Sous couvert d’intégration à la collectivité, d’adhésion à certaines valeurs, le principe du rituel consiste bien plus souvent à occulter des vérités dérangeantes. La « cérémonie républicaine de remise du DNB » n’échappe pas à la règle.
Existe-t-il aux Pays Bas, en Belgique, en Grande-Bretagne, une « cérémonie royale » de remise de diplôme scolaire ? A ma connaissance, non : ridicule, dirait-on. Existe-t-il en France une « cérémonie républicaine » de remise du DNB ? Tout autant ridicule, mais elle existe néanmoins, fièrement revendiquée par Najat Vallaud-Belkacem au cours de la première « cérémonie républicaine de remise du diplôme national du brevet et du certificat de formation générale » qui s’est tenue le 5 octobre dernier au collège Utrillo à Paris, transformé pour l’occasion en village Potemkine, avec officiels ceints de leur écharpe tricolore, drapeaux à l’arrière-plan sans oublier bien sûr, les élèves sagement alignés entonnant la Marseillaise. Par conviction, pour faire plaisir à la ministre ou pour échapper au délit d’outrage aux symboles nationaux ? On ne sait. En tout cas, après le vibrant discours de la ministre – pas moins de 10 occurrences pour « république », 8 pour « républicain » – si les élèves ne sont pas imprégnés de la foi républicaine, c’est à désespérer de la république.
Florilège : « Nous avions un peu oublié ce qu’est l’école de la République. Nous avions un peu oublié ce qu’est la république (…) C’est dans la continuité d’une Ecole remise au cœur de la République et d’une République remise au cœur de l’Ecole que s’inscrit cette cérémonie républicaine (…) Cette cérémonie (…), c’est donner du sens à ce premier diplôme (…) l’inscrire au sein de la communauté scolaire, au sein de la vie de la Nation, au sein de la République (…) Se rassembler, c’est accepter (…) une appartenance commune à la République (…) » Etc etc.
Ces incantations, dont l’Education nationale ne se lasse décidément pas, auront-elles convaincu les élèves et surtout sont-elles le gage de lendemains qui chantent ? On peut en douter : arrivés à l’âge de 15 ans, les élèves, pour beaucoup d’entre eux, ont déjà suffisamment vécu pour savoir prendre le recul nécessaire avec ce genre de prose. A commencer par ceux qui n’ont pas été invités à la grand-messe républicaine pour la raison qu’ils ont échoué à l’examen : 14 % au niveau national, un taux d’échec moyen cachant de fortes disparités qui mettent en évidence le fait que les élèves qui n’ont pas obtenu le DNB sont tous issus des milieux défavorisés, traînant déjà derrière eux de longues années de galère scolaire et souvent personnelle. A ceux-là, la république n’a rien à offrir, même pas des raisons d’espérer, rattachée par son histoire à la défense d’un ordre social brutalement ségrégatif dans lequel l’école assume son rôle sans trop se poser de questions, légitimé par le mythe encore vivace de « l’élitisme républicain » : la réussite ne serait qu’une affaire de volonté personnelle et l’échec la conséquence de l’absence de volonté. Incontestablement, par l’imaginaire qu’elle met en scène, cette cérémonie « républicaine » de remise du DNB, voulue et imposée par le pouvoir politique, renvoie à la traditionnelle distribution des prix, récompenses autrefois accordées à un petit nombre d’élèves soigneusement choisis par un système éducatif d’essence inégalitaire, sélectionnant les élites dont le régime politique avait besoin. Les honneurs pour quelques-uns, la honte pour les autres. Aujourd’hui, si le spectre des élus s’est élargi, il n’en demeure pas moins que l’école conserve son rôle de tri social, l’inaction flagrante d’un gouvernement « de gauche » dans ce domaine, sa complaisance tacite pour un état des choses qu’il avait pour obligation de faire bouger, conduisant presque mécaniquement aux choix radicaux qui seront ceux de la droite dure au printemps prochain. Vue sous cet angle, la distribution de remise du DNB apparaît en réalité comme une opération de pure communication dans laquelle un régime politique, incapable ou plutôt non désireux de se remettre en cause, s’emploie, à travers des discours qui tournent à vide, à assurer sa propre conservation.
Ordre social mais aussi ordre politique, ordre moral : dans son allocution, la ministre de l’Education nationale n’a pas pu s’empêcher de développer une nouvelle fois le refrain éculé (1) de la responsabilité du système éducatif dans les attentats terroristes, l’école ayant pendant trop longtemps négligé la « formation des citoyens ». La république et ses poncifs, la république et ses faux-fuyants : redresser la jeunesse plutôt que se redresser soi-même. Avec la Marseillaise comme référence éducative, l’école risque de se réveiller bientôt avec la gueule de bois. Mais il sera alors trop tard.
(1) Sur le thème école et république, on ne compte plus les initiatives parlementaires et propositions de loi fantaisistes, la dernière en date (07/10/2016) « visant à instaurer un temps d’échange sur les valeurs et principes fondamentaux de la République dans toutes les classes scolaires publiques le jour de la rentrée scolaire. » Valeurs et principes qui ne s’appliquent manifestement pas aux représentants de la république.