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1… 2… 3… Pensez ! Philosophons les enfants ! Johanna Hawken

[**Qu’est-ce qui est proprement philosophique dans la pratique de « la philosophie avec les enfants » ?*] Johanna Hawken propose 10 idées clef qui la guident dans sa pratique ainsi que des méthodes, couplées à un ou plusieurs outils pédagogiques qu’elle a utilisés ou créés. Son travail, étayé de précieuses références, s’est confronté à une expérience de vie. Il parvient – ce qui est devenu rare – à articuler la théorie avec la pratique.

L’auteure qui anime depuis 2009 des ateliers philo, à Romainville (93), a soutenu, en 2016, à la Sorbonne, dans le cadre d’une convention Cifre (Convention Industrielle de Formation par la Recherche), une thèse fondée sur une recherche-action. Elle milite pour « ouvrir l’esprit des enfants non pas au monde de la philosophie mais aux dimensions philosophiques de leur monde ». Son enthousiasme nous encourage à réinventer la pédagogie pour initier tous les enfants à la discussion philosophique, dans une réflexion créative, bienveillante et critique, fondée sur une collaboration intellectuelle. La pratique de l’atelier philo révèle dans l’enfant un être capable de s’étonner philosophiquement au sujet de l’existence, apte à penser et à raisonner. Il devient un interlocuteur valable dont la parole mérite d’être prise au sérieux. Chacun s’ouvre alors à la nécessité de construire collectivement le sens du monde. Voilà aussi une belle leçon pour les adultes que nous sommes devenus !

Johanna Hawquen, 1… 2… 3… Pensez ! Philosophons les enfants ! 10 règles d’or et outils pédagogiques !, Chronique sociale (coll. Savoir communiquer), 2019, 214 p., 14,90 €.
– Préf. de Edwige Chirouter, Ill. de Maram Kerovpyan.

[**Tou.te.s philosophes !
Entretien avec Johanna Hawken*]

Johanna Hawken, docteure en philosophie, responsable de la Maison de la Philo (1) de Romainville (93), auteure de plusieurs contributions sur la pratique de «  la philosophie avec les enfants » (2), remet en question la conception de l’enfant comme être irrationnel, incapable de penser. Nous avons voulu en savoir davantage.

Vous posez comme axiome que tou.te.s les enfants peuvent parvenir à philosopher parce que la philosophie naît en chacun.e par la préoccupation de questions existentielles. Cependant, les enfants ne seraient-ils pas -ainsi que le disent les psychologues- égocentré.es ? Peuvent-ils s’ouvrir « au monde philosophique » ? accéder à l’universel ? Prendre du recul pour réfléchir ?

Johanna Hawken : Si on observe les enfants, on peut avoir l’impression qu’ils sont uniquement égocentrés mais si on les incite à prendre du recul, ils sont capables de s’ouvrir aux autres. Ils s’intéressent aux questions sur les humains. Ils veulent savoir comment on fonctionne. Leur capacité à dialoguer et à avoir une pensée avec les autres se développe par la pratique de la discussion en groupe. Si on en prend l’habitude, on sort la pensée de son état égocentré. Apprendre à penser demande de l’éveil et du temps. Il faut une initiation, un cheminement pour aller vers. Il s’agit de mettre en place une éducation à la pratique de la philosophie qui, au fur et à mesure, les rende capables de penser.

Avez-vous pu suivre des enfants pendant plusieurs années ?

Pour ma thèse (3), j’ai suivi des enfants pendant trois ans. À la Maison de la philo, nous suivons des enfants pendant toute leur scolarité. Au départ, ils apprennent à questionner. L’année d’après, ils savent ce qu’est une question, une idée, un concept, un argument. Ils acquièrent des habitudes. Ils suivent des rituels qui deviennent des acquis. Dès la 5ème ou 6ème séance, ils prennent le point de vue de l’autre -« mon camarade »-. Leur pensée devient plus complexe. C’est du brouillon, du tâtonnement. « On » cherche ensemble les idées. Avec les enfants, on ne pratique pas tous les genres de philosophie, mais une philosophie existentielle pour arriver à dégager des idées abstraites. C’est un parti pris. L’autre spécificité de la philosophie avec les enfants est que ce qu’on dit a une teneur affective. On est attaché aux idées.

Quel doit être le rôle de l’adulte pour « faciliter » progressivement leur apprentissage de la pratique philosophique ? À quelles conditions est-ce possible ?

Au début, j’ai tâtonné avant d’arriver à dégager des conditions.
D’abord, il faut instaurer un espace-temps. Une mise en scène est nécessaire pour faire comprendre que c’est différent du monde habituel. Le monde de la philosophie n’est pas le monde de la compétition. Il faut du silence.
Ensuite, la discussion doit être en lien avec leurs questions. Il faut chercher ce qui les intéresse, partir d’eux. Qu’est-ce qui donne envie de penser ? Il faut un sujet, une question ou un concept, lié à leurs préoccupations.
Enfin, il faut poser des règles pour aider la mise en place de l’atelier. On doit poser des questions pour aller plus loin. « Est-ce qu’on peut développer cette idée ? La reformuler ? » On accueille les idées et on essaye de les faire gonfler. Pour apprendre à penser, on doit mobiliser des habiletés ou des actes de pensée comme argumenter, questionner, conceptualiser, distinguer, expliquer, illustrer, douter, problématiser. Le premier geste est de créer des idées.

L’esprit critique va avec la bienveillance et le respect. Il faut instaurer la confiance pour que l’enfant se sente autorisé à penser. Il doit savoir que l’adulte ne va pas rejeter ses idées. Cette confiance, cette bienveillance lui donnent du courage pour exprimer une idée.

La pratique de la philosophie favorise-t-elle seulement leur développement cognitif et leur esprit critique ? Ne gagnent-ils pas aussi « une force éthique » ? La philosophie contribue-t-elle à leur éducation morale et citoyenne ?

Le cadre de l’atelier permet de développer l’esprit critique. D’abord, les idées sont provisoires. Ils s’amusent à critiquer les idées. On a posé qu’on peut chercher ensemble. Ensuite, l’esprit critique est possible parce qu’il peut y avoir plusieurs idées justes en même temps. On peut donc les déconstruire. L’atelier crée des habitudes. On questionne les idées : « Est-ce vrai par rapport à la réalité ? »

Dialoguer, écouter les autres, découvrir autrui, admettre de la divergence, cela développe des capacités éthiques. Dans l’atelier, c’est la méthode qui a une force éthique. Mais, il y a un risque de dérive si on veut éduquer aux valeurs en les présentant comme des entités extérieures, imposées par le monde adulte. Par exemple, cela ne sert à rien de dire « il ne faut pas être violent ». Si l’adulte détient la réponse ou se sert de la discussion pour imposer des opinions toutes faites, ce n’est pas philosophique. L’adulte doit bien choisir la question pour que le dialogue reste ouvert.

Comment fonctionne la Maison de la philosophie de Romainville ?

Nous sommes quatre personnes. La Maison a d’abord, une fonction d’animation d’ ateliers philo pour enfants, adultes et retraités, dans divers cadres éducatifs et culturels. Notre deuxième fonction est la médiation de la culture philosophique pour la rendre accessible à tous. La difficulté est de ne pas trahir le sens mais de médiatiser la culture pour amener plus loin. Enfin, nous avons une fonction de formation de tous les acteurs de l’éducation et de la culture de Seine Saint-Denis.

Propos recueillis par Dominique Costantini.

1- La Maison de la Philo est partenaire de deux Chaires portées par l’Unesco : une Chaire française (dédiée à la philosophie pour enfants) et une Chaire canadienne (dédiée au projet Philojeunes étudiant la prévention de la violence par la philosophie).
2- Hawquen J., : La philo pour enfants expliquée aux adultes, Temps Présent, 2019 ; Hawquen J., 1… 2… 3… Pensez ! Philosophons les enfants ! 10 règles d’or et outils pédagogiques !, Chronique sociale, 2019.
3- Hawken J., « Philosopher avec les enfants. Enquête théorique et expérimentale sur une pratique de l’ouverture d’esprit, Thèse de doctorat, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2016.

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