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Un matin de rêve, ou le silence feutré de l’amour

Couverture de Un matin de rêve. Un enfant est allongé dans un lit.

Dans Un matin de rêve, l’auteur Christian Demilly et l’illustratrice Clémence Pollet nous font vivre le ravissement d’un enfant qui se remémore sa journée de la veille.

Dans une narration à la première personne, l’enfant égraine la douceur des événements de ce premier jour des vacances. L’album est construit avec une grande sobriété : une phrase par double page avec une anaphore simple mais efficace en « hier » à la manière du « Je me souviens » de George Perec. Chaque phrase se veut une petite anamnèse à hauteur d’enfant : Christian Demilly a tenté de ressaisir à la fois une langue et un vécu d’enfance et cela semble plutôt réussi.

« Hier, mes grands-parents m’ont dit que je n’étais pas obligé de terminer mon assiette. »

Un matin de rêve, Christian Demilly et Clémence Pollet

Cette sobriété du texte fait échos à la douceur des couleurs pastels, mais aussi plus généralement des émotions évoquées par les illustrations. Des gestes tendres et des petits sourires, bouches fermées – il n’y a pas d’éclats de voix. « Personne n’a crié à la maison, les portes n’ont pas claqué ». Les personnages ne parlent pas – le livre est silencieux, l’ambiance est douce et feutrée.

« C’est un matin de rêve » conclut le narrateur dans une petite extase. Mais si l’enfant vit « un rêve », peut-être n’est-pas uniquement grâce aux vacances scolaires qui commencent, mais grâce à une expérience douce et heureuse qu’il traverse. On le voit dans chaque illustration, sans être évoquée dans le texte. Jusqu’à l’antépénultième double-page : « Hier, Benjamin m’a dit qu’il m’aimait. » Benjamin – qui est Benjamin ? – m’a dit qu’il m’aimait. Alors, peut-être que le reste ne compte pas vraiment. Peut-être que ce silence feutré nous raconte comment l’amour fait taire le bruit du monde.

Peut-être que ce silence feutré nous raconte comment l’amour fait taire le bruit du monde.

Qui est Benjamin ? Benjamin n’est pas présenté mais il est présent dans toutes les pages du début du livre. A nous de le voir dans les illustrations : par exemple, à la deuxième double-page, Benjamin est avec le narrateur dans cette cour de récréation incroyablement silencieuse. D’ailleurs, le narrateur et Benjamin tous les deux face à face, se décrochent graphiquement de la foule d’écolier.es aux couleurs estompées. Benjamin se retrouve ensuite au fil des pages jusqu’à ce que le narrateur partent chez ses grands-parents. On voit la douceur avec lequel il regarde son ami. On comprend. Et si cela n’était pas clair, s’il fallait encore insister sur ce vertige amoureux que vit le jeune narrateur – Clémence Pollet nous offre une incroyable double page illustrant le film que regarde l’enfant avec sa famille. « Je vole, Jack ! » – Jack et Rose sont à l’avant du Titanic et on comprend que cette scène si culte et si kitsch touche en plein cœur le petit narrateur.

"Hier, c'était mon anniversaire." Sur l'image, deux enfants lisent un atlas.

Une des trouvailles formelle du livre est la dé-liaison des paroles textuelles du narrateur et des illustrations qui racontent la même histoire mais nous font sentir d’autres regards, gestes, événements malgré le silence. C’est ce décalage entre le texte et l’image qui nous raconte l’histoire d’amour des deux garçons malgré le silence du texte.

Quels sont les mots qu’on utilise pour parler d’homosexualité enfantine ?

Ce silence feutré touche à la douceur du sentiment amoureux. Toutefois, ce silence, n’est-il pas aussi celui d’un tabou. Quels sont les mots qu’on utilise pour parler d’homosexualité enfantine ? Il est déjà notable que si la littérature enfantine parle souvent d’amour entre enfants, elle s’attarde assez peu sur la délicatesse des sentiments amoureux. On voit le plus souvent des mises en scène enfantine de l’hétérosexualité (« J’ai 9 ans, j’aime le foot et Océane, c’est mon amoureuse. Océane, c’est la plus belle fille de la cour de récréation. ») plutôt que le trouble généré par les premiers émois. Si on parle d’amour dans les livres pour enfants, on parle finalement peu de sentiments… et encore moins d’homosexualité. Dans les années 2010, les albums pour enfants vont voir arriver des familles homoparentales avec de réels préoccupations sur la représentation de la diversité des schémas familiaux, mais l’homosexualité reste finalement toujours une affaire d’adultes. Il n’y a donc que très peu de mots, peu de discours socialement disponibles, disponibles à notre narrateur pour parler de ce qu’il vit et ressent (mis à part ceux de l’hétérosexualité – du Titanic ect.).Le silence du livre peut donc aussi être compris comme le silence autour de l’homosexualité enfantine. Il n’y pas de mots pour la dire. Pas encore.

Enfant qui regarde par la fenêtre dans la voiture.

Ce silence doit aussi s’entendre comme une délicatesse des adultes dont les regards sont toujours emplis de bienveillance.

Pour autant, notre narrateur n’est pas « réduit au silence ». Et si l’amour des deux garçons ne trouvent pas de mots, si l’on sait à quel point cela peut être violent – l’album reste intensément positif. Ce silence doit aussi s’entendre comme une délicatesse des adultes dont les regards sont toujours emplis de bienveillance. En effet, Christian Demilly écrit avec une tendre pudeur. Ne risque-t-il pas aussi de lui ôter les mots de la bouche à son jeune narrateur ? Les adultes ne doivent-ils pas aussi laisser le temps aux enfants d’expérimenter et d’inventer leurs propres mots sur ce qu’ils et elles ressentent ? Ainsi, l’ouvrage n’est pas un livre révolutionnaire – il ménage notre époque et laisse aux jeunes lecteurs et lectrices, le temps de trouver leurs mots pour parler d’amour.

Un matin de rêve, Christian Demilly et Clémence Pollet, HuangFei, 2022, 40p., 14€90.

Sortie le 20 octobre.

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