Nous étions deux, Mathieu et moi, du collectif Questions de classe(s) à la Biennale de l’éducation nouvelle 2022. Le texte qui suit est à la fois un compte-rendu et une contribution aux débats qui traversent l’éducation nouvelle aujourd’hui. Il pose des questions et trace des pistes, appelle à des réponses. Merci à toutes et tous pour ces beaux moments partagés !
« L’Éducation Nouvelle porte un projet d’émancipation et de
démocratisation. Toute éducation est politique car elle contribue à forger la société à venir. » c’est avec ces mots extraits du Manifeste – Convergence(s) pour l’Éducation Nouvelle, que Questions de classe(s) a rejoint Convergences, rassemblement de mouvements et associations pédagogiques, qui organisait la Biennale de l’éducation nouvelle 2022, à Bruxelles.
C’est parce que nous nous reconnaissons dans ces mots et que nous nous considérons – nous aussi à Questions de classe(s) – dépositaire de l’héritage aussi multiple que parfois contradictoire de l’éducation nouvelle que nous avons participé à la Biennale.
Merci d’abord à tou.tes les organisateurs/rices – notamment les camarades belges – pour cet énorme travail fourni pour accueillir plus de 500 personnes, avec une organisation fluide et au cordeau. Nous avons participé à plusieurs débats (lien avec la recherche, écologie, émancipation et démocratie…) et ateliers (numérique, antiracisme, « texte récréé », …), mais surtout à beaucoup de rencontres informelles riches en échanges, envies et réflexions.
Se retrouver donne de la force – plus de 500 participant.es et de plein de pays et de métiers différents ! Il est clair que l’objectif de cette Biennale est rempli et qu’elle « est une ouverture sur l’avenir » comme le disait Hélène de l’ICEM lors de la clôture. Nous avons une histoire commune, celle de la Ligue internationale et de ses premiers congrès, mais les militant.es de nos mouvements communiquent peu entre eux. Sur Paris, inspiré par l’expérience d’un Convergences local ailleurs en France, est né l’envie de se structurer ensemble. A titre d’exemple et en m’appuyant sur les ateliers auxquels j’ai participé, l’expérience du « texte recréé », une démarche « non-transmissive » du GFEN, me fait penser qu’elle vient compléter des lacunes sur les questions de lecture et de littérature dans le mouvement Freinet. Les pratiques de « cartographie des controverses » au sein d’un lycée expérimental viennent enrichir mes réflexions sur les manières d’aborder les questions écologiques de manière critique et non-verticale. Un militant de Céméa me racontait qu’il avait discuté avec un ancien professeur de SVT du GFEN qui cherchait à transmettre plusieurs dizaines d’années de « démarches » pour étudier les écosystèmes. Convergences est une sorte de notaire communiste travaillant sur nos héritages, et la Biennale fut un moment de collectivisation de nos trésors respectifs, l’occasion de mêler nos testaments, d’en entrelacer les mots afin de dénouer l’avenir.
La Biennale s’est ouverte par un discours de Jean-Luc Cazaillon qui insistait sur la dimension politique des pédagogies nouvelles dans une société de contrôle et de coercition voyant un retour en puissance de l’extrême-droite et de la guerre, mais aussi faisant face à la privatisation des systèmes éducatifs. Elles sont un outil – et cela fait consensus au sein de Convergences – pour bâtir une société plus juste, plus solidaire et écologique. Dont acte.
La pédagogie est politique, dont acte. Il va falloir désormais s’atteler à l’outiller politiquement.
En effet, bien qu’on insiste sur les « questions qui nous rassemblent » et que nous créions des Convergences, la Biennale fut aussi un moment de conflictualité à bas bruit. Comme je pense que le conflit est souvent vecteur de réflexion et de transformation, il me semble intéressant de s’en faire l’écho plutôt que de le laisser dans les chuchotements silencieux du public ou dans les discussions de couloir. Car oui, il y a débat. Notons pour l’avenir : il s’agira aussi de réfléchir aux dispositifs d’expression et de réflexions au sein des futures rencontres. Comment permettre aux dissensus, en tant qu’il nous oblige à penser et à avancer ensemble, de s’exprimer tout au long de la Biennale ? Il est fort à parier que le format conférence, mais aussi certaines « démarches » de réflexions collectives, ne le favorisent pas. Bref, comme le disait Jean-Luc Cazaillon, il s’agit de « retrouver l’art des débats partagés ».
Ce débat, il s’est peut-être mis au jour dans la différence de ton et de langue, entre les trois interventions en plénière. Ce débat, il se formule dans l’écart entre le discours de Bernard Charlot (ouverture) et Philippe Meirieu (clôture) d’un côté (qui disaient globalement la même chose) et Laurence De Cock de l’autre. D’ailleurs, Laurence De Cock l’a rappelé : l’histoire de l’éducation nouvelle est conflictuelle et politique ( et son récit aussi manifestement).
Les deux hommes ont rappelé à la fois l’importance de l’universalisme et l’importance de ne pas « essentialiser » voire de refuser l’idée de « nature humaine » (parce que ça amène au sexisme ou au racisme). Cependant, les deux hommes ont bercé l’auditoire d’un humanisme abstrait, teinté par la peur d’une société en perte de repère. « Jamais l’individu n’a été aussi libre mais le sujet aussi abandonné » s’auto-cite Bernard Charlot. Nous serions dans une société soumise à « l’injonction à la pulsion infantile permanente » s’indigne quant à lui Philippe Meirieu. Pour les deux intellectuels, la problématique contemporaine est celle de la norme : « comment gérer aujourd’hui les relations entre le désir et la norme ? » demande Bernard Charlot. Comment trouver des « normes émancipatrices » , c’est-à-dire être non pas du côté de la norme, mais de la « normativité » – de la norme co-construite, questionne quant à lui Philippe Meirieu. Dans les deux cas, leur critique sociale s’inspire d’une critique psychanalytique un peu vague de la société de consommation, faisant in fine une critique morale de la société contemporaine.
La psychanalyse et la morale sont-elles cependant des outils adéquats pour penser le monde ?
Les conférences plénières ont une importance politique au sein d’un mouvement : ce sont elles qui mettent en circulation des idées et concepts qui seront ensuite débattus et réutilisées pour penser les pratiques. En réalité, Bernard Charlot et Philippe Meirieu n’ont rien inventé pour ces interventions : ils s’appuient d’abord sur leur propre texte, mais aussi sur un héritage conceptuel et sur les discours qui circulent aujourd’hui dans nos mouvements. On retrouve leurs analyses logés au coeur des manières de penser et raconter les pratiques pédagogiques.
Quelques exemples.
Au fil de la Biennale, j’ai entendu dire que les pratiques coopératives au coeur de nos pédagogies étaient des moyens de lutte soit contre le racisme, soit au service d’une société plus durable d’un point de vue écologique.
Pour ce qui est du racisme, la coopération permettrait de « faire tomber les barrières » entre les hommes, de faire diminuer la violence institutionnelle qui crée la violence afin de « bâtir une culture de paix ». La conséquence, dans ce discours, était qu’il n’était donc pas nécessaire d’engager un travail de conscientisation explicite du racisme avec les élèves.
L’analyse sous-jacente est finalement celle de l’« antiracisme moral » : celle qui identifie d’abord du racisme entre les individus, soit pour des raisons cognitives, soit pour des raisons psychologiques. Le racisme se serait du à « la peur de l’Autre », se serait de la « bêtise » ou bien un « manque d’empathie ». Cependant, cette conception du racisme a été largement critiquée par les mouvements antiracistes contemporains qui préfèrent s’attaquer à la dimension structurelle et institutionnelle du racisme, pensé comme un rapport social entre groupe majoritaire et groupes minoritaires. Il n’est plus une question de « couleur de peau » ou de « rapport à la différence » mais bien de rapports politiques entre des groupes sociaux. L’analyse moral du racisme – mais cela a déjà été expliqué des milliers de fois par des personnes bien plus compétentes qu’il s’agirait d’écouter – a les effets tout à la fois de dépolitiser la question et de nous rendre aveugle à ce dernier. En tant que pédagogues, nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas voir. Se rappeler par exemple, comme il l’a été fait plusieurs fois pendant la Biennale, que « nous sommes tous des êtres humains » ne nous aide pas à analyser et comprendre ce que vivent nos élèves, et risque même de nous rendre « indifférents aux différences » comme le disait Bourdieu, et de perpétuer inconsciemment les inégalités.
On ne s’éduque pas « à travers le monde » comme le disait Paulo Freire, si l’on ne fait pas l’effort de le regarder en face. A titre d’exemple, j’ai été beaucoup marqué par les propos de Michel Neumayer dans une interview pour Questions de classe(s) : « J’ai beaucoup travaillé sur la notion de culture de paix […] et je pense que cette notion de culture de paix est totalement à réinterroger […] et je pense que nos propres mouvements doivent se mettre à l’écoute de ce qu’il se passe dans le monde ».
Idem, pour la question de l’écologie : la coopération fera-t-elle advenir une société plus écolo ? Ce que m’expliquaient plusieurs militant.es de la Biennale, c’était que la crise écologique était aussi liée à l’individualisme induit par la société de consommation. En effet, on ne pense pas aux conséquences de ses actes sur le commun lorsqu’on consomme. Il faut être vraiment égoïste pour demander une console vidéo à Noël quand le planète crève de l’exploitation des terres rares. Sauf qu’encore une fois, l’analyse est morale et non politique. Encore une fois, on transforme les questions politiques en questions individuelles, se rendant par la même aveugle aux différences sociales dans la responsabilité de la crise environnementale. Je dois l’avouer : je le prends mal quand vous me dîtes que mes élèves sont égoïstes et qu’il faudrait leur apprendre la coopération. Mes élèves, qui dans leur HLM qui n’a jamais bénéficié de travaux d’isolation depuis 1932, vont subir de plein fouet la crise énergétique cet hiver. Devrais-je comme le fait le gouvernement français en ce moment, les inciter à porter des cols roulés et à baisser le chauffage ? La crise environnementale que nous vivons n’est pas liée à l’individualisme ou à une société « soumise à une pulsion infantile » de consommation comme le dit Meirieu. Non, elle est liée à la solidarité de la bourgeoisie, qui a organisé méthodiquement le pillage de la Terre et du vivant. Solidarité car comme l’écrivent depuis longtemps le couple de sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot : « Sous la soupe idéologique de l’individualisme triomphant, du marché et de la concurrence, les grands bourgeois se concoctent leur ultime privilège : le sens du collectif, le sens des intérêts de classe ». Ainsi, entendre qu’il faut éduquer les enfants de la bourgeoisie, aux pratiques coopératives car ils/elles seront les « futurs décideurs » laisse perplexe. Et nous rappelle la lointaine école des Roches, lieu d’expérimentation historique de l’éducation nouvelle, qui souhaitait former « une nouvelle race de patron ». Donner des outils d’organisation collective aux futurs membres du patronat me semble une idée pour le moins dangereuse. Si travailler à conscientiser l’impact environnemental des modes de productions et de consommation me semble nécessaire, reprocher leur égoïsme aux gamins des classes populaires m’apparaît comme une faute politique et pédagogique.
On voit bien ici que notre humanisme universaliste se heurte malheureusement à la brutalité de la réalité sociale. Fort heureusement les analyses existent, cette réalité est documentée et étudiée. Si nos pratiques pédagogiques sont politiques, aiguisons ensemble les analyses politiques qui les nourrirons.
Laurence De Cock, lors de son intervention de clôture de la Biennale, nous a raconté le congrès de l’éducation nouvelle de 1932. En pleine crise économique, Freinet arrive « ronchon ». Il arrive dès le début avec des questions et des exigences : il veut politiser le mouvement, l’ancrer à gauche. L’historienne reprend les questions que pose le pédagogue au congrès : il faut « peut-être nous demander si l’éducation nouvelle a la capacité à répondre à la scolarisation de masse ». Puis, elle explique : c’est une « vraie question parce que l’éducation nouvelle n’est pas uniquement Célestin Freinet dans l’école publique, c’est aussi l’école privée, c’est aussi des écoles à un demi SMIC par mois, c’est aussi l’école des Roches, et ça, ce n’est pas une éducation de masse ». « Il y a des critiques qui sont faites à l’éducation nouvelle, et une critique qu’il ne faut pas évacuer […] Lorsque des sociologues nous montrent que certaines pratiques qui se revendiquent de l’éducation nouvelle sont susceptibles de participer à la construction et à la reproduction des inégalités scolaires. Qu’est-ce qu’on fait de cette critique ? Elle fait mal cette critique. […]
Certains d’entre vous ne l’ont pas très bien vécu, et je le comprends car c’est une attaque lourde. […] Il faut que l’éducation nouvelle dans sa globalité et sa pluralité, aille aussi tendre la main vers la sociologie de l’enfant, vers tout ce qui nous éclaire sur les déterminations sociales. […] Vers ces travaux qui nous montrent que quelque soit notre niveau de bienveillance, il y a des différences de proximité avec la culture scolaire, avec la culture légitime […] Bien sûr, nous disons « Tous capable », mais nous ne sommes pas des magiciens, il y a des choses qu’on ne peut pas régler sans aller voir dans d’autres travaux et surtout ceux de la sociologie. »
Armer politiquement l’éducation nouvelle, c’est peut-être ainsi rendre centrale la question des inégalités et ne pas se laisser illusionner par nos propres slogans. « Tous capable », « méthode naturelle », « culture de paix »… autant d’idéaux-régulateurs qu’il faut savoir ne pas confondre avec l’amère réalité sociale des enfants du peuple d’aujourd’hui, sous peine comme le répète sans cesse Meirieu citant Oury, de ne penser nos pédagogies que pour des « petits Emile au cul rose », c’est-à-dire pour les enfants de la bourgeoisie et de la « petite bourgeoisie culturelle ».
Travailler politiquement l’éducation nouvelle semble par ailleurs la réponse la plus évidente à une question posée à la fin par les rapporteurs/ses de l’atelier 20 sur l’avenir de Convergence. Le camarade italien expliquait [je tente une traduction] : « Jusqu’où va cette ouverture [de Convergence] ? Qui peut entrer dans Convergence ? Respectent-t-ils les valeurs de Convergence ? […] Nous avons fait une proposition : constituer un comité de garants et un système de cooptation. […] Nous avons parlé par exemple du néolibéralisme montant – mais il faut se rappeler que le néolibéralisme a déjà récupéré l’éducation nouvelle. En Italie, il y a déjà des organisations qui font même référence à Freinet et en font un produit. » La question de l’organisation se pose et c’est une bonne chose. Mais peut-être que travailler politiquement l’éducation nouvelle est la meilleur manière d’en éloigner ses ennemis politiques (par exemple les néolibéraux ou les réactionnaires) et de tracer des lignes rouges claires. Il me semble que le fait qu’un militant de la pédagogie Steiner applaudisse des deux mains un discours de la Biennale devrait nous interroger. Si nos concepts sont si aisément récupérables, si nos finalités sont si facilement mésinterprétables – peut-être faut-il les interroger pour en renforcer la puissance polémique. Il s’agit d’une problématique régulière au sein des événements organisés par l’ICEM, par exemple, qui attirent de manière systématique des enseignant.es d’écoles privées venu.es se former à peu de frais sur le dos des militant.es pédagogiques.
« Oui, je transporte des explosifs / on les appelle des mots » écrit la poétesse Mohja Kahf dans un poème où elle dénonce les préjugés sur les femmes portant le hijab. Les mots sont des armes politiques, et si l’éducation nouvelle est politique, autant s’atteler à, comme le dit Laurence De Cock, « nous ouvrir aux mots [aux maux?] du monde, aux malheurs du monde ? ». Dans l’atelier Antiracisme déjà évoqué, Soraya Guendouz de l’association Approches Cultures et Territoires a cité plusieurs fois Aimé Césaire, Kateb Yacine, Franz Fanon et Édouard Glissant apportant ainsi un vent nouveau, à la fois politique, mais aussi discursif et intellectuel sur l’éducation nouvelle. Pensons l’éducation nouvelle avec des mots nouveaux ! La plénière de clôture a été ouverte par un spectacle de danse, l’artiste récitait des mots entendus ici ou là pendant la Biennale : « grandir ensemble, réfléchir, sentir, accepter, se rencontrer, diversité, démocratie, lumière, joie, bonheur ». Le spectacle se terminant sur le mot « confiance » essentiel « à la créativité, à la vie, à l’éducation, à l’ouverture et ouvrir un monde plus riche et plus intéressant ». On aurait pu y ajouter les petits mots écrits sur une des fresques collectives « coopération », « bienveillance » etc. Malheureusement, les listes de mots ne font pas toujours des inventaires poétiques et se transforment parfois en litanie – d’autant plus quand elles font échos aux sinistres animations pédagogique sur les compétences psycho-sociales que l’Éducation nationale française a aujourd’hui l’audace d’organiser… Dans l’atelier sur le « texte recréé », Pascal Diard du GFEN nous faisait retrouver l’expérience de l’écrivaine au plus proche des mots – quel mot choisir et pourquoi (à savoir Lisette Lombé et son texte “Va-nu-pieds”) ? Comment les articuler, comment construire des phrases qui toucheront leur cible ? Soyons autant sociologues, poètes que coutelier.es : que faire de nos mots émoussés ? On les aiguise, ou on les jette. Il est temps de rouvrir les armureries, « maintenant, il faut des armes » comme le dit Blanqui.
La sociologie – nous disait Laurence De Cock – est l’une d’entre elles. On sait bien que « la sociologie est un sport de combat ». Elle est par ailleurs rassurante et légitime – et a l’efficacité du scalpel du biologiste. Notons en outre qu’elle est aujourd’hui le principal outil de dénaturalisation des phénomènes et s’employant à en rendre compte comme des produits de processus sociaux et historiques. Quand on refuse l’idée de « nature humaine », il sera dommage de ne pas s’en saisir ! L’autre boîte à outil – pour une pédagogie qui n’aura pas les mains vides dans la lutte politique, c’est celle des mouvements sociaux. Où trouver des armes politiques pour l’émancipation si ce n’est auprès de ceux et celles qui luttent ? Luttes syndicales et contre la précarité, luttes féministes et antiracistes, anti-validistes, écologistes – autant de mouvements sociaux forts et bien « contemporains » pour reprendre un mot de Bernard Charlot qui se demandait en début de Biennale s’il existait « une pédagogie contemporaine ».
Soyons toujours, comme le disait Philippe Meirieu, des « attrapeurs de nuages ». Nos utopies sont-elles les mêmes que celles de 1921 ? Attrapons-nous les mêmes cumulus que Ferrière justement épinglé par Bernard Charlot pour son sexisme ? En découvrant des mots nouveaux, on explore non seulement des analyses du réel, mais aussi des imaginaires. Les mouvements sociaux regorgent d’utopies nouvelles : des féminismes de marronnage sur fond de Jin, Jiyan, Azadî, des écologies queer qui bricolent des relations nouvelles au vivant, des ZAD autonomes dans nos banlieues dortoirs, des écoles autogérées et des circonscriptions pirates, des amours révolutionnaires dans des villes décolonisées, des cabines téléphoniques gratuites et confortables pour passer notre temps libéré du travail à parler à nos copines… Dans quel autre endroit que les luttes sociales, s’expérimente quotidiennement ce que Meirieu appelle « la normativité », ou pour être plus clair, quels autres espaces que celui des mouvements sociaux détruisent et reconstruisent en permanence de nouvelles normes, avec cet inconfort et cette joie de « forger la société à venir » ?
Arthur Serret, Questions de classe(s)
(militant par ailleurs aussi à l’ICEM)
Merci pour ce compte-rendu qui nous ouvre les yeux sur nos bonnes intentions et les vrais obstacles ou opposants à combattre.
Astride ( presque 40 ans de tentative d’émancipation dans la forteresse)
excellente analyse qui ouvre des perspectives de recherche et d’action à mener pour les militants de l’Education nouvelle . il serait intéressant qu’elle soit confrontée à celle d’autres participants de la Biennale.
Merci beaucoup !
Je repense souvent à ce texte que j’ai découvert par hasard en farfouillant dans la malle au trésor qu’est le site de l’ICEM : https://www.icem-pedagogie-freinet.org/sites/default/files/jea_le_gal_Congres_2007.pdf
C’est ce qui est très réjouissant dans ces moments comme la Biennale, l’impression de regarder vers l’avenir tout en étant tissé et traversé par ceux et celles qui nous précèdent.
Ce texte est très précieux et mériterait d’être confronté à d’autres analyses.
Je ne partage pas vraiment l’avis de l’auteur concernant les interventions de Charlot et Meirieu qui m’ont paru revigorants.
Une anecdote concernant Steiner. J’ai travaillé dans un tout peti groupe de cinq dont une maitresse steinérienne à propos des valeurs qui soutenaient notre engagement pédagogique. J’ai aussi été étonné de voir, en finale, qu’elle souscrivait à la liste proposée.
Salut Arthur !
Très chouette compte-rendu !!
Une information : la poétesse belge, autrice du texte que je vous ai partagé en “recréation” s’appelle Lisette Lombé (son recueil “Brûler, brûler, brûler” aux éditions L’iconoclaste, Paris, 2020); le texte : “Va-nu-pieds”.
Pascal Diard (avec un “d” final comme “dudule”)
Merci Pascal ! J’ai rajouté le coup de dé final.
Merci pour ce retour. Je n’étais hélas pas à cette biennale.
Je lis par ce texte la force et la richesse des questions soulevées par l’éducation nouvelle, toujours actuelle, et n’en suis pas surpris, moi même impliqué dans cette histoire de longue date.
Pour être en rebond après ce retour dont la sincérité me touche, il me semble utile de préciser que l ‘éducation nouvelle est tout à la fois multiple du point de vue des expériences qui la construisent mais constante dans ce qui la fonde.
Ce qui la fonde c’est un acte éducatif qui vise une société de sujets tous émancipés. C’est, de façon pratique, un circuit très court de délibération interne à l’éducateur, qui interroge la situation immédiate créée, vécue, et le monde qu’elle construit à distance. C’est se demander de façon continue, minute par minute : “Suis-je en train de proposer à ce sujet (élève, citoyen ou citoyenne, formée ou formé….), une situation d’émancipation, de construction d’une liberté qui ne se passe pas de celle des autres (Arendt), de génération d’un instituant fécond, ou suis-je au contraire en train de mettre en place une situation de domination, d’enfermement dans un institué stérile, qu’il soit scolaire, social, politique…”.
Ce qui rend difficile et exaltante une telle pratique, c’est son caractère toujours en recréation, en remise en jeu, condition pour maintenir la dimension insurrectionnelle, non conforme, libérante, propre à l’éducation nouvelle.
Vouloir introduire de l’explicite, du construit politique, de la revendication, un discursif qui fonde et fait le ménage entre ce qui est conforme ou pas, qui borne, qui arme politiquement, c’est la tache importante des organisations syndicales et politiques.
Inférer cela en éducation nouvelle c’est en réduire sa puissance historique, internationaliste, universelle et donc politique. Je crains lire dans le rapport du propos de Laurence De Cock, ou en tous cas dans l’analyse de l’auteur du texte ce risque.
Oui le capitalisme recycle tout, y compris les mots de l’éducation nouvelle. L’éducation nouvelle est objet d’instrumentalisation par tous les pouvoirs politiques depuis des décennies : de l’éducnouv washing, qui ne reprend qu’un vernis, des dispositifs, sans interroger le fond : les rapports de pouvoir en jeu.
C’est pour ça qu’il serait dangereux d’inférer sous la définition de l’éducation nouvelle, tout ce qui pourrait prendre une forme prosélyte de valeurs, de conscientisation importée, quand bien même elles seraient antiracistes, féministes, … Si les propositions pratiques d’éducation sont émancipatrices pour toutes et tous, implicitement elles agissent en extraction des sujets à toute servitude, à toute dissymétrie de pouvoir, de reconnaissance, de capacité, à toute discrimination, et le caractère démocratique est compris dans la pratique. Toutes les expériences d’éducation nouvelle commencent par une analyse des conditions sociales réelles. De Makarenko au curé de Barbiana en passant par Freire et tant d’autres, ces éducateurs sont entrés dans le dur des vécus, des violences sociales, et les ont combattues par leurs pratiques d’éducation irriguées de sociologie, d’anthropologie, de philosophie. Ils étaient par ailleurs des militants politiques et syndicaux. De façon distincte. Ce qui nous parvient, qui dure et nous inspire ce sont leurs inventions de métier, leurs combats du quotidien et leurs regards sur les réalités qui étaient les leurs, réalités sur lesquelles il leur a fallu être clairvoyants, inventifs et obstinés.
Je suis militant syndical et militant pédagogique, et fais très clairement distinction entre les deux. Ce sont deux entrées radicalement différentes. Syndicaliste je ne peux travailler hors de l’école publique. Militant pédagogique je peux partager, piller, intégrer, ce qui vient d’expériences inscrites dans des réalités historiques, géographiques, systémiques et politiques toutes autres, pour peu (et beaucoup) qu’il y ait ce fondement émancipateur propre à l’éducation nouvelle à partager.
Transposer les obstacles du champ syndical ou politique (au sens de l’organisation sociale politique) sur le champ de l’éducation nouvelle serait un enfermement. Même si Montessori a les accointances qu’on sait avec Mussolini, elle fait reconnaître les jeunes enfants comme autant de sujets. Ce n’est pas rien dans une société qui les chosifiait. Et l’infantilisation encore très à l’œuvre aujourd’hui des petits et petites dans une école qu’on continue d’appeler maternelle reste un enjeu vif pour lequel Montessori est peut-être encore utile.
L’éducation nouvelle c’est un pari indéfectible sur le fait que nous sommes toutes et tous sujets sensibles et pensants, inventeurs et coopérateurs, qui tous découvrent ce qu’ils font/sont en le faisant, des sujets qui tous apprennent ce qu’ils ne savent pas par essai erreur, qui tous apprennent et construisent ce qui ne se sait pas encore, qui tous sans distinction sont à la fois “le même et l’autre”, pour lesquels l’important c’est le chemin, et la solution un problème. Tout cela ce sont des combats politiques et non simplement moraux. Car ce qui s’impose en face, sur la durée, beaucoup en provenance des USA et qui s’est incarné particulièrement avec Blanquer, c’est un humain comportementalisé, sans profondeur subjective ou psychologique, un cerveau à nourrir.
Au fond c’est bien une définition de l’humain qui fait la force politique majeure de l’éducation nouvelle, dans tous les systèmes, sous toutes les latitudes. C’est une clef majeure dans le changement du monde. On peut croire à l’émancipation, militer pour des formes sociales et politiques qui la conditionnent. Ce qui distingue l’éducation nouvelle c’est une pratique de l’émancipation ici et maintenant, sans attente du grand soir qui tarde tant.
C’est ce qui explique à mes yeux sa constance, et la diversité passionnante de ses expériences.
Si c’est cela qu’ont porté Philippe Meirieu et Bernard Charlot, c’est de l’ancien qui reste nouveau, et c’est précieux.
Merci encore pour l’engagement dans la pensée critique que constitue ce texte.
Ping :ReVue de PrEsse auToMnale et PéDagogiQue !
Super l’article mais c’est encore un vieille gauche française qui s’exprime. Le nouvelle doit être radicalement postcoloniale et se soucier aussi des Amérique (Sud / Caraibes / Nord) de de leurs luttes (races, classes, genre).
Cette nouvelle culture de paix passe par là ! (cf. mon livre ancien chez Chronique sociale) à refaire totalement !
(Michel Neumayer, GFEN)
Merci pour ce compte-rendu. Oui l’éducation est politique, il ne faut pas en avoir peur.
Merci !