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Principes d’incertitudes, manifeste pour une éthique de pédagogie des interactions (4) – Principes pour une éthique de la pédagogie des interactions

Professeur de lycée professionnel et militant de la FERC-CGT, Matthieu Brabant nous livre ici une série de réflexions sous forme de manifeste de la pédagogie des interactions.

Nous proposerons sous forme de feuilleton cet essai très stimulant…

Pour lire le premier article, c’est ici…

Pour lire le second article, c’est ici…

Pour lire le troisième article, c’est ici…


Principes pour une éthique de la pédagogie des interactions

Vous trouverez dans cette partie mon éthique pédagogique avec pour chaque item trois expérimentations personnelles décrites de façon brève afin d’éviter que cela devienne des exemples prescripteurs.

Ma pédagogie est différente comme alternative politique

Je me méfie de l’expression « pédagogies alternatives », car cette expression dépolitise la pédagogie et met dans le même sac des pédagogies aux finalités politiques très différentes. Je préfère l’expression « pédagogies différentes » car toutes les pédagogies sont politiques, certaines peuvent travailler au maintien de la société actuelle, d’autres à des alternatives politiques, etc. J’expérimente donc des pédagogies différentes qui correspondent à mon engagement politique. Je travaille à proposer à mes élèves de nouvelles voies et j’engage les élèves à proposer de nouvelles voies.

Trois expérimentations :

– Je travaille sur la modélisation en mathématiques et en sciences :

Plutôt que de ne proposer que des exercices où le modèle mathématique pour répondre est déjà prédéterminé, je propose à mes élèves d’aller à la recherche du modèle mathématique le plus efficace selon elleux pour résoudre la problématique que je pose. Je les encourage à chercher dans les nombreux modèles mathématiques qu’iels ont à leur disposition. Les élèves proposent alors des « réponses » variées et différentes aux problématiques, parfois avec des modèles mathématiques différents1. Par exemple, un exercice consiste à travailler sur une île fictive sur laquelle toutes les routes doivent être changées par des voies ferrées du fait du changement climatique : les élèves, avec un budget fermé, doivent proposer un réseau tenant compte des contraintes géographiques, faisant de fait des choix politiques à justifier et s’appuyant sur des outils mathématiques.

– Je propose des moments de recherches collectives sur des sujets « scientifiques » :

Les élèves ont la possibilité de poser une question « scientifique », hors programme, à chaque fin de séance. Je m’engage à y répondre une semaine après et l’élève qui a posé la question devra expliquer pourquoi il s’est posé cette question et ce qu’il « imaginait » comme réponse. Nous essayons de comprendre alors pourquoi la réponse que je propose est la plus appropriée et pourquoi la réponse « imaginée » par l’élève, qui est dans la majorité des cas au mieux imprécise, posait problème. Nous interrogeons alors les biais qui permettent de valider ou pas une proposition de réponse.

Nous posons ainsi collectivement la question des savoirs et de leur validité, et nous cherchons collectivement à combattre les savoirs « alternatifs » ou « relatifs » qui émergent à chaque fois. Je peux alors piocher dans l’histoire des sciences (la notion de chaleur, pour ne prendre que cet exemple, a une très riche histoire) en cherchant à chaque fois à faire un lien entre les choix politiques et la science. Il ne s’agit pas d’en rester à Galilée, qui est un exemple un peu bateau et classique, il s’agit de creuser : ainsi, l’idée de la « terre plate » comme idée qui a fait l’objet dans l’histoire d’aller-retours et de manipulations politiques (y compris pour justifier le scientisme) est intéressante à poser.

Être en lycée professionnel me permet parfois d’avancer sur des questions plus techniques et technologiques : ainsi creuser la question du choix politique de la généralisation des véhicules électriques (la pollution réelle de ces véhicules, l’extraction de métaux mais aussi la question du réseau électrique nécessaire pour supporter les charges).

– Je suis formateur académique et cela me permet d’explorer des formations qui aident à décomplexer les personnels enseignants dans leurs pédagogies :

Pour chaque formation, lorsque je dois présenter des outils pédagogiques, j’essaye d’en présenter plusieurs et organiser le travail avec les stagiaires afin que collectivement iels décident des outils les plus intéressants. Je profite par ailleurs des accompagnements d’équipes dans le cadre de la CARDIE2 pour questionner la démarche dite « innovante » …

Je me place là, en toute lucidité quant aux rapports de force qui se jouent, dans les marges laissées par l’Institution. Ces marges ne sont pas là par hasard : certaines proviennent de luttes, d’autres de celleux qui pensent « pouvoir changer le système de l’intérieur », d’autres du système lui-même lorsqu’il a des besoins pour survivre. Je prends ces marges pour ce qu’elles sont : des brèches pour planter des graines. Je prends garde à ne pas entrer dans une logique hiérarchique : la tentation existe et c’est donc aussi un combat de résister à cette forme bureaucratique d’intégration dans le système.

Je pose par exemple la question : « pourquoi avez-vous voulu être prof ? » … entre celleux qui veulent changer le monde, celleux qui veulent « transmettre » leur discipline académique, celleux qui n’en n’ont aucune idée… des discussions importantes émergent.

Autre exemple : « le BO vous dit de faire ça, le ministre vous dit autre chose, le recteur encore autre chose, l’inspecteur annule tout ça avec une autre position, tandis que votre chef d’établissement vous demande de faire encore autre chose, et vos collègues ont tous un avis différent : que faire ? ». Je travaille là le rapport à l’État et les réponses nécessaires collectives qui doivent découler (lien à faire ici avec la question sociale).

1 La base de ressources du dispositif RESCO est un bon départ pour ce faire : https://irem.edu.umontpellier.fr/ressources-et-publications/banque-de-problemes-ouverts/

2 CARDIE = Cellule Académique en Recherche Développement Innovation Expérimentation. J’interviens pour la CARDIE de l’académie de Montpellier : https://pedagogie.ac-montpellier.fr/discipline/cardie

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