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Revenir au bon sens collectif dans l’éducation

Au sortir d’une expérience d’AESH dans un établissement scolaire de l’académie de l’Hérault, je souhaite partager quelques observations et autres sensations qui m’ont traversée ces derniers mois.

Mère de deux enfants scolarisés en primaire et en secondaire, sensible aux questions d’éducation et aux missions principales de l’Institution Ecole, je tiens avant tout à dire toute mon admiration pour les personnels enseignants, administratifs, et accompagnants (ATSEM, AESH, animateurs, etc.), qui font vivre nos écoles et accompagnent le grandir de nos enfants.

A l’heure où le Grand Capital démantèle le service public en toute impunité, par le biais de décisions étatiques insensées, l’école n’est pas épargnée par les dégradations largement observées de ses missions fondamentales et des moyens accordés pour les remplir.

On le sait, le service public est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas, notamment en matière d’éducation, source d’émancipation, un bien précieux pour chacun mais surtout pour tous.

Est-il donc encore nécessaire de rappeler à quel point l’éducation gratuite est un principe essentiel de notre société, notamment pour tenter de réduire certaines inégalités sociales ? Elle vise à rester un espace sans distinction sociale dans le rapport aux savoirs et aux prescriptions sociales. Elle permet de transmettre à tous les enfants l’éveil intellectuel, l’envie de rester curieux, mais aussi la capacité de réfléchir à notre part de libre arbitre pour, in fine, devenir des adultes qui peuvent prendre place dans la société.

Je suis éminemment favorable à la politique d’inclusion qui permet à des enfants parfois en grandes difficultés d’évoluer dans le milieu scolaire ordinaire. Dans une société idéale, tout le monde devrait y avoir une place. Il n’est donc nullement question ici de mettre en doute l’intérêt de la loi 2005. Cependant, les moyens octroyés à cette politique, depuis sa mise en application, sont loin d’être à la hauteur de ses ambitions.

Entre 2005 et 2007, j’avais déjà eu l’occasion d’occuper des postes d’Auxiliaire de Vie Scolaire, dans un collège d’abord puis dans un lycée professionnel. Force est de constater que les budgets alloués à l’Education Nationale se sont amenuisés et que la pensée de l’école s’est transformée, dégradée. Pourtant, il n’est pas question d’affirmer que c’était mieux avant puisqu’avant, les enfants en situation de handicap n’avaient pas de place à l’école, mais le traitement réservé aux AESH, anciennement AVS, est bien minable. Les « aides humaines », comme on les appelle, ont un salaire de misère et une formation (lorsqu’elle est proposée, ce qui n’est pas automatique !) réduite à peau de chagrin (60h).

Aussi, même les personnes les mieux intentionnées du monde, motivées et dynamiques ont du mal à maintenir leurs engagements sur du long terme. Ces contrats précaires ne peuvent être envisagés que de manière transitoire.

Lorsqu’ils sont absents, les AESH ne sont que très rarement remplacés.

Dans le même temps, les enseignants se retrouvent dans une position délicate.

Ils doivent accueillir de plus en plus d’élèves présentant des troubles divers et variés (TDA(H)1, TSA2, TDYS3, troubles du comportements, etc.), faire de la « différentiation » (adaptation de l’enseignement pour répondre aux besoins individuels des élèves.) Ceci implique une préparation singulière, en plus des cours habituels.

Maintenir le cap des programmes à tenir, être à la hauteur des exigences de ce métier déjà difficile, rester attentif à l’apprentissage du « vivre ensemble », s’ajuster sans cesse, dans des classes toujours plus surchargées (28 ou 30 élèves où il n’est pas rare de rencontrer 3 ou 4 élèves nécessitant un accompagnement particulier), comment est-ce possible ? Jusqu’où va-t-on laisser l’école et les conditions de travail des enseignants se dégrader ? Aujourd’hui il est possible d’enseigner sans aucune formation pédagogique préalable alors on est loin d’imaginer une formation qui comprendrait des éléments de compréhension des différents troubles rencontrés en classe. Ces formations existent mais ne sont pas dispensées pendant le cursus universitaire et, lorsque l’enseignant quitte sa classe pour se former, il n’a pas la garantie d’être remplacé.

Or, qui peut croire qu’on peut accompagner décemment des enfants qui présentent, par exemple, des troubles autistiques parfois très enfermants, qu’on les aide à trouver une place au milieu de leurs pairs sans aucune formation ? Pour certains, cela fonctionne et c’est tant mieux.

Pour illustrer ce propos, je m’arrêterai là sur le premier échange avec une des enseignantes avec laquelle j’ai travaillé, en maternelle, qui, les larmes aux yeux m’explique, le jour de mon arrivée, que depuis la rentrée scolaire, pour la première fois de sa carrière, elle se sent dépassée. Un très jeune enfant, 3 ans, avec la tétine et la couche, hurle, court dans tous les sens, se frappe violemment la tête sur les portes, plusieurs fois par jour, semble signifier (il ne parle pas du tout) qu’il veut partir de l’école, avec une force et une violence qui ne correspondent pas à un tout petit.

Elle fait ce qu’elle peut, l’accueille avec le sourire tous les matins, le prend dans les bras, se prend des coups, se fait mordre fort mais reste constante et empathique, sans bien comprendre ce qu’il se passe. Elle m’explique que certains jours, elle lit une histoire à la classe, en hurlant et en retenant cet enfant par le col, pour qu’il ne se frappe pas la tête. « Je me vois faire et ne sais plus comment exercer mon métier. Je n’en peux plus. C’est terrible pour lui, pour moi, pour l’ATSEM et pour les autres enfants. »

Que demande-t-on là à cette enseignante ? Qu’impose-t-on à cet enfant ? A ses camarades ? A quel moment, dans cette situation, on considère le handicap de ce petit ? Je le répète, je suis favorable à la politique d’inclusion, si les moyens sont à la hauteur. Ici, on peut légitimement parler de maltraitance institutionnelle admise. Sans de bonnes conditions, ces enfants passent une grande partie de leur temps à de l’occupationnel et regardent passer la classe sans jamais monter dans le train.

Il est nécessaire de noter que par-dessus tout cela, les parents, les familles, s’autorisent de plus en plus un rapport à l’école et aux enseignants très consumériste. Ils se montrent de plus en plus revendicatifs, procéduriers. On les comprend puisque c’est de leur enfant qu’il s’agit et que c’est maintenant leur droit d’exiger un accueil spécifique, singulier. Seulement là encore, ça pèse sur les enseignants. Lorsque les parents se présentent méfiants voire agressifs, le dialogue devient impossible et les tensions montent régulièrement. Or, quand le dialogue est impossible, les enseignants ne sont plus en mesure d’entendre les difficultés rencontrées par les parents, ni les parents en mesure d’écouter la réalité des enseignants.

Faire éducation ensemble n’est plus que chimère dans certaines écoles.

Pour conclure, il me semble que la question principale reste, à l’heure des nouvelles modifications (notamment le fameux « Pacte »), l’objectif de l’éducation. Le but de l’école est-il de réduire les inégalités sociales, d’éveiller la curiosité, de donner envie aux enfants de penser un peu par eux-mêmes leur rapport au monde, ou d’en faire des têtes bien pleines, incapables de réflexions, qui se soumettent (ne refusent pas d’obtempérer) face à des autorités pas toujours très légitimes ?

Peut-être est-il urgent de repenser tous ensemble les intérêts de l’Ecole, de revaloriser le métier d’enseignant devenu impossible. Bien souvent, professeurs et AESH travaillent main dans la main, sont de bonne volonté pour faire au mieux avec pas grand-chose et souvent sur du temps bénévole, ils compensent les manques de l’Institution.

Comment, nous parents, pouvons-nous être soutien pour que chacun, depuis sa place, ses fonctions, s’attache à repenser le sens global de son métier ? Le métier de parent, celui d’enseignant, celui d’AESH, mais aussi plus haut dans la hiérarchie du mammouth, les inspecteurs, les administratifs, etc. Que ceux qui occupent les postes en haut de la pyramide ne se dédouanent pas des missions qui leur sont confiées, qu’ils cessent de se laver les mains de savoir à quelle sauce sont mangés les enfants en situation de handicap, les enfants des quartiers populaires, et les travailleurs, sur le terrain, qui fabriquent le monde de demain.

En prenant soin de nos métiers, en n’oubliant pas ce qui nous a motivés au départ, ce pourquoi nous nous sommes engagés, en partageant nos expériences et en habitant les instances décisionnelles, nous ralentirons peut-être la machine à broyer cette partie-là du service public.

Refusons de nous plier toujours plus, de courber l’échine face à la grosse machine que petit à petit le Capitalisme défonce.

Parce que la seule question à se poser, c’est sans doute celle-ci :

Est-ce que nous voulons un monde où seuls ceux qui en ont les moyens (financiers) pourront éduquer leurs enfants, les aider à se cultiver, les soigner et les faire manger correctement ?

Ce monde-là, nous n’en voulons pas. On dirait bien qu’il s’enflamme actuellement.

Elsa F., ex AESH

1 Trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité

2 Trouble du spectre autistique

3 Les troubles du langage écrit (dyslexie, dysorthographie et dysgraphie)

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