Le site P. Besnard relaie la réponse de Philippe Pelletier à un article d’analyse du Mouvement des Gilets Jaunes paru sur le site du géographe du monde (Cf.http://geographie.blog.lemonde.fr/2018/11/23/jaunes). S’il exprime sa crainte que ce mouvement déjà qualifié de poujadiste, puisse être politiquement récupéré par les ultra libéraux et les réactionnaires, P. Pelletier décrit ce mouvement comme une jacquerie moderne. Comparé à Nuit debout, il le voit plutôt comme le nouveau symptôme d’une crise de foi dans la démocratie représentative et d’une méfiance contre un état qui détricote le pacte social en détruisant le bien commun. Ce texte laisse aussi deviner ce que pourrait être l’engagement des militants, syndicalistes ou associatifs qui voudraient s’engager dans et avec les Gilets jaunes…
L’affinage géographique était salutaire, merci. On ne peut, certes, guère attendre d’une finesse d’analyse de la part des «experts» plus ou moins patentés, et des mêmes qui tournent dans les médias. De la relation complexe entre différents espaces et différentes couches de la société, dont la novlangue sur les «territoires» répétée ad nauseam empêche de comprendre que sur un même espace se côtoient ou ne se côtoient pas des éléments qui relèvent de ce qu’on appelait naguère «la lutte des classes», je n’apporterai rien de mieux comme analyse par rapport aux précédentes. En revanche, je voudrais pointer deux choses :
1/ Les «centre-ville» semblent donc ne pas être touchés par le MGJ, contrairement aux «nuits debout», et à l’exception des Champs-Elysées dont la symbolique devient désormais un nouvel enjeu (l’épisode des footeux passant en trombe devant le peuple des supporters médusés après coup en fut l’un des marqueurs précurseurs). Il me semble que c’est une nouveauté dans la géographie spatiale du mouvement social.
2/ La problématique des «conditions de vie» (péri-urbaine, métropolitaine, rurbaine, peu importe le terme ici) et du rejet des politiciens «d’en haut» renvoie à ce qui se passe «en bas», en fait «au près» : la commune. Or le démembrement, à partir du sommet, des systèmes de protection sociale nationale aboutit à confier la tâche et la facture aux collectivités locales : qu’elles se débrouillent, que les plus riches et que les plus fortes l’emportent (ce social-darwinisme territorial est l’une des clefs du programme de Macron en France, qui a tout compris et a centré sa tactique de riposte aux gilets jaunes en s’adressant habilement aux maires).
NB : la techno-bureaucratie de plus en plus prégnante qui guette le moindre des maires les plus honnêtes (d’où le dégoût et la démission de nombreux maires en France) est l’un des corollaires de ce redéploiement. Oui, le MGJ est une «jacquerie» : moderne, post-moderne, tout ce qu’on veut, mais c’est une jacquerie, c’est-à-dire une révolte «spontanée» parti du peuple, de la «France d’en bas», et dont le sens hier comme aujourd’hui dépasse désormais la référence aux paysans. Que Zemmour ou d’autres l’utilisent, on s’en moque, l’essentiel est que les «nouveaux jacques» les prennent au mot, comme les Gueux l’ont fait autrefois (ou les «anarchistes» traités comme tels par Marx au Congrès de La Haye de l’AIT quand il a fait expulser Bakounine, et qui, du coup, s’en sont revendiqués).
Oui, Christophe Guilluy, quoique on pense de lui et de ses raccourcis, avait senti certaines choses, ce qu’une rhétorique de gauche convenue, désarçonnée, ne pouvait admettre. Dans un texte publié par le site de la Fondation Copernic, Gérard Noiriel écrit que, «au-delà de ces enjeux économiques, la classe dominante a évidemment intérêt à privilégier un mouvement présenté comme hostile aux syndicats et aux partis». Cette analyse est partielle. Car ce que Noiriel oublie de dire, c’est que cette autonomie des GJ, au sens propre du terme, si elle ne ravit pas forcément les «autonomes» de l’ultra-gauche ou ne vient pas d’eux, elle embête surtout les bureaucraties syndicales et les souverainistes qui ont besoin du chef de leur souveraineté, avec ses relais, les fameux «corps intermédiaires».
3/ Bien sûr que la droite et les essayistes de droite sont contents de montrer que la gauche n’y est pour rien. Mais ils flippent également, parce qu’ils ne comprennent pas bien ce qui se passe et, surtout, ils ont peur. Le discours anti-État et anti-taxe ne leur convient que dans la mesure où ils veulent un État à la Reagan, Thatcher ou… Macron. Politiquement (en politique politicienne), ils sont contre Macron. Idéologiquement (la convergence de classe), ils sont à fond pour lui. Ils sont en principe contre les syndicats, mais, à un moment donné, ils aiment bien les bureaucraties syndicales pour calmer le jeu (là, pas sûr que Macron finisse par l’admettre ; sauf si les choses se durcissent, et la droite non macronisée attend son tour, quitte à mettre de l’huile sur le feu). D’où tout le discours corollaire qui remonte sur la nécessité des «corps intermédiaires» afin de contrôler le peuple (en prétendant le «représenter»). Macron n’en veut pas, car c’est un ultra-libéral et un banquier jupitérien. Pour financer la transition écologique (pas pour sauver la planète, mais pour lutter contre les concurrents que sont la Chine, la Russie ou le Brésil, pour vendre du nucléaire) et pour financer les forces armées (armée, police, 4 milliards à trouver pour le nouveau service national…), il faut des fonds : on sait, ce sont les pauvres qui doivent payer davantage selon lui et sa cour de CSP++ [Catégories socio-professionnelles très supérieures].
Une grande partie de la gauche et des écologistes se sent dépassée dans son essence (zut alors, le peuple se débrouille sans nous, sans nos guides éclairés et nos théories, et il ne veut pas sauver la planète, du moins pas tout de suite et pas comme ça). Si elle n’arrive pas à «récupérer», elle va rejoindre les chiens hurlants de l’arrogance macronienne au nom de la défense de la «démocratie», de la «république» et «contre-toute-forme-de-violence». Si le MGJ tourne court, on verra apparaître une géographie des «incidents» et des «passages à l’acte» (on en a vu un prodrome avec l’occupation d’une station-service par un «forcené»).
Philippe Pelletier (géographe, Lyon 2, RGL)
Réponse à Jaunes fluo et verts de rage (du mouvement des Gilets jaunes, de ce qu’il dit de la géographie française)
LU sur anti-k.org
Juste pour transmettre à Philippe Pelletier afin qu’il consente à me contacter, ludovicfiaschi(at)gmail.com
Nous avons écrit ce qu’il fallait le 11/11, bien avant le 17 novembre 2018 pour éviter de commettre une erreur:
Auguste Blanqui disait à propos des controverses dans le mouvement ouvrier « de la discussion peut toujours jaillir la lumière… »
La question était pourtant simple au départ, étions-nous favorables à ces augmentations de taxes sur les carburants, cette nouvelle injustice fiscale ? Si non que proposer pour les faire abolir ?
La confusion des interprétations proposées au sujet du mouvement du 17 novembre révèle crûment l’état de dégénérescence de la gauche et par voie de conséquences de toutes ses organisations « éparpillées façon puzzle ». C’est la conséquence de son incapacité à proposer autre chose au peuple que la participation toujours décevante aux campagnes électorales et toutes les tendances de gris de la collaboration. On peut ajouter, ce qui va avec, la coupure entre les jeux de la politique institutionnelle et toutes les questions sociales, celles qui concernent la vie de toutes et de tous. Au fil des années, pour meubler le temps entre les élections politiques et syndicales, ses responsables militants se sont transformés en une sorte de clergé de professeurs rouges, toujours insatisfaits et déçus du niveau de leurs « élèves » qu’ils convoquent donc à toutes sortes de conférences bien-pensantes, plutôt que de se mettre au servir du peuple et défendre ses intérêts matériels. Pourtant il faut être concrètement utile pour prétendre être vraiment reconnu, car aucun discours ne remplace l’expérience.
Pour comprendre les subtilités des divisions de la gauche qui s’expriment de façon si magistralement destructrice, dans le kaléidoscope des positions concernant le 17 novembre, il faut appartenir à ces nouvelles églises, au moins être un adepte fidèle et avoir suivi toute la liturgie et ses grands messes pendant des années, sans broncher : Etre un initié, savoir réciter le catéchisme.
A toutes celles et ceux qui n’en peuvent plus, qui veulent, pour exprimer leurs justes et légitimes colères, bloquer le pays, sur cette affaire de taxes, il faudrait aller leur dire que pour faire un référendum anti-Macron dans la rue, ce n’est pas la bonne thématique, ni le bon jour et qu’ils vont être « instrumentalisés » alors que ces gens, heureusement pour eux, sont “indisciplinés” puisqu’ils n’ont pas suivi tout le « programme » des maîtres en politique, c’est mission impossible.
C’est le vide laissé par la gauche qui permet l’émergence de ce mouvement, hors des rites consacrés. Mais, compte tenu de l’expérience des manifs sans lendemains de ces dernières décennies, c’est peut-être sa chance. En tout cas c’est l’occasion d’un investissement politique, pour répondre à des questions qui nous touchent touTEs, sans arrières pensées et calculs politiciens unanimement rejetés. Peut-être une bataille contre l’extrême droite et la fachosphère mais sur notre terrain, celui la mobilisation populaire et la rue. Si nous n’en sommes pas capables aujourd’hui, alors préparons-nous demain à nous cacher dans les caves !
Le président Máo Zédōng disait : « un révolutionnaire doit être au sein du peuple comme un poisson dans l’eau », le grand Karl Marx expliquait lui, que les révolutionnaires devaient être la plaque sensible du peuple à l’écoute de ses besoins et de ses intérêts avec cette image : «Il faut savoir, en révolutionnaire, « écouter l’herbe qui pousse ». Certains n’entendent même pas l’orage quand il tonne !
A touTEs ces militantEs le dos courbé par tant de défaites qu’ils renoncent à la nécessaire mobilisation des masses, Gramsci rappelait que sans le peuple « personne n’a de solutions, mais qu’avec lui, tous, nous sommes la solution », il expliquait aussi que « Le pessimisme de l’intelligence ne doit pas désarmer l’optimisme de l’action ».
Vive le 17 novembre
LR
En pièce jointe, pour celles et ceux qui s’intéressent encore à la politique, à mon sens, le meilleur texte d’analyse de la situation parmi les dizaines consultés…
https://aplutsoc.org/2018/11/03/ce-que-revele-le-mouvement-du-17-novembre/
Ce qu’il fallait au moins dire juste après pour éviter la faute … :
Le mouvement des gilets jaunes comme cela était prévu, a fait la démonstration de sa capacité à bouleverser complètement la situation politique et sociale du septennat et mettre à nu la macronie et son petit roi. C’est ce qui s’est passé le 17 novembre, c’est ce qui se poursuit encore avec une combativité qui surprend, concentrée sur des slogans radicaux autour de « Macron démission », chantés sur tous les tons.
La question angoissée que le pouvoir se pose, relayée par un journalisme de connivence est maintenant : « mais comment tout cela va-t-il finir ? »
Il faudrait se plonger dans les archives de l’histoire du mouvement ouvrier – comme on disait- pour y déceler un épisode similaire, d’un mouvement authentiquement populaire, de contestation centrale du pouvoir en place, boudé par la quasi-totalité de ses organisations.
Les voir toutes bien alignées dans leur quête d’un mouvement chimiquement pur est consternant. Comme si toutes préfèrent un entre soi classique mais qui convient, en attendant rien ou les prochaines élections.
Un aveuglement à ce point si bien partagé est totalement surréaliste. Comment la gauche de la gauche a-t-elle pu passer à côté d’une telle manifestation de colère. La rédaction laborieuse du communiqué de la « nouvelle union de la gauche » rédigé l’avant-veille de la manifestation – pendant que des milliers de comités autonomes surgissaient partout pour mettre en place les blocages et rallier le plus de monde possible – par nos professeurs rouges, au-delà des poncifs convenus et déconnectés de l’actualité, montraient juste à quel point ce nouveau clergé est obnubilé par la pureté du mouvement et de ses revendications.
Une scolastique dont se foutent globalement les « gilets jaunes » et c’est peut-être la raison de leur succès, mais qui n’a pas permis l’immersion dans le mouvement d’un axe “lutte de classe” clairement social et écologique, disputant ses finalités aux secteurs les moins conscients des enjeux discutés.
Il ne s’agissait pas de se mettre “à l’écoute” du mouvement, façon politicien opportuniste, mais de fournir des axes politiques, des objectifs et des moyens pour y parvenir et face aux confusions et désorientations habituelles, pouvoir indiquer où est le nord.
Ce sont des secteurs les moins politisés et les moins organisés de la population qui ont trouvé ce moyen pour exprimer leurs exaspérations dans la rue, pour « bloquer » le pays. La jonction avec ceux qui depuis des années arpentent le pavé pour montrer qu’ils ne sont pas contents et ceux qui descendent dans la rue pour la première fois parce qu’ils veulent que ça change vraiment n’est qu’une question de temps.
Ce qu’en disait le grand Lénine aux dogmatiques coupées de masses :
“La révolution russe de 1905 a été une révolution démocratique bourgeoise. Elle a consisté en une série de batailles livrées par toutes les classes, groupes et éléments mécontents de la population. Parmi eux, il y avait des masses aux préjugés les plus barbares, luttant pour les objectifs les plus vagues et les plus fantastiques, il y avait des groupuscules qui recevaient de l’argent japonais, il y avait des spéculateurs et des aventuriers, etc. Objectivement, le mouvement des masses ébranlait le tsarisme et frayait la voie à la démocratie, et c’est pourquoi les ouvriers conscients étaient à sa tête.
A propos de l’insurrection irlandaise de 1916
« La révolution socialiste en Europe ne peut pas être autre chose que l’explosion de la lutte de masse des opprimés et mécontents de toute espèce. Des éléments de la petite bourgeoisie et des ouvriers arriérés y participeront inévitablement – sans cette participation, la lutte de masse n’est pas possible, aucune révolution n’est possible – et, tout aussi inévitablement, ils apporteront au mouvement leurs préjugés, leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. Mais, objectivement, ils s’attaqueront au capital, et l’avant-garde consciente de la révolution, le prolétariat avancé, qui exprimera cette vérité objective d’une lutte de masse disparate, discordante, bigarrée, à première vue sans unité, pourra l’unir et l’orienter, conquérir le pouvoir, s’emparer des banques, exproprier les trusts haïs de tous (bien que pour des raisons différentes !) et réaliser d’autres mesures dictatoriales dont l’ensemble aura pour résultat le renversement de la bourgeoisie et la victoire du socialisme, laquelle ne « s’épurera » pas d’emblée, tant s’en faut, des scories petites-bourgeoises. »
1) Je précise la source du texte de Lénine, car pour le comprendre il faut connaitre le contexte, qui est l’Irlande révoltée en 1916.
2) J’ai aussi ajouté à la citation de Lénine le premier paragraphe 1905
3) Puisqu’il est question de Lénine, je rappelle que le parti bolchevik considérait que la situation n’était pas mure pour abattre l’Etat bourgeois lors de la révolte spontanée de juillet 1917, mais ils n’ont pas voulu abandonner les révoltés, donc ils y ont participé, en ont subi les conséquences répressives, mais y ont des galons, et se sont trouvés à la tête de l’insurrection victorieuse en octobre.
4) Norbert raconte qu’au début de manifs de 17, le parti bolchevik avait envoyé ses militants dans les usines pour décourager les femmes ouvrières de manifester. On peut se tromper au début et ne pas handicaper l’avenir… reste à adopter une ligne juste par la suite.
5) Willy confirme que Lénine, aurait effectivement arboré le bonnet rouge et le gilet jaune. Il faut rappeler que la procession du dimanche sanglant à St Pétersbourg, début de la révolution de 1905, était conduite par le pope Gapone, qu’il y avait des portraits du tsar, et que les revendications étaient sous forme de suppliques au même tsar….donc ne faisons pas la fine bouche! Allons y à fond !