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Chronique de Louise Thierry – n°5 Dis, maitresse, ça existe une grève qui dure une année entière ?

Dis, maitresse, ça existe une grève qui dure une année entière ? – La classe face au mouvement contre la réforme des retraites.

Louise Thierry, c’est une professeure des écoles dans les quartiers Nords de Paris, au milieu des petits élèves d’une cité du 19ème arrondissement. Elle travaille en pédagogie Freinet, enfin plus ou moins… Elle vous raconte ! Retrouvez les Chroniques de Louise Thierry ici.

Une grève fait irruption dans la classe et questionne.

Cette année à partir du 19 janvier, nous avons été nombreu.ses parmi les enseignant.es de l’école à faire grève contre la réforme des retraites, régulièrement.

Chers parents, Mardi 7 mars, de nombreux enseignants de l’école seront en grève. Votre enfant ne pourra donc pas être accueilli ce jour-là. Merci de votre compréhension, L’équipe enseignante de l’école.

Alors, rapidement, les questions ont commencé à fuser. A la joie de ne pas avoir classe l’inquiétude à ne plus jamais avoir EPS ou à voir la grève s’étendre parfois sur plusieurs jours dans une même semaine est arrivée. Mais, surtout, chez les CM1-CM2 B, la démarche de la grève commençait à intriguer. Fatimatou voulait savoir : Maitresse, pourquoi tu fais grève ? Qu’est-ce que tu fais les jours de grève ? Quand est-ce que vous déciderez d’arrêter la grève ? Si le gouvernement fait quand même la réforme, la grève va continuer ? Tu crois qu’à un moment tu vas faire grève tous les jours ? Dis, maitresse, ça existe une grève qui dure une année entière ? Et puis la machine institutionnelle a commencé à s’emballer, les échéances de la grève avec.

Assez naturellement, courant mars, j’ai donc envisagé de travailler un point important du programme : nos très chères institutions de la Vème République. Ce travail s’annonçait critique, assurément. Mes élèves avaient acquis de bonnes bases à cette époque de l’année et il suffirait de décrire les choses telles qu’elles vont pour qu’iels en cernent les limites, franchement problématiques en terme de souveraineté populaire et de répartition des pouvoirs.

A l’origine il y eut la Révolution française.

Courant décembre nous avions étudié la Révolution française pour envisager de comprendre la naissance de l’idée républicaine en France. Nous avions joué à nous chercher dans la société d’Ancien régime pour percevoir l’ampleur du Tiers État, nous nous étions attelé à rédiger des cahiers de doléances contemporains et enfantins pour sentir en nous l’article premier de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, puis observé le Serment du Jeu de Paume, la prise de la Bastille, la marche des femmes sur Versailles, l’abolition des privilèges et l’installation de la Constituante pour envisager ce que signifiait la force de la souveraineté populaire, et enfin la fuite du roi à Varennes, la Marseillaise, le 10 août, la proclamation de la 1ère république et la déchéance du roi pour ancrer en nous l’idée que le pouvoir exécutif ne peut être qu’assujettis au législatif et à la souveraineté du peuple.

Si nous avions eu besoin de voir naître cette idée républicaine, c’est que nous venions de naviguer abondamment dans les flots du 19ème siècle et de ses révolutions pour une république sociale. La brèche ouverte par les élèves en septembre avait été : Pourquoi l’école publique, gratuite et laïque n’a-t-elle pas toujours existé ? Quand et pourquoi cette idée est-elle née et a-t-elle été adoptée pour tous les enfants ? Chemin faisant, nous avions rencontré des enfants au travail à l’usine et dans les mines, Gavroche et ses ami.es les gamin.es de Paris, les grèves du Creusot, la naissance des syndicats et leurs caisses de solidarité, etc… Dans la classe, la conscience que les droits sociaux avaient systématiquement été l’objet d’une conquête accrochée à la notion de droit naturel du genre humain était bien vissée dans les cervelles.

En ce mois de janvier, les élèves étaient prêts à comprendre ce que leurs professeur.es, la population faisaient en grève et dans la rue, à comprendre aussi ce qui signifiait l’un de nos slogans, que je leur avais présenté.

La retraite à 60 ans : on s’est battu pour la gagner, on se battra pour la garder !

Fatimatou voulait savoir : Maitresse, après la grève de l’usine Shneider au Creusot, c’est là que la retraite a commencé à exister ? Marvin, lui, avait bien compris : Moi je crois que l’idée de retraite intéressait beaucoup les révolutionnaires mais pas trop les patrons à cause de l’argent que ça coûte, alors ça a duré longtemps avant de devenir vrai. Dixit le slogan ! Chez Ben, sûrement à l’occasion d’une lecture en famille des traces écrites issues de la classe, la mèche avait manifestement été vendue à l’enfant : La retraite, c’est pas plutôt un truc de 1936 quand les gens ont fait la grève générale pour le Front populaire ? Nolan, quant à lui, se souvenait que son grand frère avait déjà connu les journées sans classe pour cause de grève pour les retraites en 2019. Alors des groupes de recherches se sont constitués dans la classe : un groupe pour connaître les idées sociales de la Révolution française, un pour faire la liste des idées sociales des grévistes et révolutionnaires du XIXe siècle, un autre pour retrouver le programme social du Front populaire et du Conseil National de la Résistance, un enfin s’attachant à étudier les réformes récentes pour faire reculer les droits à la retraite. De janvier à février, les élèves ont arpenté la chronologie, parfois avec des bottes de sept lieus pour envisager l’ensemble, parfois au scalpel pour scruter le moindre détail. Puis chaque équipe de recherche a livrer sa trace écrite à la classe ; le patchwork était au complet.

Alors la crise démocratique s’en est mêlée

A la rentrée, dès le 7 mars, nous avons repris la grève. Puis il y a eu le 16 mars et son 49.3, puis nous avons annoncé aux élèves que leurs enseignant.es seraient largement en grève le 23.

« Mais maitresse, mon père il a dit que c’était Macron qui décidait la loi et que la retraite était passée pour 64 ans. Du coup, t’a raté ta grève ? Du coup, pourquoi tu refais grève le 23 ?

Laisse tombé, c’est parce qu’elle est trop en colère. Mon père il a dit que les gilets jaunes allaient revenir parce que Macron ne peut pas tout décider : c’est pas le roi.

J’avoue ! Tu vas faire une manifestation, jeudi, maitresse ? On peut venir avec toi parce qu’on n’est pas d’accord ?

Mais j’ai pas compris : pourquoi Macron il peut décider si y a plus de roi et s’il y a une assemblée ?

Mon père, il a dit qu’il ne comprend plus rien et qu’il en a marre de la grève des profs puisque maintenant la réforme est décidée.

Moi je comprends rien à la télé : un coup on dit que la retraite sera à 64 ans parce que la loi est décidée, un coup on dit que ça peut encore changé. Ma mère elle ne me croit plus quand je dis que tu vas encore te mettre en grève, maitresse. »

Alors, en classe, j’ai montré aux élèves que le peuple n’avait pas encore usé toutes ses cartouches démocratiques et j’ai proposé qu’on les suive, pas à pas, pour qu’iels puissent suivre les infos et expliquer clairement à leurs parents. Nous allions écrire des leçons ensemble, à apprendre à la maison, avec les parents. Étudier pour conscientiser, étudier pour émanciper.

Le précédent Mélenchon

L’année dernière en CM2 B, j’avais connu un précédent à cette manière d’étudier les institutions à l’aune de l’actualité politique, parce que nous en avions besoin pour décrypter. Lundi matin au lendemain du premier tour de la présidentielle, c’était de désarroi. Mais franchement, maitresse, pourquoi ??? Quand même, il était tellement prêt avec tous ses points : on aurait pu dire qu’il était 3ème candidat pour le 2ème tour ! En plus, c’est vrai que si Marine Le Pen elle passe, ben on va tou.tes devoir partir de la France ?

A la panique, j’avais répondu par la connaissance, rassurante et porteuse d’espoir ou d’action. On était parti de ce que les élèves comprenaient de notre régime démocratique et, clairement, pour elleux, hors l’élection présidentielle, point de salut. L’assemblée nationale, comme garante de la représentation du peuple et comme législatrice, iels ne la connaissait pas. Alors nous sommes, là encore, revenu.es à nos connaissances de début d’année sur la naissance de la souveraineté populaire et du pouvoir législatif en Révolution. Alors la critique de la Ve république avec son président monarque est apparue comme lumineuse. Alors l’espoir de voir les élections législatives contrebalancer ce qui se passait avec la présidentielle est apparu évident. Pour comprendre, nous avons dessiné mille fois l’assemblée nationale et ses 577 députés et ses groupes parlementaires. Alors Halia, Hania et Ellae ont envisagé de dessiner leur constitution idéale, celle des origines, avec les pleins pouvoirs au législatif, mandataire du peuple.

Le 49.3 du 16 mars

De retour en classe le 17 mars, j’ai donc annoncé cette nouvelle journée de grève pour le jeudi 23 tandis que la plupart des élèves étaient égarés parce que la loi venait manifestement de passer. Mais plusieurs savaient qu’elle n’avait pas été votée et que Macron avait trouvé un truc pour faire obliger la loi.

Du 17 au 23 mars, à nouveau, j’ai décortiqué avec mes élèves les dispositifs de la Ve république, à l’aune de nos connaissances révolutionnaires et républicaines issues de la Révolution française et du 19e siècle. La critique était facile : il était brillamment objectif que le pouvoir législatif mandataire du peuple était spolié par l’exécutif, qui usurpait jusqu’au sens de sa dénomination.

En quelques leçons à réviser ou nouvellement écrite, les élèves furent désormais capables de vendre la mèche à la maison et d’aider leurs parents à décrypter la crise démocratique qui se déroulait sur leurs yeux. J’y ai trouvé mes meilleurs soutiens à la cause de la grève.

Désormais, pour ainsi dire chaque matin, nous avions rendez-vous en classe avec l’actualité et nous déroulions pas à pas les différents ressorts démocratiques à la disposition du peuple et de ses députés pour faire entendre sa voix à l’exécutif. Désormais, pour ainsi dire chaque matin, le déni de démocratie se déroulait sous nos yeux et la crise devenait objective. Il arriva même quelques matins où les élèves, n’ayant pas eu accès aux actualités à la maison, m’attendaient au tournant pour les nouvelles du jour : Maitresse, alors, la motion de censure, ça a marché ? Et le conseil constitutionnel, il a dit que le président se prenait pour le roi ?

Épilogue

Ces derniers temps, j’ai dû quitter le navire pour des raisons de santé. Et puis il y a eu les vacances. Mais j’ai souvent imaginé mes élèves découvrant les images de manifs nocturnes ou de casserolades à la télévision ; ou peut-être quelques banderoles de manifestant.es rappelant à Macron que Louis XVI avait été guillotiné et que l’on pourrait bien recommencer et des violences policières, aussi…

Oui, à l’évidence, les connaissances balayées ainsi depuis le début de l’année montraient bien où en était la crise démocratique et permettait, sûrement, d’effectuer un parallèle avec les combats menés par les sans-culottes du 14 juillet 1789, les femmes du 5 octobre 1789 ou encore des fédéré.es du 10 août 1792 pour défendre la cause de la souveraineté populaire et de la république ; entre autres.

On pourra prétendre qu’en pratiquant ainsi l’histoire nous instrumentalisons nos élèves et en faisons des graines de révolutionnaires. Je dirais plutôt que faire des connaissances historiques un instrument de compréhension du monde tel qu’il va constitue le vecteur même de l’exercice de l’esprit critique : il émancipe parce qu’il conscientise.

Louise Thierry, mai 2023

Crédit photographique : Mathilde Larrère

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