L’auto-défense féministe peut constituer un modèle d’une pédagogie critique en éducation physique. L’enseignement y intègre les expériences des participantes et leurs savoirs. Il développe un discours féministe portant sur des savoirs critiques relativement aux violences faîtes aux femmes. Il vise à développer leur empowerment mental, verbal et physique. Il s’agit donc d’un enseignement à la fois dialogique, réflexif, critique et actif. L’article ci-dessous aborde de manière plus générale la question de la pédagogie critique en éducation physique.
Antonio Fraile Aranda, « La didactica de la educacion fisica desde una vision critica »
Revista Electronica Interuniversitaria de formacion del professorado, 2(1), 1999.
Introduction
L’éducation dans la société démocratique naît au XVIIIe siècle avec les Lumières. Après le développement du capitalisme, elle se transforme en alliée du modèle éducatif religieux à la fin du XIXe siècle en imposant des valeurs comme la discipline, l’obéissance et la soumission, en modelant les élèves depuis l’enfance. Foucault se réfère aux mécanismes du pouvoir et de la discipline dans la production de sujets dociles et utiles pour la société.
La crise de la modernité génère divers changements sociologiques dans le modèle social capitaliste. Sur le plan anthropologique émerge l’homme unidimensionnel comme sujet autonome ; sur le plan politique, l’État démocratique pour défendre la liberté ; au niveau épistémologique, la raison scientifique instrumentale qui impose la domination de la technologie sur les valeurs morales.
Avec la postmodernité, les idées d’émancipation et d’autonomie rationnelle sont remises en question. Vattimo affirme la fin du dogmatisme, Lyotard celle de l’émancipation, pour Lipovestky c’est le paroxysme de l’individualisme et de la démocratisation. Pour Habermas le postmodernisme naît avec la critique du positivisme et de la pensée dialectique, en questionnant l’idée de société comme système. Les courants critiques essaient de repenser et de reconstruire le sens de l’émancipation humaine à partir des caractéristiques spécifiques de la société contemporaine.
La pédagogie critique arrive à l’école
Pour Gimeno, la tradition critique est un instrument qui permet la reconstruction du curriculum comme processus transformateur de la pratique scolaire, en déterminant une nouvelle forme de compréhension des interactions entre société et éducation. Depuis cette perspective se mêlent des intérêts et des valeurs qui ne sont pas idéologiquement neutres, car la société n’est pas aussi juste et rationnelle qu’on le pense, mais elle change à partir de principes d’irrationalité et d’injustice.
Nous devons analyser les processus par lesquels se forment les idées dans la société et notre propre pensée. On ne peut pas parler de la pratique enseignante sans parle de politique, car ce que propose une pédagogie c’est de construire une vision politique. Pour Ayuste, la pédagogie ne doit pas se limiter au champ de la salle de classe, mais doit être engagé dans tout ce qui influe dans la production et la construction de sens, impliquant une reconnaissance des politiques culturelles qui soutiennent ces pratiques.
« Les pédagogies critiques sont la conséquence de projets politiques qui font le pari d’une éducation émancipatrice, qui nous aide à construire un processus de transformation, de rénovation et de reconstruction sociale » (Martinez Bonafé)
Pour Rodriguez Rojo, il existe trois foyers de la pédagogie critique :
– la pédagogie radicale nord américaine et reconceptualisation sociocritique du curriculum ( Giroux, Pinar, Apple, Popkewitz)
– Le courant éducatif australien (Kemmis, Carr, Young, Grundy…)
– La tendance allemande (pédagogie critico-communicative) ou pédagogie constructive, qui s’appuie sur l’héritage de la tradition de la pédagogie scientifique allemande (Klafki, Schaller, Rothe)
Depuis l’école de Francfort, des théoriciens comme Adorno, Horkheimer, Marcuse développent une théorie critique qui questionne les modèles de domination existant. Cette alternative au modèle traditionnel se base sur des théories et des pratiques éducatives qui critiquent le rôle des écoles comme appareil idéologique d’un Etat préoccupé par le maintient et la reproduction des relations de production capitaliste. Cette nouvelle pédagogie critique, s’appuie sur la raison communicationnelle à partir du dialogue et de la relation sujet-sujet.
La pédagogie critique va à l’encontre des théories et pratiques éducatives hégémoniques comme alternative aux relations traditionnelles de pouvoir, depuis des théories et des stratégies orientées vers une école démocratique et émancipatrice qui se préoccupe de l’articulation d’une large vision sociale sociale et éducative, et du développement de pratiques enseignantes adaptées à des contextes spécifiques.
En conclusion, la pédagogie critique met l’accent sur le développement libre de la personnalité en employant une méthodologie adaptée à ses caractéristiques et qui lutte contre les inégalités socio-culturelles. Pour Freire, libérer la personne suppose de dépasser le modèle de la société de consommation et la colonisation culturelle. Giroux, à la fois dénonce les injustices et les inégalités sociales (de classe, de genre et raciales) qui se développent à l’école. Il considère qu’il manque un discours théorique qui aide à construire des formes de connaissances, de relations sociales dans la classe et des contenus dotés de sens. Il s’agit de réduire la distance entre les stratégies pédagogiques et le projet politique critique de la pédagogie critique, en dépassant le divorce entre les théoriciens et les exécutants qui le mettent en place.
De la théorie pédagogique à une didactique critique
Freire définit la didactique critique comme la recherche de formes d’enseignement cohérents, pariant pour une éducation associée aux langages critiques, transformant la réflexion et l’action en partie d’un projet social, qui non seulement s’oppose aux formes d’oppression, mais également qui développe un processus d’humanisation.
La didactique critique comme science théorico-pratique oriente l’action formative, dans un contexte d’enseignement-apprentissage, au moyen de processus symétriques de communication sociale, à partir d’une rationalité émancipatrice, refusant les notions de positivisme, rationalité, objectivité et vérité, les rendant dépendant des significations et des interprétations des participants.
Selon Carr et Kemmis, la didactique critique doit :
– Partir d’une vision dialectique de la réalité
– Développer les catégories interprétatives des enseignants
-Identifier les situations sociopolitiques qui empêchent d’atteindre les fins rationnelles de l’enseignement
– Créer des communautés auto-réflexives qui lient la théorie et la pratique
– Utiliser la méthode critique pour identifier les aspects sociaux non contrôlés par les participants.
– Aider les participants à dépasser leurs problèmes et éliminer leurs frustrations :
« L’enseignement depuis une didactique critique permet le processus qui facilite la transformation permanente de la pensée, des attitudes et des comportements des élèves, provoquant un contraste entre leurs acquisitions plus ou moins spontanées dans sa vie quotidienne avec les propositions des différentes disciplines scientifiques, artistiques et spéculatives, mais également en stimulant son expérience de la réalité » (Perez Gomez).
La didactique de l’éducation physique critique
[…] Pour Linares, l’éducation physique doit correspondre à l’étude du mouvement et des implications didactiques et pédagogiques, dirigée vers l’éducation du sujet à travers une meilleurs et plus équilibrée connaissance et maîtrise de soi-même, des relations avec les autres et avec son entourage.
Cependant, cette discipline conçoit ses activités d’apprentissage dans le cadre d’un contexte socioculturel déterminé, en connectant les concepts d’enseignement et d’apprentissage, en considérant que les situations éducatives de caractère corporel représentent une action éducative.
Pour justifier la présence d’une didactique de l’éducation physique, nous devons dépasser le modèle éducatif traditionnel fournit par les institutions scolaires et militaires, qui depuis la fin du XIXe siècle ont déterminé des pratiques de rendement, formant un corps docile, au travers de la méthode analytique, en accord avec la société industrielle capitaliste qui utilise le corps pour une activité compétitive et de production.
La vision traditionnelle de la didactique de l’éducation physique est préoccupée par l’acquisition de connaissances, de compétences et d’habilités professionnelles qui permettent d’utiliser les activités physiques et corporelles comme un moyen privilégié de développement de l’éducation. Parfois, elle oublie que les mêmes problèmes (économiques, politiques, environnementaux) qui affectent la société, ont également une incidence sur l’éducation physique et la vie des enseignants. On analyse l’activité physique sportive comme neutre et apolitique, appuyant les intérêts conservateurs, reproduisant et légitimant les inégalités en lien avec le pouvoir. Cette situation génère entre les professeurs d’Education physique une formation technocratique orientée vers le rendement, basée sur une connaissance non problématisée, et un manque d’engagement social.
Comme alternative à ce modèle pédagogique hégémonique, basé sur les principes rationalistes de sélection, organisation et évaluation du contenu à transmettre et préoccupé d’efficacité motrice, la pédagogie critique aide les professeurs d’éducation physique à prendre conscience de leur pratique enseignante, en questionnant le paradigme dominant.
Ainsi l’éducation physique à partir de cette nouvelle perspective se préoccupe des questions suivantes :
– qui a produit cette connaissance
– qui en tire bénéfice
– comment change-t-elle et évolue-t-elle avec le temps
– quels intérêts l’animent et la soutiennent
– quelles cultures la transmettre et comment influe-t-elle sur la vie en société
– dans quel but et comment ces connaissances peuvent-elles être utilisées
Il s’agit de connecter les contenus et les objectifs avec des thèmes sociaux, d’analyser des relations de pouvoir dans la classe, de mettre en lien les aspects personnels et politiques de l’apprentissage.
Pour cela, la formation des professeurs doit regarder vers des perspectives plus humaines, qui nous approchent d’une société plus juste, écouter les groupes silencieux et marginaux, et lier les intérêts de l’école avec la société.
Les programmes de formation du professeur d’éducation physique doit lier la théorie et la pratique, intégrer la pensée sociale préoccupée par les valeurs, pour l’inscrire dans un cadre de pensée qui peut alimenter les sciences sociales dans une organisation innovatrice. Avec l’aide de la recherche-action, les professeurs doivent : analyser ce qui se passe dans la pratique, en mettant en relation des observations et des interprétations personnelles, avec la finalité de transformer l’action. Connaître et comprendre la manière dont la pratique scolaire est en relation avec la réalité sociale, les processus de changement dans la salle de classe, ainsi que les facteurs qui les déterminent.
Le professeur comme chercheur dans sa pratique, non seulement doit décrire et interpréter les interactions entre société et éducation, mais également essayer de les changer. La théorie critique doit nous aider à trouver des solutions aux problèmes de la pratique, en transformant le milieu. Sa fonction ne se comprend pas de manière prescriptive, légitimant et justifiant les faits dans sa relation avec des valeurs, mais depuis la réflexion et la compréhension de la pratique, s’engageant à étudier et à comprendre les relations entre les valeurs et les intérêts des différentes situations socioéducatives.
Dans une éducation physique critique :
– Le curriculum doit être perçu de manière holistique
– L’élève est le principal agent de construction de la connaissance, comme porteur et créateur de culture
– Utiliser les expériences, en reconstruisant et réorganisant les connaissances
– Les expériences antérieures sont importantes pour le développement du sens du curriculum
– La liberté personnelle est une des valeurs centrales
– La diversité et le pluralisme sont des fins et des moyens pour parvenir à ces fins.
– On a besoin de nouvelles formes de langage pour construire de nouvelles significations au sujet du curriculum
Le professeur critique en éducation physique doit réfléchir sur les situations conflictuelles et changeantes du milieu socio-éducatif, analysant son rôle dans la société postmoderne, ainsi que les interconnexions entre la culture, le pouvoir et la transformation à partir du contexte sociopolitique, culturel et économique, pour transformer la pratique et la société.
Quels processus interviennent dans la connaissance des élèves et quelle relation a-t-elle avec le curriculum formel et le curriculum caché ?
D’où provient la connaissance que l’on enseigne dans les écoles ?
Qui et comment le sélectionne, selon quels intérêts, propos et arguments ?
Quels intérêts sert l’école ?
Quels types de connaissances et valeurs sont considérées comme légitimes et comme une préoccupation éducative ?
Quelles relations s’établissent entre les finalités éducatives, l’histoire personnelle et le contexte sociopolitique dans lequel se déroule l’activité éducative ?
Contentement, nous observons un certains nombre de routine dans le domaine de l’éducation physique qui doivent être revues :
– L’éducation physique se déroule de manière hégémonique à travers des méthodes d’enseignement directive qui induisent des comportements de groupe homogènes, non différentiés. Les méthodes d’enseignement directifs, et spécialement, le commandement direct représente une des stratégies d’enseignement la plus employée
– Les programmes d’éducation physique s’organisent autour d’experts curriculaires en instruction et en évaluation, à qui on assigne la tâche de penser, tandis que le professeur devient un exécutant de ces contenus.
– Le professeur d’éducation physique agit de manière routinière et mécanique, empêchant une activité physique plus compréhensive.
– On développe un modèle corporel formaté pour le monde du travail et de la production, où prime les aspects physiques, sur les dimensions cognitives et affectives.
– L’importance de l’apparence physique et de l’esthétique comme un des facteurs de la nouvelle société de consommation, reflète le soin du corps et une nouvelle forme d’interprétation de l’activité physique à partir de l’école, ayant pour objectif l’amélioration des paramètres physiques et corporels qui nous aident à améliorer notre image corporelle dans le cadre de la société actuelle, révisant la culture sur l’activité physico-sportive depuis les nouveaux principes et paramètres qui régulent la société postmoderne.
Nous devons réfléchir au rôle du corps à l’école et des activités physiques, et comment cette matière contribue à un changement de valorisation du corps, dans la société postmoderne. Il est nécessaire de revendiquer la recréation et la disponibilité corporelle, une éducation intégrale, en contact avec le milieu naturel.
– Comment l’éducation physique agit dans la société postmoderne ?
– Comment se met en relation le professionnel de l’éducation physique avec la nouvelle réalité sociale, politique, culturelle ?
– Comment nos sentiments influencent les professeurs d’éducation physique pour les différents pouvoirs et idéologies ?
– Quelle est la vision du corps, déterminée par les courants et les modes socio-culturelles dominantes ?
– Quelle importance possède pour les professeurs d’éducation physique les aspects éthiques et moraux comme : la justice, la liberté et l’égalité… ?
La didactique de l’éducation physique critique rend possible que l’étudiant analyse sa réalité depuis des contextes différents avec une meilleure responsabilité au sujet de la prise de décision et autonomie personnelle. Pour Kirk, la formation du professeur d’éducation physique doit contextualiser la connaissance académique, en la liant avec la réalité sociale, rendant possible sa responsabilité personnelle et professionnelle. Comme producteurs culturel, les professeurs doivent établir des espaces démocratiques pour débattre de la connaissance et des habiletés nécessaire, comme la liberté individuelle et la justice sociale, rendre possible des attitudes critiques pour le développement des valeurs démocratiques d’une société libre et égalitaire, en travaillant de manière inégalitaire, on porte atteinte au plus défavorisés.
En accord avec Giroux, les professeurs universitaires sont des intellectuels . Nous devons assumer un rôle plus actif et engagé sur le terrain de la politique culturelle, nous impliquant dans des travaux sociaux émancipateurs. Nous devons questionner notre vie personnelle et notre action éducative, en analysant notre modèle éducatif et comment notre formation conditionne la manière d’enseigner. Nous devons entreprendre des changements dans notre activité professionnelle et assumer des responsabilités qui nous aident à développer la connaissance, comme agents de changement. Car outre le fait d’être des éducateurs, nous sommes des citoyens.
Comme application pratique de cette didactique critique nous devons négocier le programme avec les élèves, concevoir des contenus curriculaires à travers des travaux collaboratifs avec les étudiants, favoriser des stratégies qui aident l’auto-évaluation, modifier les traditions de relation de pouvoir entre le professeur et les élèves à partir d’un processus plus démocratique et émancipateur qui permet aux étudiants de développer une conscience critique, qui les encapacite comme futurs enseignants, les habituer à prendre des décisions plus autonomes consistant à choisir, organiser et agir en accord avec leurs croyances ; les aider à dépasser les possibles conflits avec les institutions dans lesquelles ils se forment et sur les agissement de ces professeurs, spécialement, quand le modèle d’enseignement hégémonique dans l’Université est traditionnel, stimuler la participation démocratique et critique, les impliquer dans la prise de décision sur : ce qu’est enseigner, comment enseigner et quels sont les principaux moyens pour y parvenir, employer la recherche-action, comme outils pour réviser et questionner le modèle d’enseignement hégémonique.
En cela, notre programme d’intervention pour la formation critique du professeur d’éducation physique, doit avoir comme objectif :
– Développer une vision problématisée de la réalité sociale, qui aide la population scolaire la plus défavorisée
– Aider à réfléchir de manière critique, en questionnant les postures hégémoniques à partir de propositions qui aident à décrire les problèmes d’injustice et d’inégalité sociale.
– Débattre et analyser comment l’activité physique et le sport perpétue les relations de pouvoir et d’inégalité sociale, en révisant notre éthique, les valeurs morales et personnelles.
– Débattre et analyser comment l’activité physique et le sport perpétuent les relations de pouvoir et d’inégalité sociale, en révisant notre éthique, nos valeurs et morale personnelle.
– Favoriser le travail collaboratif pour développer la réflexion, la communication et l’apprentissage dialogique.
– Analyser le rôle des futurs éducateurs en connectant sa formation avec les problèmes.
Une pédagogie critique en éducation physique
Bonjour,
Nous sommes une association basée en Turquie qui travaille sur les droits du corps. Nous developpons des outils pédagogiques pour les enfants vivants des situations de conflits et post-conflits.
Cet article serait une ressource précieuse que nous aimerions traduire en Turc et publier sur notre site: bomovu.org
L’article est-il libre et gratuit pour la traduction et la publication dans le cadre d’un partage non-lucratif.
Cordialement,
Nil Delahaye