Top chrono ! 30 minutes, c’est le temps fixé pour rédiger ce billet de Une pour Questions de classe(s).
30 minutes, c’est le temps accordé aux quelques centaines de personnes venues candidater ce lundi 30 mai au Rectorat de Versailles pour être embauché·es dans l’Éducation nationale. À l’initiative de la Rectrice, ce job dating géant a été médiatiquement vendu comme la réponse de l’institution à la pénurie de personnels. Il s’agit de recruter en masse et de le faire savoir !
Beaucoup a déjà été dit sur le scandale que constitue cette foire à l’emploi. Imagine-t-on embaucher un·e chirugien·ne, un·e pilote d’avion en une poignée de minutes sur la base d’un entretien au milieu du brouhaha et dans une ambiance de kermesse ?
La cour et les locaux du Rectorat avaient en effet ce jour-là des allures de foire : oriflammes publicitaires, vidéo en boucle de la rectrice sur grand écran, goodies et badges colorés pour tout un aréopage d’encadrant·es et d’hôtes·ses d’accueil.
Les médias, bien entendu, étaient conviés pour venir célébrer l’événement « disruptif » et amplifier le buzz… Ils ont joué leur rôle, tournant au passage en ridicule quelques candidat·es pour mettre en scène leur naïveté et/ou leur « bon sens », au choix (« j’ai aimé faire les devoirs de maths de mes enfants »). Jetées en pâture, ces petites vidéo ont enflammé les réseaux sociaux, retournant parfois la légitime indignation non contre une institution et une politique qui nous ont mené·es jusque-là mais contre des futur·es collègues qui connaîtront la précarité et qui sont les premières victimes de cette fuite en avant.
Tic-tac, tic-tac…
Embauché·es sous un statut de contractuel·les, sans aucune garantie ni quasiment aucun droit, ils et elles devront subir en silence l’arbitraire de la hiérarchie. Aujourd’hui déjà, un cinquième des personnels de l’Éducation nationale est sous statut de « non-titulaire ». Cela pèse, bien entendu, également sur le quotidien de celles et ceux qui sont sous statut de fonctionnaire, divise les personnels et fragilise les collectifs et leur capacité de résistance au néo-management. Celui-ci a déjà bien balisé le terrain, en particulier sur cette gestion du temps : 30 minutes pour faire ses preuves, pour réagir dans l’urgence et le stress, dans l’immédiat, répondre aux injonctions, servilement, se plier aux attentes, aux caprices de celui ou de celle qui a un petit peu de pouvoir et qui peu disposer à sa guise de notre temps (voir sur ce sujet l’analyse de Jacqueline Triguel dans son article “Temps” – Petit lexique divergent sur l’organisation des établissements scolaires). Cela dit beaucoup sur la vision des métiers que véhiculent l’institution et sa hiérarchie…
Au suivant !
Que faire ? La réaction la plus courante, la plus spontanée, a été d’opposer à ce job dating la noblesse des concours, gages de l’égalité des chances et symboles de la méritocratie républicaine. Est-ce aussi simple ? Le concours est-il la seule piste que nous ayons à défendre ? Il exclut d’ailleurs une partie de la population puisqu’il faut être ressortissant·es de l’Union européenne pour pouvoir devenir fonctionnaire… Accessible dorénavant à Bac + 5, le métier d’enseignant·e a également vu son profil sociologique évoluer ces dernières années, excluant souvent celles et ceux qui n’ont pas financièrement les moyens de s’engager dans de longues et coûteuses études. Il existait pourtant d’autres moyens de contourner ces obstacles : le statut de MI-Se (celui des surveillant·es jusqu’en 2003) avec des horaires et un temps de travail adapté pour la poursuite d’études à partir d’une première expérience avec les élèves. Face à la pénurie – déjà – de candidat·es, à la fin des années 80, le ministère Jospin avait instauré le versement d’un salaire aux étudiant·es qui s’engageaient à devenir enseignant·es (en échange de l’obligation de « servir » pendant 10 ans).
Au-delà de ces pistes, c’est toute une réflexion sur les conditions d’entrée dans les métiers et surtout de la formation des personnels qu’il faudrait porter, plutôt que d’opposer les un·es et les autres… Mais comment mener, ici, cette réflexion en seulement 30 minutes ?
– Les 30 minutes allouées à ce billet sont à présent écoulées, au revoir… On vous recontactera.
– Mais… j’avais encore tellement à dire…
– Désolé, la règle c’est la règle !
Temps additionnel
30 minutes, ce fut aussi, ce jour-là, le temps qu’il a fallu pour remercier un collègue contractuel après 5 années de service. Cela se passait au 4ème étage du Rectorat de Versailles, ce lundi 30 mai 2022, pas loin de la vidéo de la Rectrice qui tournait en boucle sur grand écran et de la foule qui se pressait à l’extérieur.
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