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C’est secret ce que j’écris, Arnaud Tiercelin et David Vanadia (album)

L’album C’est secret ce que j’écris de Arnaud Tiercelin et David Vanadia s’ouvre sur ces lignes :

« Depuis hier, / J’écris »

En lisant, ces deux vers qui inaugure l’album, je ne peux m’empêcher de penser à ces phrases de Maria Montessori dans L’Enfant :

« Cette activité inépuisable était comparable à une cataracte. Ces enfants écrivaient partout, sur les portes, sur les murs et même, à la maison, sur les miches de pain. […] L’établissement de l’écriture avait été un fait brutal. La maîtresse disait : ” Cet enfant a commencé à écrire hier, à 3 heures. “ »

Il y a quelque chose dans l’écriture qui a à voir avec la pulsion, une pulsion d’écriture. Cette pulsion, tout.e enseignant.e qui pratique le « texte libre » a pu la voir : ces écritures dévorantes qui remplissent les pages, souvent sans ponctuation, à la graphie chaotique. Ces brouillons qui s’accumulent dans le cartable et qu’on ne corrigera pas. Chez le personnage principal de l’album, un petit garçon qui vient tout juste d’apprendre à écrire, elle se traduit par l’écriture de ses gros mots, l’écriture de sa colère. « Des gros mots / Bien vulgaire / Bien affreux / Bien ignobles / Bien stupides aussi ».

L’enfant, qui se dit lui même « méchant » dans ce qui deviendra son journal intime, semble régulièrement traverser par des affects tristes, des émotions d’enfants, sur lesquels d’ailleurs il ne met pas vraiment de mots. A rebours des nombreux albums édités qui propose aux enfants d’apprendre à donner des noms aux émotions pour mieux les « gérer », ici elles ne sont pas nommées (la « colère » est citée, mais ce n’est pas uniquement de la colère qui s’exprime). La littérature refuse d’entrer dans une didactique des émotions et n’en est que plus subtil. « Quand j’ai besoin de crier » nous dit le petit narrateur, « je prends les mots […] et je les écris ». Est-ce le pouvoir cathartique de l’écriture que nous fait découvrir l’album ou simplement la jouissance de l’amoralité de l’écrit ? Une manière de canaliser sa violence dans ses écrits « tout riquiqui / tout minuscules » ou le plaisir de l’écriture intime, de l’écriture secrète « entre moi et moi » ? L’album ne tranche pas à notre place, il laisse ouvert la compréhension de cette pratique d’écriture enfantine. Ce qu’on sait, c’est que le personnage souhaite « écrir[e] tout le temps », et que cela, du haut de ses six ou sept ans, est important.

Si ce petit album (à peine huit doubles pages) réussit à dire autant, c’est aussi que ses illustrations et son écriture servent la puissance et la finesse du propos. Les illustrations sobres et élégantes de David Vanadia n’écrase pas le texte, mais le mettent en valeur. Graphiquement, la typographie utilisée, ainsi que le choix des vers libres font exister le texte en tant que texte dans la page. La versification, choix peu commun, pour un album à destination de jeunes enfants renforce l’épaisseur et l’intensité des mots.

Rarement, on aura réussi à faire aussi simple et intelligente pour aborder de manière croisée des thématiques aussi centrales en classe de CP : les émotions et l’écriture. Ici, la littérature prend les enfants au sérieux et leur offre à leur niveau, la complexité du monde. Un album à lire, à relire, à méditer et discuter.

Arthur Serret

Arnaud Tiercelin, David Vanadia (ill.), C’est secret ce que j’écris, L’Initiale (coll. L’Utile), 2021, 24 p., 13 €.

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