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” SOCIOL. Seuil de tolérance (d’une communauté).

” SOCIOL. Seuil de tolérance (d’une communauté). Pourcentage d’éléments étrangers qu’une communauté est censée pouvoir accepter et au delà duquel se produirait un phénomène de rejet.” (cnrtl)

Donnons suite ici aux échanges suscités par l’article de Bernard Collot, “École, pas d’école ?”
Une philosophie de l’action éducative pourrait se donner comme tâche de poursuivre l’examen des fondements des conceptions pédagogiques à la lumière des aléas politiques. La “tâche de questionnement” ne peut se contenter de prendre acte des aléas immédiatement visibles : elle a à en interroger les raisons, à inciter à en décrypter les paramètres. En cela elle convoque les diverses dimensions de la méthode. Elle nourrit un type de réflexion qui est orienté au “faire acte”.

L’actualité fournit en cela des exemples problématiques importants. L’approfondissement du rapport des principes et des soutènements des “pédagogies nouvelles” aux principes et aux soutènements du politique tel qu’il se décline, ne se termine décidément pas au prétexte que des auteurs-praticiens auront réfléchi depuis longtemps à la distance entre le projet d’émancipation par la pédagogie et le dessein de gouvernance de l’institution

La période actuelle voit cette question ressurgir dans la littérature scolaire, mais de manière latente, sans que les questions soient nettement affirmées, ni que le débat soit activement lancé.

Dans le cas de Freinet, les choix opérés par les tenants officiels se reconnaissant dans l'”Institut coopératif de l’école moderne” renvoient à cette question, dès lors renouvelée, de “l’écart pris par les pédagogies nouvelles au politique”.
[[Resweber, Les pédagogies nouvelles, 1986]]

Il s’agit en réalité d’un dilemme : ou bien chercher à inscrire, dans le cadre de l’institution, une autre conception “différente”, ou bien se démarquer par une indépendance relative, ou totale, en créant comme la loi le permet des espaces alternatifs d’éducation conformes aux lignes générales établies selon les normes d’instruction publique.

Que ce soit sous la forme d’une action de participation optimiste de réforme de l’école dans le sens des pédagogies actives et émancipatrices, ou bien sous la forme d’expérience alternative la plus indépendante possible des pressions, les espoirs de changement sont rattrapés par la force de la lutte sourde que mènent les pouvoirs établis contre toute espèce d’avancée en ce sens.
[[“Si sa pédagogie avait été tout de suite appliquée, l’école ne serait pas ce qu’elle est” : et pas seulement la sienne, loin de là. L’effort de l’institution pour repousser ou contenir l’alternative de “réenchantement” est constant.]]


Il faut choisir

Et faute d’une autre option de l’appareil officiel des “mouvements pédagogiques”, dans le cas de Freinet attaché à l’ancrage de “mouvement complémentaire partenaire de l’école publique”, comme à la scolastique (ce n’est pas le moindre des paradoxes) des universitaires spécialisés, et fonctionnant, à l’instar d’autres groupes, sous la forme redoutablement stérile de la “chasse gardée”, [[Tout se passe encore comme si (et dans bien d’autres domaines, le phénomène “communautariste” est loin d’être endigué!) les gardiens du temple veillaient tout à la fois à la vérité du message transmis comme à l’allégeance du “pouvoir imaginaire” en place, toujours soucieux de diviser pour régner.]] ressurgissent çà et là régulièrement à la marge les évocations nostalgiques d’un Freinet “révolutionnaire”.

Le choix le plus fréquent est pourtant de maintenir l’ambiguïté, en tournant le dos à ce que fut l’expérience de ceux qui quittèrent le giron pour créer leur propre école. Comme Freinet, même s’il a ” introduit une nouvelle vision de l’enseignement dans l’institution scolaire” et entraîné en cela un passionnant mouvement. A l’inverse, il est possible de maintenir tant bien que mal des oasis au sein de l’appareil scolaire, au prétexte de la bienveillance calculée – récupératrice et redoutablement neutralisante – de l’institution scolaire. De la même façon, l’adhésion au maillage d’organisations, avançant dans la voie “néopédagogiste” ou vers l’aspiration “postlibérale”, relativise grandement les vertueuses déclarations de principe.

A l’inverse, la détermination se situe dans l’analyse rigoureuse de l’écart sans doute constitutif des propositions des “pédagogies nouvelles” et des contraintes de l’institution. C’est là un paradoxe redoutable, apparemment absurde : il est totalement improbable qu’un système scolaire voué à servir un type de vision du monde et de société s’amuse à accepter la progression en son sein d’une visée pédagogique opposée à ses principes mêmes.

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Nous avons assez insisté sur le fait que le changement de paradigme en cours (et dont apparemment, personne – hors grandes envolées lyriques – ne maîtrise, faute de chantier approprié, les paramètres précis, sauf à le réduire à quelque aspect partiel, par exemple au “numérique”) entraînait nécessairement une révision drastique de notre manière de voir et de penser.
Notamment en ce qui concerne l’organisation, les fondamentaux, la pédagogie etc. Nous sommes très loin, avec le raidissement et la frivolité actuels, d’une conception adaptée aux nouvelles donnes, et de la promotion d’une “pédagogie muable”.
Le malaise relatif à l’ambition de “refondation” est alors aisé à interpréter, qui se traduit par des pseudo-déceptions alors que les prémisses mêmes du slogan étaient faussées. Nous sommes loin de l’ambition de “révolution copernicienne” des précurseurs de “l’éducation nouvelle”. Dans ce contexte d’immédiates préoccupations (sinon de sauve-qui-peut), les “pédagogies alternatives” souffrent à la fois sur la plan théorique d’un déficit de transmission : ce qui signifie aussi, et dans le même mouvement, de travail d’actualisation ; et du rejet systématique par le politique des possibilités ouvertes depuis plus d’un siècle. Ce qui légitime l’antique question :
” les mouvements pédagogiques ne gagneraient-ils pas en impact et ne retrouveraient-ils pas la dynamique révolutionnaire qu’ils portaient en coupant les cordons ombilicaux avec l’institution ?” (Paul Noel).

A la suite des intervenants de Q2C, distinguons deux niveaux :

– celui du “on fait ce qu’on peut au sein de l’institution” à laquelle nous émergeons (ce qui fut ma position en l’absence d’une participation très exigeante à un projet alternatif pouvant se concrétiser…) ; on en subit aussi les conséquences

Cet “attentisme” n’est en effet pas une compromission” (“Astride”)

– celui du “on se bat” pour faire avancer une idée alternative et sa possibilité ; cela n’est pas verbal : c’est à la fois un objet de recherche ; de débat ; d’action déterminée.

Sur ce dernier point, il n’y a pas de manichéisme : non pas d’un côté l’école à laquelle on tient tant (Nationale, Centrale, Verticale), et de l’autre pas “d’école” du tout. En cela, Reimer, Illich, et d’autres travaux, dont les nôtres, insistent sur la nécessité de déplacer la question de l’institution éducative, sans pour autant réduire cette pensée d’une autre conception “à la hauteur des nouvelles donnes” à la “négation d’institution”. D’autant plus que ce que quelques “phares” du siècle passé ont indiqué, c’est la probabilité d’une culture par quelques côtés inquiétante et dont les caractéristiques sont à prendre très au sérieux : en même temps la tendance à une pensée unidimensionnelle sans alternative, de l’autre une aspiration à l’entropie et à la dissémination, qui se manifeste notamment et sur les terrains scolaires, et sur les tentatives de faire poindre des expériences privées new look, qui profitent de la dérégulation mentale aujourd’hui à l’œuvre.

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Dans une telle conjoncture, comment dépasser l‘aporie qui condamne le message patrimonial de l’éducation nouvelle à se confiner dans des espaces restreints et dans la nostalgie d’une impossible utopie ?

Ce dernier terme d’utopie nous est pourtant précieux : il marque la possibilité d’une tension entre le réel et le possible. Dès lors, l’utopie est réaliste du moment qu’elle est présentée comme telle, et qu’elle donne lieu à un travail de dépassement en conséquence.

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Résumons sur deux points.

1) Le paradoxe ici rappelé n’est pas propre au mouvement Freinet. Il est celui de la plupart des expériences situées dans la ligne patrimoniale de l’éducation nouvelle et de l’esprit de changement lié à leur époque. Y compris toutes celles qui ne sont pas labellisées. J’ajoute que nous avons subi là un important déficit de transmission, et que trop d’avancées ont été perdues, oubliées, sinon, dans certains cas, effacées. A supposer que de nouvelles voies s’ouvrent une fois encore, au contraire des expériences néolibérales et inoffensives qui aujourd’hui se font jour, la question sera la même. Ce paradoxe est constitutif.

2) L’aporie ici rappelée elle ne l’est pas. Il n’est pas raisonnable de la maintenir en l’état. C’est donc un travail spécifique que de chercher à la dépasser. Mais c’est en effet une posture combattive, où beaucoup se sont cassé les dents (…ou se sont fait casser). Cette requête d’action ouvre sur plusieurs fronts possibles. Sachant que “nos dirigeants scolaires” continueront à mettre tous les obstacles à de telles perspectives, aidés en cela par les appareils médiatiques, d’autant plus que le discours d’impuissance aura été intériorisé par ceux-là mêmes qui voudraient oser.

C’est pourquoi le questionnement d’une “philosophie de l’action éducative” n’est pas vain, qui nous incite à revoir le problème “à frais nouveaux”.

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