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Le quasi-marché scolaire aux racines des inégalités (revue n’Autre école)

Dans les débats actuels sur la mixité et l’égalité à l’école, suite aux annonces insatisfaisantes, voire médiocres, du ministre Pap Ndiaye, le collectif Questions de classe(s) a souhaité remettre en avant cet article de Stéphane Laffarge, écrit pour le numéro L’école en marché de la revue.

Le quasi-marché scolaire aux racines des inégalités

Stéphane Laffarge, enseignant, SUD éducation et Cémea

Après que le dispositif Pisa a annoncé que l’école française

se place au dernier rang des pays de l’OCDE concernant la résorption des inégalités sociales, qu’elle contribue carrément à amplifier, il est important de proposer une analyse solide des raisons de cet échec structurel.

Rappelons tout d’abord que le dispositif Pisa repose sur un ensemble de tests destinés à des jeunes âgé.e.s de 15 ans, sur un échantillon de population aussi représentatif que possible des situations de ces jeunes dans chacun des pays évalué par l’OCDE. Ces tests ne concernent que les mathématiques, les sciences et la lecture.

Concernant par exemple les résultats bruts en mathématiques, les résultats par pays sont très proches, même s’ils génèrent un classement, raison pour laquelle il est nécessaire d’approfondir l’analyse. Apparaissent alors, selon chacun des pays concernés, de fortes disparités quant aux écarts entre les élèves les plus en réussite et les élèves les plus en difficulté. C’est notamment concernant ces écarts que la France se retrouve très mal classée, puisque quasiment en dernière position (graphique 1).

Selon l’OCDE, « l’école tend à reproduire les effets de l’avantage socio-économique, au lieu de favoriser une répartition plus équitable des possibilités d’apprentissage et des résultats de l’apprentissage ». (OCDE, 2014). Si bien que pour Jean-Paul Delahaye 1, responsable de la mission « Grande pauvreté et réussite scolaire » pour le compte du ministère de l’Éducation nationale, il est impératif de « lutter contre les déterminismes sociaux en tant que déterminants de l’échec scolaire pour faire en sorte que la France ne soit plus le pays dans lequel l’origine sociale pèse le plus sur les destins scolaires ».

Il est donc nécessaire d’analyser et de comprendre au mieux l’origine exacte des écarts de résultats constatés ; et puisque ces écarts sont moitié moindres dans un pays comme la Finlande, de nous pencher sur les éventuelles différences flagrantes entre les deux systèmes scolaires. Ici, les données fournies par Pisa montrent que les indices socio-économiques des écoles finlandaises sont bien moins dispersés que ceux des écoles françaises (voir graphique 2).

L’expression « écoles ghettos » est entrée dans le langage courant. Mais, à l’autre extrémité de la hiérarchie sociale, les riches ont aussi leurs écoles socialement ségrégatives. La polarisation sociale du tissu scolaire est probablement l’un des aspects les plus visibles de la ségrégation scolaire et l’un des facteurs les plus puissants de l’inégalité sociale qu’elle produit.
Pour mesurer le degré de polarisation sociale des systèmes éducatifs au moyen des données de Pisa, nous avons identifié des écoles « ségrégatives », « riches » (ou « pauvres ») en comparant leur indice socio-économique moyen (supérieur ou inférieur d’un demi écart-type) à l’indice socio-économique moyen du pays. Avec cette définition, la notion d’écoles « riches » et « pauvres » n’est pas absolue mais relative au niveau et à la diversité socio-économique de chaque pays.
Plus les élèves sont séparés d’après leur origine sociale, plus l’inégalité de performances entre eux est importante. Le Luxembourg, la Wallonie-Bruxelles, la France et l’Allemagne ont les systèmes éducatifs les plus ségrégatifs sur le plan social. Ils font aussi partie des pays où les différences de performances sont les plus fortes. Inversement, la Finlande, la Norvège, la Suède et l’Islande ont très peu d’écoles socialement ségrégatives et les écarts sociaux de performances y sont également les plus faibles. 52 % des différences entre les pays ouest-européens (sur le plan de l’équité) sont expliqués par le taux de ségrégation en écoles riches et pauvres.*

Autrement dit, la large répartition des écoles françaises indique qu’il existe dans notre pays des écoles « ghettos de pauvres » et des écoles « ghettos de riches », contrairement à la Finlande qui a organisé ses établissements scolaires de façon bien plus mixte, et c’est là une différence fondamentale puisque les mêmes statistiques, établies par l’Aped 2, prouvent que 62 % des inégalités sociales à l’école s’expliquent par ces facteurs structurels qui engendrent ce qu’il convient donc d’appeler une ségrégation structurelle.

En France, la « ghettoïsation » des écoles (voir graphique 3) engendre un très fort zapping résidentiel, les familles les plus aisées préférant déménager pour inscrire leurs enfants dans des écoles plus réputées (ce qui a d’ailleurs pour effet d’accentuer la « ghettoïsation » selon un processus sans fin qui s’auto-alimente…). La carte scolaire n’a plus aucun sens depuis que le gouvernement Sarkozy l’a abrogée, chaque famille pouvant dé­sor­mais bénéficier d’une dérogation…

Si l’on veut tenter de comprendre pourquoi le systèmes éducatif en France est si profondément inégalitaire, il est nécessaire de jeter un regard sur les écoles, plutôt que sur les élèves.
Sur les graphiques ci-dessus, chaque point représente un établissement scolaire, rangé selon l’origine sociale moyenne de ses élèves (axe horizontal) et selon leurs performances moyennes en mathématique (axe vertical). La particularité de la France saute aux yeux lorsqu’on la compare par exemple à la Finlande (graphique de droite). Chez nous les points sont très étirés le long d’une droite inclinée. Cela veut dire que nous avons des écoles où se concentrent les enfants de riches et qui ont de très hautes performances moyennes ; et d’autres où se concentrent les enfants des classes populaires, avec des performances moyennes médiocres. Au contraire, en Finlande, les écoles sont mixtes, aussi bien du point de vue socio-économique que du point de vue académique.
Ceci nous conduit à formuler l’hypothèse que les grandes inégalités sociales observées au niveau des performances des élèves sont liées, pour une part importante, aux mécanismes de ségrégation de ces élèves, c’est-à-dire à l’ensemble des mécanismes qui, particulièrement en Belgique et en France, séparent les élèves selon leurs capacités (réelles ou supposées), selon leur origine sociale, leur religion, leur origine nationale, etc.*
* Les textes des deux encadrés sont extraits de « Pisa : France et Belgique, champions de l’inégalité », Nico Hirtt

La liberté de l’offre étant également autorisée, voire favorisée, les écoles privées sous contrat (et même depuis peu hors contrat…) sont une autre possibilité offerte aux nanti.e.s pour conforter leurs privilèges. Les travaux de Choukri Ben Ayed, professeur de sociologie à l’université de Limoges et chercheur au Gresco (Groupe de recherches et d’étu­des sociologiques du Centre-Ouest) confirment amplement ce constat : plus l’offre scolaire est concurrentielle sur un territoire, plus les inégalités scolaires explosent 3.

Ainsi, la ségrégation sociale à l’école résulte en partie de l’assouplissement de la « carte scolaire » qui jette l’école en pâture à la libre concurrence.

A contrario, ces phénomènes sont marginaux en Finlande, les familles n’y ayant aucun intérêt, d’autant plus que la carte scolaire est redécoupée chaque année, afin notamment de décourager le zapping résidentiel.

De plus, la ségrégation décrite plus haut résulte également du choix des options qui constitue une stratégie bien connue (et férocement défendue !) des classes socia­les aisées pour être affectées dans les meilleures écoles.

Le tri social, encore largement en vigueur aujourd’hui au collège, permet d’affecter les élèves qui réussissent dans les lycées généraux et technologiques, tandis que les élèves ayant rencontré des difficultés scolaires seront relégué.e.s dans les filières de l’enseignement professionnel. Aux un.e.s le travail intellectuel, la réflexion, et la participation aux processus de décisions ; aux autres le travail manuel et les tâches à exécuter sans broncher. À l’évidence, cette hiérarchisation des filières d’enseignement permet au système capitaliste de disposer d’une main-d’œuvre docile et corvéable.

Ainsi, la lutte contre les inégalités scolaires et contre l’amplification des iné­galités sociales implique nécessairement plusieurs paramètres qu’il faut impé­­ra­tivement traiter simultanément. Pour espérer des résultats significatifs, il est d’abord nécessaire de mettre fin aux ségrégations résidentielles via une carte scolaire qui ambitionne de favoriser drastiquement la mixité sociale, et abolir le quasi-marché scolaire via le non-finan­cement par l’État de toutes les écoles privées. ■

Les graphiques 1 – 2 – 3 sont extraits de l’enquête de Nico Hirtt pour l’Aped (« Pisa : France et Belgique, champions de l’inégalité ») et remise en forme par G. Chambat.

1. Delahaye Jean-Paul (2015). « Grande pauvreté et réussite scolaire », rapport Igen, 2015. Voir également « Inégalités sociales et migratoires. Comment l’École amplifie-t-elle les inégalités ? », rapport scientifique publié par le Cnesco en septembre 2016.

2. Aped, Appel pour une école démocratique, http://www.skolo.org/. Les visuels qui suivent sont empruntés avec son accord au travail de Nico Hirtt, cofondateur de l’Aped. Voir aussi Hirtt Nico, Kerckhofs Jean-Pierre, Schmetz Philippe, Qu’as-tu appris à l’école ?, Aden, 2015.

3. Voir notamment Ben Ayed Choukri, L’École démocratique : vers un renoncement politique ?, Armand Colin, 2010.

L’Ecole en marché : pour voir le sommaire de la revue et commander ce numéro, rendez-vous sur le site de notre librairie!

1 Comment

  1. Françoise Clerc

    Les inégalités de la carte scolaire sont un fait. Le recours à l’enseignement privé pour garder l’entre soi des familles aisées en est un autre tout aussi avéré.

    Mais… Les solutions au problème ainsi posé sont compliquées parce qu’elles doivent s’inscrire dans une organisation sociale et économique favorable à la ségrégation. Juste un exemple : l’organisation de l’espace citadin/banlieusard/rural et l’urbanisme des quartiers riches/pauvres. L’école ne peut s’extraire toute seule de ce cadre systémique. Le problème dépasse largement la question scolaire. C’est, à mon avis, pourquoi les politiques ont tendance à mettre en avant ces soi-disant déterminismes, qui sont en fait des choix de société mais dont l’école prend de plein fouet les effets sans pouvoir réellement agir contre. C’est un serpent de mer qui a peu de chance de disparaître avant longtemps.

    En revanche, il serait temps de questionner les solutions éducatives et les pratiques pédagogiques. Conduire les élèves vers une véritable formation de l’esprit et une éducation de la personne est possible pourvu d’aménager le cadre (fonctionnement de l’établissement, organisation des études, autres moyens pédagogiques…) et l’enseignement (plus actif, en jouant sur les solidarités et le co-apprentissage, en mettant en place un véritable accompagnement des élèves…). Il ne s’agit pas de faire dans le compassionnel (multiplier les activités ludiques, réserver des places à sciences po…). Il s’agit d’entreprendre sérieusement l’accès au savoir car contrairement à ce que semble penser notre élite (?), les pauvres ne sont pas plus bêtes. Ils sont mal traités par les conditions dans lesquelles se déroulent les apprentissages. La raison en est simple : l’école présuppose l’acquisition de compétences qu’elle ne fait pas acquérir. Ceux qui les construisent ailleurs, notamment dans leur famille, sont avantagés. Donc prenons en main ces apprentissages et l’égalité face à la connaissance a des chances de progresser. Paradoxalement, cette prise en main ne suppose pas de véritable révolution. Les pédagogies utiles sont connues. Elles se sont constituées au fil du temps, en gros depuis le début du XXème siècle. Il suffit d’un dépoussiérage pour intégrer les moyens contemporains, non pour eux-mêmes mais au service de la formation.

    La vraie question est : pourquoi la pédagogie reste le point aveugle des analyses qu’elles soient savantes ou politiques ?

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