Voici une petite réaction personnelle, à l’issue des discussions qui j’ai pu vivre pendant les deux jours de stage. Les échanges et les confrontations avec d’autres personnes permettent souvent de clarifier et de mieux s’exprimer à soi-même ce que l’on recherche confusément… Ce stage m’a donné l’impression d’avancer un peu plus dans le travail de réflexivité sur ma pratique…
Pouvoir formuler une tension
Les discussions m’ont permises de mieux me formuler à moi-même la tension dans laquelle se trouve prise ma propre pratique.
– Contre les attentes du système :
La première dimension de cette tension est celle dans laquelle se trouve pris les enseignants de devoir appliquer un programme, préparer à des examens… Ces attentes sont non seulement celle de l’institution relayé par la hiérarchie, mais également des parents d’élèves et mêmes des élèves eux-mêmes.
Ces attentes de l’institution scolaire fabriquent un certain type d’élève. Celui-ci souhaite que l’enseignant lui donne du prêt à consommer pour réussir le bac lorsque l’on enseigne comme moi en terminale. Ces attentes fabriquent des élèves consommateurs qui attendent un service efficace de la part de l’enseignant.
Les injonctions de l’institution produisent également un certain type de professeur. Celui-ci renonce à faire réfléchir les élèves ou à aborder ce qui lui semble important de transmettre car il est plus urgent de les préparer à l’examen. Sans doute, nombre d’enseignants se satisfont de ce rôle.
– Un désir d’émancipation :
Ces attentes de l’institution font partie de ce qui m’a fait ressentir de la déception vis-à-vis de l’école étant élève. J’aurai souhaité que l’école soit un lieu où l’on puisse discuter des savoirs et où les enseignants nous aide à approfondir ce que l’on souhaitait apprendre.
En tant qu’enseignante, j’aspire à ne pas reproduire ce que j’avais détesté dans le système scolaire.
Je porte en moi un certain imaginaire de ce qu’est l’émancipation. Cet imaginaire a été nourri de lectures faites seule au collège sur les humanistes de la Renaissance, par exemple sur l’éducation chez Rabelais. Au lycée, cet imaginaire s’est entretenu par des lectures personnelles sur les théoriciens socialistes qui de Proudhon à Herbert Marcuse, en passant par Marx, remettaient en question la construction d’un être humain unidimentionnel au profit d’un « homme total », de l’avènement d’êtres complets chez qui la pensée et l’action ne soit plus dissociée.
Cet imaginaire est également celui d’un savoir critique et non dogmatique. Il s’agit d’un rapport au savoir qui fait apparaître la connaissance scientifique comme un champ de controverses et de luttes.
Quelle subversion de la pédagogie ?
Néanmoins, quelque soit mon idéal personnel d’émancipation, je sais que je ne suis pas prête dans ma pratique personnelle à ne pas répondre aux injonctions du système scolaire.
En effet, renoncer individuellement à répondre aux injonctions de l’école capitaliste, c’est prendre le risque de devenir inaudible pour les élèves, de passer pour le mouton noir de service.
C’est également s’attribuer un rôle de toute puissance discutable de l’enseignant qui connaît la voie à suivre et qui peut se permettre de ne pas armer ces élèves pour les aider à survivre dans le système.
Il me semble au contraire que l’enseignant doit viser simplement à favoriser les conditions d’une émancipation.
Il me semble en définitif paradoxalement plus judicieux de respecter au mieux les injonctions de l’institution : de suivre les programmes, de préparer les élèves à l’examen, et même si possible aux études post-bac….
La subversion des pratiques me semble résider dans la capacité à aller au-delà de ce que l’institution exige de l’enseignant en ouvrant le champ des possibles.
Pour une enseignante en philosophie, comme c’est mon cas, il s’agit alors de ne pas se laisser enfermer entièrement dans les injonctions de l’institution, mais d’être en capacité de dégager du temps pour montrer qu’il existe d’autres voies, d’autres manières de vivre et de penser, que celle que le système nous trace. Si c’est possible, réussir à montrer que l’on peut tenter d’être acteur de son existence…
Il s’agit de prendre du temps pour favoriser une réflexion personnelle authentique des élèves et non pas seulement des techniques pour réussir le bac. Se donner pour objectif non pas qu’ils restituent des contenus, mais qu’ils soient capables de les utiliser de manière pertinente.
Il s’agit également de pendre le temps d’aborder avec eux les thématiques et les problèmes qui font réellement sens selon nous et peut-être de parvenir à ce qu’ils expriment ce qui fait sens pour eux.
Si enfin, tout cela parvient à susciter au moins chez certains le goût de lire et d’apprendre par soi-même, peut être que cela ne sera pas si mal que cela…