Anecdote sans signification ou opération politique à des fins très funestes et très calculées ?
Les enseignant.e.s pour partie d’entre eux.elles se sont bien posé.es la question. A l’heure des coupes budgétaires et des calculs lemairiens de bouts de chandelles sur l’argent que coûte l’école, il est difficile de digérer les quelques millions dépensés pour une pièce de deux euros et un livret, qui, s’il était rouge, n’aurait pas manqué de soulever les foules.
Petit rappel de cette opération : notre gouvernement et le petit roi à sa tête voient dans l’organisation des Jeux Olympiques à Paris en juillet 2024 l’occasion de célébrer la grandeur du pays hôte, la capacité de notre grand pays à organiser ces festivités : construire de grands stades, accueillir des milliers de journalistes, vendre l’offre touristique de la capitale, en somme, montrer la puissance de la France aux yeux du monde. Et que de mieux que montrer cette puissance économique sous couvert de sport et de belles valeurs humaines.
Pour parfaire l’opération, l’assentiment de la population et mieux encore sa fierté d’en être doivent être mis en avant. Et il semble bien que là, le bât blesse ! En effet depuis le début des « préparations » et des grands travaux, il semble bien que la population française et en particulier parisienne n’accepte pas la gabegie financière que l’évènement entraîne. Alors qu’à cela ne tienne, une opinion ça se travaille ! Et à l’école c’est encore mieux. Qui pourrait être dérangé par l’association de nos élèves à la promotion du sport ? Vous êtes contre le sport ? Connaître ses limites n’est-ce pas bien ? Se dépasser pour faire mieux, n’est-ce pas bénéfique ?
Les enfants doivent être associé.e.s à cette merveilleuse œuvre planétaire, donc on va les emmener sur les lieux olympiques pour qu’iels assistent à cela, ? Mais non trop cher ! Qui y aurait cru …
Alors voilà une idée sortie d’un cerveau de communicant.e politique : on va les associer aux jeux en leur donnant une pièce de deux euros frappée aux signes des jeux, avec, parce qu’iels pourraient passer à côté du message, un petit livret qui vante les valeurs des jeux olympiques : plus haut, plus loin, plus fort. Et oui ! Plus c’est gros, plus ça passe !
Que les détracteur.ice.s de cette opération insistent sur le rôle de l’école qui n’est pas de distribuer de l’argent à ses élèves, pas grave, c’est pour le sport ! Que le livret fasse l’étalage des arguments gouvernementaux avec un texte de M. Macron, de M. Attal et de Mme Oudéa-Castéra, pas grave, c’est pour le sport ! Que l’opération coûte 18 millions d’euros alors que le système scolaire en Seine St Denis est dans une misère noire, pas grave c’est pour le sport !
Eh bien non ce n’est pas pour le sport ! Qui peut croire que le système capitaliste et le CIO dépensent 6 à 7 milliards d’euros pour la promotion du sport et de l’exercice physique simplement ?
Alors comme une vieille ritournelle, il s’agit de se poser la question du pourquoi, et bien sûr, pas besoin d’avoir recours à des hautes études en économie pour y répondre : pour en rapporter plus !
Nos élèves, avec cette fameuse pièce de deux euros, sont donc visé.e.s « à moindre frais » pour deux raisons : leur aliénation aux valeurs olympiques, qui vont pourtant à l’encontre ce que nous voulons pour eux.elles, on installe à moindre coût dans une partie de leur cerveau les bienfaits du CIO et de cette fête capitaliste planétaire, et par la même occasion, les organisateur.ice.s tentent de remédier au problème du désintéressement des français.e.s pour l’évènement.
Au delà du gaspillage d’argent publique et de l’incongruité de cette opération, c’est aussi la manière dont on se sert de l’école et de ses enfants qu’il faut interroger. Avec un peu d’argent on embarque les « usager.e.s » d’un service publique, qui plus est l’Éducation Nationale, dans un système capitaliste, d’exclusion, de compétition aux valeurs méritocratiques, validistes et « occidentalo-centrées ».
L’école n’a pas à promouvoir ou être entraînée dans un évènement (même si sportif) capitaliste qui voit s’amonceler tous les logos des grandes multinationales. Faire entrer les jeux olympiques à l’école, c’est bien collaborer à la propagande du CIO et aider les sponsors et organisateur.ices à faire des profits.
Sommes nous prêt.es cher.e.s collègues à orienter nos enseignements en fonction de l’actualité sportive capitaliste ? Un projet classe découverte pour la route du rhum, un projet correspondances écrites avec des classes de pays africains pour le Paris Dakar, un projet apprentissage d’hymnes nationaux pour la coupe du monde de football, un projet science construction de petites voitures pour les 24 heures du Mans ? La porte est ouverte pour 2 euros, chers publicitaires l’école est à vous !
A entendre les réactions dans les salles des profs des écoles l’avenir paraît bien sombre : « oh ça va c’est qu’une pièce de 2 euros », « les élèves de l’autre école l’ont eu alors pourquoi pas les mien.ne.s » « On dit quoi aux parents qui ont eu l’info sur BFM ce matin si leur enfant ne ramène pas la pièce ? », « oh on n’a pas pris le temps d’en discuter en équipe c’est pas grave je les ai données, y’a pas mort d’homme ! ». La résistance n’est fatalement pas une valeur olympique !
Les valeurs … en voilà donc une formule magique, déclinée à toutes les sauces dans tous les contextes. Parlons alors brièvement des « valeurs » de l’olympisme. Selon les discussions avec les défenseur.e.s de l’olympisme on ne sait plus à laquelle se vouer.
Les valeurs originelles antiques de l’olympisme ? Rappelons alors que quelques soient les trois grandes origines mythiques des jeux olympiques, ils ont toujours été poussés par des motivations guerrières ou religieuses. Une cité contre une autre, une population contre une autre, le tout dans des affrontements la plupart du temps violents, à l’exception de la course à pied qui pourrait passer pour pacifique si dans certaines régions de Grèce les vaincus n’étaient pas réduits à l’esclavage ou tués.
Mais laissons de coté les grandes origines olympiques, pour se pencher sur les autres, très défendues par notre fameux petit livret distribué dans nos classes : les origines contemporaines des jeux olympiques fondées et théorisées par ce grand homme (dixit notre ancienne ministre de l’Éducation Nationale) Pierre de Coubertin. Et là, nous pouvons souhaiter bon courage aux professeur.e.s qui vont tenter d’expliquer à nos élèves les pensées et motivations du cher fondateur.
Quelques citations et quelques prises de positions peuvent parfaitement illustrer la dichotomie entre les ambitions « coubertines » et les missions émancipatrices et d’ouverture que nous souhaitons pour l’école :
M. de Coubertin répondait en 1912 dans la revue olympique à la demande d’inclusion des femmes dans les épreuves sportives : « Une petite olympiade femelle à coté d’une grande olympiade mâle. Où serait l’intérêt ? ». « L’exaltation solennelle et périodique de l’athlétisme mâle avec l’internationalisme pour base, la loyauté pour moyen, l’art pour cadre, et l’applaudissement féminin pour récompense »… Séparons l’homme du fondateur … ?
Ce cher grand homme ne s’arrêtait bien évidemment pas à cette belle vision des femmes, nombreuses sont ses prises de positions sur l’infériorité des races, les bienfaits de la colonisation ou son intérêt pour les thèses eugénistes.
Oh mais ça va c’est que du sport ?
D’accord me direz vous mais c’était il y a plus de 100 ans, les temps ont changés. Oui c’est vrai, alors de nos jours les jeux sont-ils devenus plus inclusifs et égalitaires ?
Moins d’1 % des disciplines olympiques sont mixtes, il est difficile d’en trouver qui mélangent des femmes et des hommes, peut être que M. Coubertin se retournerait dans sa tombe. Les droits publicitaires et de retransmissions médiatiques s’effondrent lorsqu’il s’agit d’épreuves féminines.
Des jeux paralympiques sont désormais bien organisés pour symboliser l’inclusion des personnes en situation de handicap. Oui effectivement : un mois après les « vrais » jeux, les infrastructures olympiques et leurs accès font hurler les associations défenseures des droits des personnes en situation de handicap, nous pouvons souhaiter bon courage aux personnes à mobilités réduites pour faire un trajet en métro avec un ou deux changements pour arriver à destination !
Oui mais c’est pour le sport…
Et que dire de cette immondice d’exclusion : les nombreux témoignages de médecins d’hôpitaux psychiatriques qui ont reçu ordre des préfectures de ne plus autoriser les sorties de malades mentaux hospitalisé.es sous contrainte. Ce qui fait dire à Mme Simonnot, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté : « Pourquoi on les empêche de sortir au moment du passage de la flamme ? C’est assez tragique, quand on vante des jeux paralympiques avec l’inclusion des personnes handicapées. » Ces nombreux médecins qui redoutent alors un véritable risque de troubles supplémentaire pour ces malades.
Oui mais c’est pour le sport …
Que dire également du « prolétariat olympique », ces quelques 80 % de sportifs et sportives qui s’endettent et cumulent l’entraînement et leur emploi à temps partiel dans l’espoir de sélection ou de médailles (statistiquement inatteignables face aux sportifs professionnels avec staff d’entraînement).
Oui mais c’est le sport …
Sous tous ces regards il est bien difficile de retrouver les belles valeurs de l’olympisme.
Mais si me direz vous, « plus haut, plus loin, plus fort » cela parle à tout le monde ! Ah bon ? A qui ? Pourquoi aller plus haut ? Pourquoi aller plus loin ? Pourquoi aller plus fort ? Cet adage ne peut que convenir à une idéologie mortifère. Notre monde n’en a t-il pas assez du toujours plus ? Qu’a à gagner la population mondiale que M. Dupont fasse un saut en hauteur plus haut de 4 cm, nage la brasse en 3 secondes de moins que M. Dupond ? Faire mieux que son voisin, faire plus fort, faire plus loin, en voilà de belles leçons de vie à donner à nos élèves !
Alors pour nos élèves, qui pourrait véritablement argumenter sur l’intérêt pédagogique d’une association de l’école au jeux olympiques ?
Avec le tableau d’impact (non exhaustif) qui suit il serait temps de se poser la question avant de distribuer sonnant et trébuchant les petits écus olympiques :
- des activités sportives entre deux publicités,
- le principe du faible s’inclinant devant le plus fort,
- la destruction d’aires naturelles pour la construction des complexes olympiques,
- la « privatisation » d’une partie du périphériques pour que les privilégié.es détenteurs de billets ne se mélangent pas à la populace parisienne dans les embouteillages,
- l’extension de l’autoroute A1 entraînant une augmentation de la pollution dans les cours d’école et bassin de population de Seine St Denis,
- l’expropriation des derniers propriétaires de jardins ouvriers de banlieues parisiennes,
- l’exclusion de la voie publique des personnes relevant des hôpitaux de jour,
- les hôtels sociaux dont beaucoup hébergent les familles de nos élèves, qui ont mis tout le monde dehors pour louer les chambres à des prix prohibitifs aux spectacteur.ices,
- la vidéosurveillance pharaonique et le fichage anthropométrique à l’échelle de la capitale pour soi-disant assurer la sécurité des badauds olympiques,
- la mise en place de dispositifs policier et militaire dans toute l’Île de France.
- le principe du faible s’inclinant devant le plus fort,
Voilà donc une forêt de couleuvres à avaler, à faire avaler sur nos lieux d’enseignement. Couleuvres finalement avalées et digérées sans trop d’indigestion il semble. C’est vrai que les principes face au sport …
Pourrions-nous enfin, en plus grand nombre, trouver une force de frappe pédagogique, intellectuelle, politique, pour refuser un jour d’être les petits soldats des grands œuvres capitalistes auxquelles on veut « associer » nos élèves !
Parce qu’en plus, vraiment, ces jeux, ils amusent qui ?
C.G.
c’est l’Etat qui a distribué les 18M, c’est l’Etat qui a voulu les JO. Certes les “capitalistes” LVMH et Coca cola en ont profité, mais l’organisateur n°1 c’est votre employeur.