…

De celui d’Angers en 2019, je retiens les liens, les amorces pédagogiques et l’enjouement (la jubilation!), qui font partie intégrante, selon moi, du mouvement Freinet. Avec, en arrière-plan, une remise en avant de la « dimension d’engagement social » du mouvement de l’Icem, pour citer la motion publiée alors(3), qui était très enthousiasmante, et rassurante…

Du congrès de Nanterre de 2023, je retiens la force et la tension, qui produisent peut-être cette puissance de vie dont nous parlons parfois en tant que pédagogues Freinet : « principe de vie qui pousse [l’être humain] à monter sans cesse, à croître, à se perfectionner, à se saisir des mécanismes et des outils, afin d’acquérir un maximum de puissance sur le milieu qui l’entoure. […] Cette puissance qui pousse les êtres vivants à croître et à persévérer. » (Dictionnaire de la pédagogie Freinet, p.300).

Je fais partie des personnes que l’émotion a envahies, et même submergées, lors de la clôture. Et je ne m’y attendais pas ! Sans doute était-ce parce que j’avais inconsciemment mis beaucoup d’enjeux dans un congrès placé sous le signe de la lutte contre les dominations. Femme, racisée, ayant grandi à Trappes, dans une famille pauvre et socialement en marge, souffrant de maladie chronique, nombre de mes propres engagements cherchent à contribuer à cette même lutte contre toutes les formes de domination, d’oppression et d’autoritarisme. Alors ce congrès, oui, il était important pour moi. Certaines paroles, lors de la clôture, ont dit avec force la nécessité, pour nous tou·tes, de travailler à la conscientisation et à la lutte contre les dominations, encore trop présentes.

La tension, de mon point de vue, est née du choc entre deux tendances contradictoires : une ouverture rassurante, qui a installé un cadre safe rappelant l’attention que nous devons porter à chacun·e ; des « définitions » des dominations que je partageais ; la posture du comité d’organisation absolument pas surplombante ; la possibilité de faire des pauses, de déposer le surplus d’émotions et les expériences difficiles aux camarades allié·es ou à la cellule de veille. Rares sont les collectifs qui posent un cadre aussi rassurant.

Et en parallèle, au fil des jours, vivre des expériences et entendre des échos d’expériences douloureuses, qui ont confirmé que la route est encore longue pour que chacun·e comprenne les mécanismes de domination, se conscientise sur ses propres pratiques et postures oppressives et en arrive à les remettre en question.

Du racisme assumé, de la grossophobie, de la glottophobie, du sexisme, du validisme, de la domination hiérarchique/autoritaire (par la posture, le savoir, l’expérience ou le statut), par exemple.

Mais aussi des petites phrases entendues par-ci par-là, ironisant sur l’angle choisi (les dominations), comme si tou·tes, dans l’Icem et plus largement dans les mouvements d’Éducation nouvelle, étions forcément exempt·es de pratiques oppressives et que le choix de cette thématique n’était pas justifié.

À chaque témoignage, la rage et la tristesse.

Ces attitudes ont été heureusement très minoritaires, me semble-t-il, et ne doivent pas masquer l’extrême richesse du congrès et de l’Icem. Mais elles ne doivent pas non plus être masquées, comme l’ont souligné les camarades témoin·es (pair·es tiré·es au hasard parmi les participant·es et non pas spécialistes surplombant·es).

Nous devons être capables de les entendre, d’y porter une sincère vigilance et surtout, de contribuer, toutes et tous, à les faire disparaître à la fois de nos collectifs et de nos classes afin de cheminer ensemble vers une société plus égalitaire, où chacun·e a sa place, dont personne n’est exclu·e.

C’est en cela que réside la puissance que je retiens aussi de ce congrès : une capacité à remettre en question ses propres fonctionnements, à s’accompagner mutuellement, dans le respect de là où chacun·e en est (« on a tou·tes des moments différents dans notre cheminement », a dit une témoine).

Car la conscientisation est un cheminement douloureux

Le texte lu au moment de l’ouverture l’a rappelé : la conscientisation est un cheminement continu, jamais achevé.

C’est aussi un cheminement vers une forme d’émancipation, qui peut être difficile et douloureux (d’où l’indispensable soutien du collectif pour se (ré)assurer).

A titre personnel, ce cheminement se fait à travers des lectures, des recherches, des rencontres, des débats. Il suscite des coups de colère, parfois une tristesse profonde devant l’ampleur du chantier, parfois un grand enthousiasme en (re)trouvant des camarades de lutte, concerné·es ou allié·es, parfois aussi de la culpabilité en prenant conscience de certaines attitudes oppressives que je peux encore avoir.

Il s’agit assurément d’un questionnement qui nous met en jeu, qui nous déstabilise, qui nous met en danger, parfois existentiellement.

Mais il faut aussi nous rappeler, je pense, que nos positions sociales et nombre de nos attitudes et pensées sont des constructions sociales, et que, si nous avons une responsabilité individuelle et faisons des choix individuels, ils sont majoritairement conditionnés par les normes sociales qui nous environnent, par notre éducation. D’où l’importance de la pédagogie pour lutter contre les dominations. Ce congrès a soulevé une problématique centrale pour notre travail à venir (un grand merci à l’équipe d’orga!).

Ce rappel de notre héritage doit nous soulager de la part de culpabilité paralysante que nous ressentons parfois, mais sans nous dédouaner de notre responsabilité pour le présent et pour l’avenir. Loin de la paralysie, loin des fausses excuses et de l’immobilisme aussi, continuons donc, dans tous nos collectifs de travail (syndicats, mouvements pédagogiques, associations, équipes d’établissement), à débattre, à affronter ces problèmes politiques qui font partie de notre quotidien et de celui des jeunes.

Continuons à y construire, collectivement, des ripostes pour proposer une autre société, avec/pour les jeunes comme pour nous-mêmes.

S’engager, sans concession, contre toutes les formes de domination ?

Dans les deux congrès de l’Icem auxquels j’ai participé, j’ai donc senti un véritable lien entre pédagogie et engagement politique et social. Et c’est heureux, car il n’y aurait rien de pire pour ce mouvement que de faire partie de cette juxtaposition de mouvements ou collectifs pédagogiques dénués de toute préoccupation sociale et politique clairement revendiquée et assumée, comme il en existe malheureusement déjà trop.

Deux soirées politiques ont ainsi marqué cette édition (je n’ai malheureusement pas pu y participer) : l’une consacrée à la loi Rilhac, qui met en danger les collectifs de travail dans le 1er degré, et l’autre laissant la parole aux militant·es des quartiers populaires de Nanterre, où Nahel a été assassiné, comme d’autres avant lui, par des membres de la police en juin dernier.

Je finirai donc avec une question : lutter contre les dominations… Beaucoup a été dit sur les relations interpersonnelles et sur les relations entre les différents groupes sociaux, des pistes ont été esquissées pour y travailler en classe.

Mais que dire de la structuration même de nos collectifs et de l’institution ? Peut-on affirmer lutter contre les dominations tout en installant ou en assumant soi-même des fonctions hiérarchiques (personnels de direction ou de l’inspection, voire de la formation) conduisant, de fait, à exclure, à évaluer, à rompre des contrats, à appliquer des réformes cherchant à contraindre de plus en plus les personnels et les jeunes qui étudient, etc. ?

À titre individuel, j’aimerais qu’il y ait de la clarté, de la cohérence et un véritable engagement de la part de nos mouvements pédagogiques sur la question de la hiérarchie et de la subordination qui lui est inhérente.

Des ressources contre les dominations

Les ressources sur les dominations et les oppressions sont nombreuses et variées : livres, articles plus courts, podcasts, etc. Peut-être pourrions-nous les mutualiser pour que chacun·e puisse y piocher de quoi continuer la réflexion ?

Jacqueline Triguel, collectif Questions de classe(s)

(1) Icem : Institut coopératif de l’école moderne

(2) Nous avons appris à l’ouverture du congrès l’impossibilité, pour un camarade camerounais, d’obtenir un Visa français pour participer au congrès.

(3) Motion d’actualité du congrès d’Angers :

https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/58512

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