Revue ENVIO, janvier-février 2015
Melba Castillo Aramburu est directrice du Centre d’Investigation et d’Action Educative Sociale (CIASES) et Docteur en Education au Nicaragua. Elle commente ici les résultats d’une importante étude réalisée par l’UNESCO sur les apprentissages des enfants d’école primaire dans les pays d’ Amérique Latine.( Extraits )
Depuis plus de douze ans, l’UNESCO réalise une “Etude Régionale Comparative et Explicative “pour évaluer les apprentissages des enfants d’école primaire. L’Etude est organisée par le bureau régional de l’UNESCO à Santiago du Chili avec le Laboratoire Latino-américain de Qualité de l’Education. La première Etude Régionale a eu lieu en 1997, la seconde en 2006 et la troisième en 2013.
En décembre 2014 ont été présentés les résultats de cette troisième Etude, un outil très intéressant parce qu’il donne des indications précieuses pour évaluer la qualité de l’éducation au Nicaragua.
Pour analyser tout système éducatif, l’UNESCO recommande d’observer trois aspects : l’accès à l’éducation, la qualité de l’éducation et la capacité de l’école à être accueillante ou excluante.
La CEPAL ( Commission Economique pour l’Amérique Latine) et beaucoup d’autres organismes signalent que pour qu’une personne ne risque pas de tomber dans la pauvreté elle doit avoir au moins douze années de scolarité, ce qui signifie le cycle secondaire complet. Au Nicaragua, avec la Loi Générale de l’Education, sept ans seulement de scolarité sont obligatoires, le troisième niveau de préscolaire et les six degrés du primaire.
Le troisième aspect que souligne l’UNESCO est que l’école soit capable d’accueillir la grande diversité qui caractérise les élèves. Ceci est un point important pour expliquer pourquoi dans certains pays, dont le Nicaragua, on n’a pas pu atteindre les “Objectifs du Millénaire”: pour des raisons de santé, de handicap, de zone de résidence, de travail infantile ou de pauvreté, beaucoup d’enfants n’ont pas accès à l’école.
Les programmes d’étude sont conçus pour des écoles urbaines, alors que 40 % des élèves nicaraguayens assistent à des écoles rurales : on attend qu’ils s’adaptent à l’école et non que l’école s’adapte à eux, c’est le signe d’une école excluante.
Des horaires scolaires tôt le matin, qui ne tiennent pas compte que beaucoup d’enfants travaillent. Au Nicaragua certes des écoles accueillent des enfants présentant un handicap, ce serait très bien si les enseignants étaient formés pour leur donner l’éducation dont ils ont besoin. Mais généralement ils ne sont pas préparés à cette situation, donc l’enfant n’apprend rien et pour l’enseignant il devient un problème.
Au Nicaragua seulement 56 % des enfants inscrits en primaire la terminent six ans après. Dans la majorité des pays latino-américains ce pourcentage est de 70 à 80 %. Dans quelques pays il dépasse même 90 %.
Cette étude date de 2013, la précédente était de 2006. En sept ans, chez la plupart des participants ( Chili, Argentine, Brésil, puis Panama, Equateur, Guatemala, Paraguay) on constate des avancées. Mais le Nicaragua se classe avant-dernier, devant la République Dominicaine.
Durant les 7 ans qui séparent les deux études, certains pays (Equateur, Guatemala) ont élevé le niveau de formation de leurs enseignants. Mais le Nicaragua a fait le contraire : il y eut un temps où on acceptait les candidats à la profession d’instituteurs seulement avec le “bachillerato”. A présent, on les accepte dès la 3e année de secondaire avec ensuite six mois de formation, ce qui a permis de multiplier très vite le nombre d’enseignants de premier degré. Le Ministère de l’Education a été très fier de pouvoir l’annoncer mais la formation des élèves va encore être compromise pour des années.
Autre sujet de préoccupation : le nombre de jours de classe au Nicaragua. En 1962, le Conseil Culturel et Educatif de l’OEA avait signé un accord sur l’éducation de base, établissant que tous les pays signataires s’engageraient à avoir 200 jours de classe dans l’année scolaire. Actuellement seul le Costa Rica en a 205, le Guatemala et le Honduras 180, le Panama 190, et le Nicaragua 169. De plus, ces 169 jours sont théoriques, car il faut tenir compte des festivités qui signifient la perte de jours scolaires : la préparation de la Fête des Mères : deux jours perdus, la célébration du 19 juillet (jour anniversaire du Triomphe nicaraguayen ) au moins une semaine, les “fiestas patrias” : encore une autre semaine… Et les 5 heures quotidiennes se réduisent souvent de moitié : récréations interminables, entrées tardives, sorties avancées…
La qualité de l’enseignement ne progresse guère : on habitue les enfants à faire travailler leur mémoire mais pas du tout la compréhension des textes. Les mathématiques et les sciences sont considérées comme des matières “difficiles” et bien des enseignants n’hésitent pas à décourager les enfants de faire des études scientifiques; il n’existe au Nicaragua aucun encouragement pour s’engager dans une carrière scientifique, si bien que les jeunes se tournent vers des études littéraires sans grandes perspectives professionnelles.
Certes à présent, avec l’ordinateur, l’enfant peut avoir accès à des informations à la fois instructives et ludiques. Il existe des vidéos qui montrent qu’on peut enseigner avec des méthodologies très attractives. Mais l’enfant attend que le maître soit son guide. Sans un bon maître, la meilleure technologie ne crée pas des changements.
Quand on analyse les systèmes éducatifs du monde entier, on remarque que dans le système finlandais, les étudiants ont les premières places dans toutes les épreuves au niveau mondial . Ce succès se doit fondamentalement à la qualité de ses enseignants. Au Nicaragua on ne valorise ni l’effort ni la connaissance. Et qui en profite ? les hommes politiques, qui n’ont eux-mêmes pas une grande formation et ne déploient pas de grands efforts intellectuels…
En Finlande, les étudiants qui entrent à la Faculté d’Education pour devenir enseignants savent qu’il sont assurés d’avoir un bon travail et un excellent salaire. La Finlande a les meilleures écoles au niveau mondial parce qu’elle a les meilleurs enseignants au niveau mondial.
Et une autre raison qui rend la profession peu attractive : dans tous les pays d’Amérique Centrale, Honduras, Guatemala, Costa Rica, les enseignants ont de meilleurs salaires qu’au Nicaragua. Ici le peu qu’ils gagnent les oblige à survivre en faisant d’autres travaux parce que leur salaire ne leur permet pas de vivre dignement. De ce fait ils n’ont pas le temps de préparer leur classe et ils redoutent d’être invités à des journées de formation, ne voyant pas à quoi cela va leur servir.
Au Nicaragua le budget de l’Education a diminué d’année en année, tant pour les universités que pour l’éducation de base. Actuellement le Nicaragua consacre à l’éducation seulement 3,9 % du PIB. Le Honduras 7 % de même que le Costa Rica. Si cela n’évolue pas, la qualité de l’éducation ne s’améliorera pas, ni la qualité des enseignants. Si nous ne trouvons pas de solution, nous compromettons de manière irresponsable et périlleuse le futur des enfants de notre pays, le futur du Nicaragua.