De tout temps, la jeunesse a mis en difficulté les modèles économiques et sociaux en place. Ceci n’est en rien nouveau et étonnant. Ce qui semble l’être davantage devenu aujourd’hui c’est l’inquiétante fracture des âges qui s’est emparée de notre société.
Jeunesse sacrifiée
Aujourd’hui ,tous les instruments de mesure sociologiques indiquent que la jeunesse subit la plus grande précarité et que le bien être économique et social est réparti, notamment en France, en fonction de la pyramide des âges.
Pour dire les choses simplement, en France la pauvreté touche de plus en plus d’enfants et la précarité s’installe dans la jeunesse. Plus on est jeune, plus on est en danger de marginalisation, de pauvreté, d’isolement, mais également plus on risque d’être en mauvaise santé à la fois physique et psychique.
Cette fracture générationnelle qui s’installe dans notre culture et notre vie quotidienne, est compliquée par deux autres phénomènes
L’effacement des âges
Le premier est l’effacement des âges. Nous vivons dans une société qui efface progressivement tout repère d’âge. Aujourd’hui des personnes âgées peuvent être très actives et en pleine forme tandis que des jeunes de vingt ans ou trente ans peuvent être diminués, abîmés par la vie, malades chroniques, obèses et enfermés.
L’image même de la vitalité semble avoir déserté la jeunesse. Le viagra, le culte du corps assignent au troisième âge des valeurs autrefois liées à la jeunesse tandis que l’on exhorte les jeunes à être responsables, résignés, et « sages ».
Diabolisation de la jeunesse
Le second facteur aggravant de cette « fracture générationnelle » est l’image épouvantable qui est accolée aujourd’hui non pas à la jeunesse (une valeur culturelle et sociétale, à son zénith) mais aux jeunes eux mêmes toujours vus et perçus comme dangereux, nuisibles, et porteurs de toutes les évolutions psychopathiques et délinquantielle possibles.
Pour le dire autrement : trente années de lois et de mesures sécuritaires ont amené ceci : la jeunesse n’est plus à ce jour un facteur de minoration de l’appréciation des conduites ; elle n’est plus un indicateur de protection, … elle est devenue une circonstance aggravante, à la charge des intéressés.
Aujourd’hui, la tendance est de pénaliser d’autant plus les auteurs de toutes le transgressions, incivilités et délits (dont la liste s’allonge perpétuellement dans une société de moins en moins tolérante) qu’ils sont jeunes.
La jeunesse fonctionne comme une circonstance aggravante : il faudrait d’autant pénaliser plus fort et plus tôt , tellement il paraît évident que le jeune est sur une pente inexorable de criminalité ou d’incivilité.
Nous vivons par ailleurs dans un climat où il est toujours de bon ton de « dénoncer les enfants rois ». Ils seraient les derniers tyrans d’une société devenue démocratique. On connaît le refrain : mai 68 et Dolto auraient détruit les fondements de la société. Les enfants seraient des monstres impunis, éduqués par des parents démissionnaires quand ils ne sont pas complices.
Peu importe que la réalité de la condition vécue par les enfants et adolescents de famille pauvre ne démontre le contraire : de plus en plus enfants exclus des structures d’éducation précoce, d’animation, périscolaires, culturelles, sportives, d’éducation populaire… soit qu’ils n’y aient tout simplement pas accès, soit qu’on les décourage de les fréquenter, en les y accueillant mal, soit qu’on les en renvoie de façon de plus en plus « décomplexée ».
On ne comprendra ni les jeunes en crise, ni la crise des structures et pratiques éducatives et sociales destinées à la jeunesse si on n’admet pas ceci : les jeunes en France, et un peu partout dans les pays occidentaux font face à une véritable violence institutionnelle et sociale qui les prend pour cible.
Difficultés de penser les nouvelles problématiques sociales depuis les institutions
Cette violence peut toutefois ne jamais être aperçue, car en effet ne rien semble pas avoir tant que cela changé dans le paysage institutionnel, social et éducatif. A priori les structures sont toujours présentes, les institutions sont nombreuses, comme le personnel est formé.
Seulement, ce dont on ne s’est pas aperçu, c’est que les structures éducatives, sociales, scolaires, périscolaires, de loisirs ou d’éducation populaire se sont petit à petit dégagées de la réponse aux besoins des enfants et adolescents des milieux populaires
Pour ce qui est du secteur du loisir et de l’éducation populaire comme celui du périscolaire ou de l’accueil de la petite enfance, ce sont les couples biactifs qui occupent l’essentiel des places, laissant dans l’ombre les enfants de parents précaires, isolés, au chômage, en activité séquentielle (travailleurs pauvres) ou sans emploi.
Dans les quartiers, nous côtoyons, de plus en plus nombreux des enfants et des jeunes qui « ne calculent » plus les structures de proximité. Souvent eux mêmes exclus de l’école, ou orientés « vers du vide », après la classe de 3ème, ces enfants et adolescents ne trouvent pas davantage de réponses ou de place dans les missions locales, dans les MJC ou les centres sociaux
Sur un autre plan nous constatons que les prises en charge dans le secteur de l’éducation spécialisée et du social sont devenues elles mêmes de plus en plus précaires : on ne compte plus les fins de contrat, les exclusions dans un secteur d’activité où ces mesures étaient par définition très rares.
Les accompagnements d’adolescents et de jeunes en difficulté sont ainsi marqués par la même précarité que eux mêmes subissent souvent depuis leur naissance, dans leur famille, dans leur milieu mais aussi au cœur des institutions qu’ils traversent
Nous déplorons le fait que la plupart des structures dont la mission serait d’accueillir les enfants et les jeunes, ne voient et ne perçoivent plus les problématiques de ceux ci d’une façon globale.
Est en cause ici, un manque de formation et de conscience politique, tant des acteurs que des publics qui ne perçoivent et ne lisent les tendances structurelles, la désintégration sociale, la violence de tous les jours.
Les pratiques éducatives et sociales ont elles mêmes évolué : marquées par la culture du projet, du contrat, de l’individualisation qui s’est imposée partout par la loi, la réglementation, les accréditations et les modes de subvention aux associations, celles ci ne sont plus en mesure de prendre en compte la condition de vie réelle des enfants, des jeunes et des familles. A la place, elles sont obnubilées par leurs propres objectifs, leurs propres évaluations. Pour tout dire, les institutions ne voient plus le monde qu’à partir d’elles mêmes.
Difficulté de travailler en dehors des institutions
Il faut ainsi sortir des institutions et prendre le risque de travailler dans les espaces publics, en milieu réellement ouvert, pour découvrir une réalité sociale occultée : de très nombreux enfants et jeunes sont aujourd’hui abandonnées à eux mêmes ou aux ressources inégales et inéquitables de leurs parents ou de leur milieu.
Sans soutien de la collectivité, sans reconnaissance de la part des institutions qui exigent toujours des conditions ou des contreparties, à leurs aides ponctuelles et à une prise en charge conditionnelle, tant d’adolescents et d’enfants sont en France, purement et simplement délaissés.
Une association comme Intermèdes Robinson à Longjumeau (91) , peut donner un exemple d’un autre mode de prise en compte de ces besoins sociaux déniés . Errance et solitude des adolescents, mauvaise santé des jeunes, souffrance physique et psychique, dépressions, abandonnisme, idées noires, addictions…
Pour pouvoir prendre en compte cette réalité occultée, il faut se donner les moyens de l’inconditionnalité. S’installer dans les espaces publics, d’une façon régulière, ritualisée et durable (et ceci constitue une différence réelle avec les pratiques de la prévention spécialisés, à renforcer par ailleurs).
Accueillir sans condition, ni démarche, ni formalité tout celui qui se présente. Etablir des relations humanisées et humanisantes. Travailler tant avec les individus que les groupes, et surtout suivre dans la durée les relations établies.
Il s’agit d’un travail simple, mais exigeant qui suppose de comprendre les enjeux et l’intérêt de d’orienter les pratiques éducatives et sociales du côté de la Pédagogie Sociale (Freinet, Freire, Korczak, Radlinska).
Ce sont des pratiques qui aujourd’hui se répandent (DIE, Grenoble, Saint-Etienne, Paris, Longjumeau, Brest, Rennes) mais qui sont portées par des groupes ou des institutions créées par des acteurs sociaux, conscients des limites et de insuffisance des institutions et pratiques actuelles.
Pour autant ces pratiques minoritaires se heurtent à d’autres murs/ Des modes de financement primitifs qui les installent dans une posture perpétuelle de sollicitation, d’insécurité et de précarité
Pourtant ces structures, ces pratiques, coûtent infiniment moins cher que les modes d’intervention classiques et concernent souvent bien plus d’enfants, de jeunes et de familles, à commencer par les publics les plus précaires et « volatiles ».
Quand soutiendra t on réellement dans notre pays l’initiative sociale et éducative ? Quand cessera t on d’obliger les porteurs de telles initiatives à partager la même insécurité et précarité que les publics auprès desquels ils s’impliquent ?
Pour aller plus loin, un exemple, l’association INTERMEDES Robinson :
Introduction : l’association INTERMEDES Robinson, de Longjumeau (91)
Forte d’une longue expérience en travail social communautaire, développement du pouvoir d’agir et « empowerment », notre association souhaite partager un certain nombre d’idées, qu’elle porte au quotidien
Qui est l’association INTERMEDES Robinson ?
Implantée à Longjumeau et notamment au cœur de son quartier populaire « négligé » (le quartier Sud) , l’association réunit tous les acteurs sociaux, sans distinction de statuts, autour d’un programme qui mêle volontaires, bénévoles, bénéficiaires te permanents, de développement social communautaire.
Nous agissons notamment en :
Réalisant 8 ateliers éducatifs de rue, hebdomadaires,
Ces ateliers sont des ateliers éducatifs, mais aussi des ateliers de production : artisanat, cuisine communautaire, création artistique
Ces ateliers participent de l’embellissement de l’environnement, de sa transformation urbaine et sociale
Nous réalisons également :
Du jardinage communautaire (indivision de la production) qui vise à développer l’autonomie et la souveraineté alimentaire du territoire et des familles. Cette production est suivie d’ateliers de transformation de produits.
Des soirées conviviales intergénérationnelles et interculturelles, où à tour de rôle les familles en invitent d’autres (tous les mois)
Des ateliers d’éveil pour les jeunes enfants, dans les espaces publics
Des ateliers d’éveil et éducatifs auprès des enfants de familles Rroms habitant dans deux bidonvilles de l’Essonne.
Quelle vision des territoires, véhiculent nos pratiques ?
Le territoire n’est pas un lieu mais un milieu à transformer, à habiter
Nous nous approprions la pensée de Gilles Clément concernant la valeur des friches ; pour nous les friches à cultiver sont humaines sociales, éducatives. Elles portent la valeur de demain
Nous travaillons sur les principes de la Pédagogie sociale :
Constance et durée des actions
Accueil inconditionnel, favorisé par l’implantation dans les espaces publics
Libre initiative et gratuité des actions
Nous favorisons l’auto organisation des, participants et accompagnons les initiatives
Quels enseignements pour une politique des territoires ?
Le travail en milieu ouvert, en Pédagogie sociale permet seul de contacter les publics les plus précaires et les plus « volatiles »
Le travail en pédagogie sociale permet d’adopter une vision transformatrice et non pas seulement réparatrice des territoires
Ce travail est producteur de lien social et développe le sens de la vie collective
Plus d’informations :
Livres : Pédagogie sociale (Ott, Chronique sociale, 2011)/ « Des lieux pour habiter le monde » (Dadabi et alii, éditions Chronique sociale, 2012)
Site : http://assoc.intermedes.free.fr
Blog : http://blog.recherche-action.fr/intermedes/
Vidéos : http://www.dailymotion.com/user/Cultures_Robinson/1